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A Mr. DE MOLIERE

ARE & fameux Efprit dont la fertile veine Ignore en écrivant le travail & la peine; Pour qui tient Apollon tous fes threfors ouvers, Et qui fçais à quel coin fe marquent les bons vers. Dans les combats d'efprit, fçavant Maiftre d'efcrime, Enfeigne moi, Moliere, où tu trouves la Rime. On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher : Jamais au bout du vers on ne te voit broncher; Et fans qu'un long détour t'arrefte, ou t'embarraffe, A peine as-tu parlé,. qu'elle même s'y place. Mais moi qu'un vain caprice, une bizarre humeur Pour mes pechez, je croi, fit devenir Rimeur: Dans ce rude métier, où mon efprit se tuë, En vain pour la trouver, je travaille, & je fuë. Souvent j'ai beau réver du matin jufqu'au foir: Quand je veux dire blanc, la quinteufe dit noir: Si je veux d'un Galant dépeindre la figure, Ma plume pour rimer trouve l'Abbé de P*** Si je penfe exprimer un Auteur fans defaut, La raifon dit Virgile, & la rime Kainaut. Enfin quoi que je faffe, ou que je veuille faire; La bizarre toujours vient m'offrir le contraire. De rage quelquefois ne pouvant la trouver, Trifte, las, & confus, je ceffe d'y réver: Et maudiffant vingt fois le Demon qui m'inspire,. Je fais mille fermens de ne jamais écrire : Mais quand j'ai bien maudit & Mufes & Phebus, Je la voi qui paroift, quand je n'y pense plus. Auffi-toft, malgré moi, tout mon feu fe rallume: Je reprends fur le champ le papier & la plume, Et de mes vains fermens perdant le fouvenir, J'attens de vers en vers qu'elle daigne venir.

Ex

Encor, fi pour rimer dans fa verve indifcrette,
Ma Mufe au-moins fouffroit une froide epithete::
Je ferois comme un autre; & fans chercher si loin,'
J'aurois toujours des mots, pour les coudre au befoin,
Sije loüois Philis, En miracles feconde ;

Je trouverois bientoft, Anulle autre feconde.
Si je voulois vanter un objet Nompareil:
Je mettrois à l'inftant, Plus beau que le Soleil.
Enfin parlant toujours d'Aftres & de Merveilles,
De Chef-d'œuvres des Gieux, de Beautex fans pareilles
Avec tous ces beaux mots fouvent mis au hazard,
Je pourrois aifément, fans genie, & fans art,.
Ettranfpofant cent fois & le Nom & le Verbe,
Dans mes vers recoufus mettre en pieces Malherbe
Mais mon efprit tremblant fur le choix de fes mots,
N'en dira jamais un s'il ne tombe à propos:
Et ne fçauroit fouffrir, qu'une phrafe infipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vuide:
Ainfi, recommençant un Ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit foit le premier dont la verve infenfée
Dans les bornes d'un vers renferma fa pensée,
Et donnant à fes mots une étroite prison,
Voulut avec la rime enchaîner la Raifon.
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,

Mes jours pleins de loifir couleroient fans envie,"
Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant;
Et comme un gras Chanonie, à mon aife, & content,
Paffer tranquillement, fans fouci, fans affaire,,
La nuit à bien dormir, & le jour à rien faire.
Mon cœur exempt de foins, libre de paffiona.
Sçait donner une borne à fon ambition,
Et fuyant des grandeurs la prefence importune
Je ne vais point au Louvre adorer la Fortune:
Et je ferois heureux, fi pour me confumer,
Un Deftin envieux ne m'avoit fait rimer,

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Et qu'un Demon jaloux de mon contentement, M'infpira le deffein d'ecrire poliment: Tous les jours malgré moi, cloüé fur un Ouvrage, Retouchant un endroit, effaçant une page, Enfin paffant ma vie en ce trifte métier, J'envie en écrivant le fort de Pelletier. Bienheureux Scutari! dont la fertile plume Peut tous les mois fans peine enfanter un volume. Tes écrits, il eft vrai, fans force & languiffans, Semblent eftre formez en dépit du bon fens: Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puiffe dire, Un Marchand pour les vendre, & des Sots pour les lire.. En quand la Rime enfin fe trouve au bout des vers, Qu'importe que le refte y foit mis de travers? Malheureux mille fois celui, dont la manie Veut aux regles de l'Art aflervir fon genie. Un Sot en écrivant fait tout avec plaifir: Il n'a point en fes vers l'embarras de choifir: Et toujours amoureux de ce quil vient d'écrire, Ravi d'etonnement, en foi-même il s'admire Mais un efprit fublime, en vain veut s'élever A ce degré parfait qu'il tâche de trouver. Et toujours mécontent de ce qu'il vient de faire, Il plaift à tout le monde, & ne fçauroit fe plaire. Ettel, dont en tous lieux chacun vante l'efprit, Voudroit pour fon repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc qui vois les maux où ma Mufe s'abîme, De grace, enfeigne moi l'Art de trouver la Rime: Ou, puifqu'enfin tes foins y feroient fuperflus, Moliere, enfeigne moi l'Art de ne rimer plus.

SA

A

Q

UEL fujet inconnu vous trouble & vous altere?
D'où vous vient aujourd'hui cet air fombre &
fevere,

Et ce vifage enfin plus pafle qu'un Rentier,
A l'afpect d'un Areft qui retranche un quartier ?
Qu'eft devenu ce teint, dont la couleur fleurie
Sembloit d'Ortolans feuls, & de Bisques nourie :
Où la joie en fon luftre attiroit les regards,
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts ?
Qui vous a pû plonger dans cette humeur chagrine?
A-t-on par quelque Edit reformé la cuisine? ›
Ou quelque longue pluie, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins & vos melons?
Rêpondez donc du-moins, ou bien je me retire."

P. Ah! de grace, un moment, fouffrez que je refpire,
Je fors de chez un Fat, qui pour m'empoifonner,
Je penfe, exprés chez lui m'a forcé de difner.
Je l'avois bien prévû. Depuis pres d'une année,
J'éludois tous les jours fa pourfuite obstinée.
Mais hier il m'aborde, & mé ferrant la main:
Ah! Monfieur, m'a-t-il dit, je vous attens demain,
N'y manquez pas au moins. J'ay quatorze Bouteilles
D'un vin vieux... Boucingo n'en a point de pareilles:
Et je gagerois bien que chez le Commandeur,
Villandri priferoit fa féve, & fa verdeur. bi
Moliere avec Tartuffe y doit jouer fon rôle :
Et Lambert, qui plus eft, m'a donné fa parole.
C'est tout dire en un mot, & vous le connoiffez.
Qui Lambert? Oui Lambert, A demain: C'eft affez,
Ce matin donc, feduit par fa vaine promeffe

J'y cours, midi fonnant au fortir de la Meffe.
A peine eftois-je entré, que ravi de me voir,
Mon homme en m'embraffant, m'eft venu recevoir :

Et

Et montrant à mes yeux une allegreffe entiere,
Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Moliere,
Mais puifque je vous voy, je me tiens trop content.
Vous eftes un brave homme: Entrez, on vous attend:
A ces mots, mais trop tard, reconnoiffant ma faute:
Je le fuis en tremblant dans une chambre haute,
Où, malgré les volets, le Soleil irrité

Formoit un poeffe ardent, au milieu de l'Esté
Le couvert eftoit mis dans ce lieu de plaisance:
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connoiffance,
Deux nobles Campagnards, grands lecteurs de Romans,
Qui m'ont dittout Cirus, dans leurs longs complimens.
J'enrageois. Cependant on apporte un potage.
Un Coq y paroiffoit en pompeux équipage,
Qui changeant fur ce plat & d'eftat & de nom,
Par tous les Conviez s'eft appellé Chappon.
Deux affiettes fuivoient, dont l'une eftoit ornée
D'une Langue en ragouft de perfil couronnée:
L'autre, d'un Godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondoit tous les bords.
On s'affied: mais d'abord, noitre troupe ferrée
Tenoit à peine autour d'une table quarée,
Où chacun, malgré foi, l'un fur l'autre porté,
Faifoit un tour à gauche, & mangeoit de cofté.
Jugez en cet eftat, fi je pouvois me plaire,
Moi qui ne conte rien ni le vin, ni la chere:
Si l'on n'eft plus au large affis en un feftin,
Qu'aux Sermons de Chaffaigne, ou de l'Abbé Cotin.
Nôtre Hofte, cependant, s'addreffant à la troupe :
Que vous femble, a-t-il dit, du gouft de cette foupe?
Sentez-vous le citron dont on a mis le jus,
Avec des jaunes d'œuf meflez dans du verjus?
Ma foi, vive Mignot, & tout ce qu'il apprefte.
Les cheveux cependant me dreffoient à la tefte:
Car Mignot, c'eft tout dire, & dans le monde entier,
Jamais empoisonneur ne fceut mieux fon métier.

J'ap

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