Page images
PDF
EPUB

de Dante, à bon droit dédiée à M. Fauriel. L'application sérieuse qui s'y découvre sied bien à la dignité du sujet; L'imprécation sur Florence, que le poète traduit et développe en la détournant à notre patrie, a conservé sa mâle beauté et atteste combien les espérances patriotiques de ce noble cœur ont essuyé d'amertumes aussi et de désabusements. Ces désabusements, avouonsle, lui sont venus surtout de l'excès des impatiences et des appels menaçants à la force; dans la pièce de Lafayette, son vœu et sa prière s'adressent à cette trop vive jeunesse que, dans son inquiétude de mère, elle prend à tâche de modérer. Un côté si sage, mais nécessairement si raisonneur, introduit dans le talent, semble par endroits le ralentir. Cette muse, autrefois sortie du même camp libéral que Béranger, n'est pourtant pas tout entière aujourd'hui aux craintifs présages. Son espérance, blessée mais patiente, s'est réfugiée aux perspectives d'un avenir social, terre promise que tant de voix de poètes aiment à saluer.

Ce qui touche le plus dans le récent volume, ce sont les pièces où, sans détour, sans déguisement de drame ou de mythe, l'âme du poète a éclaté, ces pièces modestes intitulées Plainte, Invocation, Découragement, le Temps, la Commémoration funèbre sur la mort de madame

Guizot, la Passion. Elles sont courtes, parce que la douleur trop vraie n'a qu'un cri, parce qu'une aile saignante, à peine élancée, retombe, parce qu'il a fallu les quitter vite pour les pages monotones et laborieuses, un moment disparues sous une larme. Elles sont nées du profond de la réalité, sans la décorer, sans l'interrompre, en présence et en continuité des instants d'angoisse ou d'ennui, sans oubli aucun et sous l'effort des choses existantes. Après l'Ange Gardien, dont la rayonnante image continuera de planer, aux heures de rêverie, sur les destinées de toute jeune fille chrétienne et de toute épouse fidèle, ce volume nouveau, mélange de souffrance, d'étude et de maturité sensée, a son charme également béni. Bien qu'il nous reporte vers un passé plus brillant, bien qu'il s'élève moins haut que la poétique apparition de la jeunesse, il vient dignement après, et honore le talent en même temps que la vie de celle qui peut si fermement se résigner et si délicatement se plaindre.

Février 1835.

MADAME DE STAËL.

I.

On aime, après les révolutions qui ont changé les sociétés, et sitôt les dernières pentes descendues, à se retourner en arrière, et, aux divers sommets qui s'étagent à l'horizon, à voir s'isoler et se tenir, comme les divinités des lieux, certaines grandes figures. Cette personnification du génie des temps en des individus illustres, bien qu'assurément favorisée par la distance, n'est pourtant pas une pure illusion de perspective. L'éloignement dégage et achève ces points

de vue, mais ne les crée pas. Il est des représentants naturels et vrais pour chaque moment social; mais d'un peu loin seulement, le nombre diminue, le détail se simplifie, et il ne reste qu'une tête dominante : Corinne, vue d'un peu loin, se détache mieux au cap Misène.

La Révolution française, qui, en aucune de ses crises, n'a manqué de grands hommes, a eu aussi ses femmes héroïques ou brillantes dont le nom s'approprie au caractère de chacune des phases successives. L'ancienne société en finissant a eu ses vierges et ses captives qui se sont couronnées d'un vif éclat dans les geôles et sur les échafauds. La bourgeoisie en surgissant a produit bien vite ses héroïnes aussi et ses victimes. Plus tard, l'orage à peine s'enfuyant, des groupes célèbres de femmes se sont élancés, qui ont fêté l'époque du retour à la vie sociale, à l'opulence et aux plaisirs. L'Empire a eu également ses distinctions dans ce sexe, alors pourtant de peu d'influence. On retrouve à la Restauration quelque nom de femme supérieure qui la représente dans la meilleure partie de ses mœurs et dans la distinction modérée de ses nuances. Mais ces diverses renommées successives, qui s'attachent à chacune des phases de la Révolution, viennent, en quelque sorte, trouver leur place et se donner rendez-vous en une seule célébrité

qui les comprend et les concilie toutes dans leur ensemble, qui participe de ce qu'elles eurent de brillant ou de dévoué, de poli ou d'énergique, de sentimental ou de viril, d'imposant, de spirituel et d'inspiré, en relevant de plus, en encadrant tous ces dons par le génie qui les fait valoir et les immortalise. Issue de souche réformatrice par son père, madame de Staël se rallie par son éducation et sa première jeunesse aux salons de l'ancien monde. Les personnages parmi lesquels elle a grandi et qui sourirent à son précoce essor, sont tous ceux qui composent le cercle le plus spirituel des dernières années d'autrefois. Lisant vers 1810, au temps de ses plus grandes persécutions, la correspondance de madame du Deffant et d'Horace Walpole, elle se retrouvait singulièrement émue au souvenir de ce grand monde, dont elle avait connu beaucoup des personnages et toutes les familles. Si elle s'y fit remarquer dans sa première attitude par quelque chose de sentimental et d'extrêmement animé, à quoi se prenaient certaines aristocraties envieuses, c'est qu'elle était destinée à porter du mouvement et de l'imprévu partout où elle se serait trouvée. Mais même en se continuant dans ce cercle pacifique, sa vie en devenait déjà l'un des plus incontestés ornements, et elle allait prolonger, sous une forme moins régulière et plus grandiose,

« PreviousContinue »