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qui eut lieu en 1818, fut un événement, et constitua à madame de Staël de brillantes et publiques funérailles. Elle y proposait à la Révolution française et à la Restauration ellemême une interprétation politique destinée à un long retentissement et à une durable influence. C'était une Monarchie selon la Charte à sa manière; hors de celle-là et de celle de M. de Chateaubriand, il n'y avait guère de salut possible pour la Restauration. Au contraire, la marche contenue entre ces deux limites aurait pu se prolonger indéfiniment. Chaque parti, alors dans le feu de la nouveauté, s'empressa de demander au livre des Considérations des armes pour son système. Les louanges furent justes, et les attaques passionnées. Benjamin Constant, dans la Minerve, M. de Fitz-James, dans le Conservateur, en parlèrent vivement, et sous des points de vue assez opposés l'un à l'autre, comme on peut croire. M. Bailleul et M. de Bonald firent à ce sujet des brochures en sens contraire; il y eut d'autres brochures encore. L'influence de pensée que par cet ouvrage madame de Staël exerça sur le jeune parti libéral philosophique, sur celui que la nuance du Globe représenta plus tard, fut directe. L'influence conciliante, expansive, irrésistible', qui serait résultée de sa présence, a bien man

qué, en plus d'une rencontre, au parti politique qui, pour ainsi dire, émane d'elle, et qui eût continué d'être le sien.

Mais c'est dans le domaine de l'art que son action de plus en plus, je me le figure, eût été belle, efficace, cordiale, intelligente, favorable sans relâche aux talents nouveaux, et les recherchant, les modifiant avec profit pour eux et bonheur. Parmi tous ceux qui brillent aujourd'hui, mais disséminés et sans lien, elle eût été le lien peut-être, le foyer communicatif et réchauffant. On se fût compris les uns les autres, on se fût perfectionné à l'union de l'art et de la pensée, autour d'elle. Oh! si madame de Staël avait vécu, admirative et sincèrement aimante qu'elle était, oh! comme elle eût recherché surtout ce talent éminent de femme, que je ne veux pas lui comparer encore! comme, à certains moments de sévérité du faux monde et des faux moralistes, le lendemain de Lélia, comme elle fût accourue en personne, pleine de tendre effroi et d'indulgence! Delphine, seule entre toutes les femmes du salon, alla s'asseoir à côté de madame de R.. Au lieu des curiosités banales ou des malignes louanges, comme elle eût franchement serré sur son cœur ce génie plus artiste qu'elle, je le crois, mais moins philosophique jusqu'ici, moins sage, moins

croyant, moins plein de vues sûres et politiques et rapidement sensées! comme elle lui eût fait aimer la vie, la gloire! comme elle lui eût abondamment parlé de la clémence du ciel et d'une certaine beauté de l'univers, qui n'est pas pour narguer l'homme, mais pour lui prédire de meilleurs jours! comme elle l'eût applaudi ensuite et encouragé vers les inspirations plus sereines! O Vous, que l'opinion déjà unanime proclame la première en littérature depuis madame de Staël, vous avez, je le sais, dans votre admiration envers elle, comme une reconnaissance profonde et tendre pour tout le bien qu'elle vous aurait voulu et qu'elle vous aurait fait! Il y aura toujours dans votre gloire un premier nœud qui vous rattache à la sienne.

Mai 1835.

SUR UN PORTRAIT DE GÉRARD.

A MADAME RÉCAMIER.

Dans ce frais pavillon de marbre et de verdure,

Quand le flot naturel avec art détourné,

Pour former un doux lac, vient baiser sans murmure

Le pourtour attiédi du pur jaspe veiné;

Quand le rideau de pourpre assoupit la lumière,
Quand un buisson de rose achève la cloison,
Chaste au sortir du bain; ayant laissé derrière
Humide vêtement, blanche écume et toison;

De fine mousseline à peine revêtue,

Assise, un bras fuyant, l'autre en avant penché,

Son beau pied, non chaussé, d'albâtre et de statue,
S'éclairant, au parvis, d'un reflet détaché,

Au parvis étoilé, d'où transpire et s'exhale
Par les secrets d'un art, magicien flatteur,
Quelque encens merveilleux, quelque rose rivale
Des autres gais buissons de naïve senteur;

Simple, et pour tout brillant, dans l'oubli d'elle-même, A part ce blanc de lys et ces contours neigeux,

N'ayant de diamant, d'or et de diadême,

Que cette épingle en flèche attachant ses cheveux;

N'ayant que ce dard-là, cette pointe légère,
Pour dire que l'abeille aurait bien son courroux,
Et pour nous dire encor qu'elle n'est pas bergère,
Un cachemire à fleurs coulant sur ses genoux;

Sans miroir, sans ennui, sans un pli qui l'offense,
Sans rêve trop ému ni malheur qu'on pressent,
Mêlant un reste heureux d'insouciante enfance
A l'éclair éveillé d'un intérêt naissant;

Qu'a-t-elle, et quelle est donc, ou mortelle ou déesse,
Dans son cadre enchanté de myrte et de saphir,
Cette élégante enfant, cette Hébé de jeunesse,
Hébé que tous les dieux prendraient peine à servir?

Elle est trouvée enfin la Psyché sans blessure,
La Nymphe sans danger dans les bains de Pallas;
C'est Ariane heureuse, une Hélène encor pure,
Hélène avant Pâris, même avant Ménélas!

Une Armide innocente, et qui de même enchaîne,
Une Herminie aimée, ignorant son lien ;

Aux bosquets de Poestum une jeune Romaine
Songeant dans un parfum à quelque Emilien !

III.

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