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lassitude générale que par une intime solidité d'organisation; qu'elle reste livrée à tous les hasards de la fantaisie individuelle; de toutes parts on aspire à l'ordre, à la stabilité, à l'unité. C'est le cri général Henri Estienne protestait contre le débordement de l'italianisme, au nom du « pur et simple » français : il est vrai que le latinisme ni l'hellénisme ne l'effrayaient. Mais Vauquelin prescrit d'être chiche et caut à former des mots nouveaux. Du Perron, dans sa Rhétorique sacrée, parle de fixer la langue. Étienne Pasquier estime que les changements n'ont pas été toujours des progrès, conseille de laisser la langue digérer ce qu'elle pourra des latinismes qu'elle a déjà absorbés, et rejeter le reste; et, pour l'enrichir à l'avenir, il compte sur l'exploitation des matériaux que l'usage du peuple fournira. Montaigne, nous l'avons vu, est d'un avis pareil, et il indique comme idéal à poursuivre la substantielle et nerveuse simplicité des anciens. On se demande où est le vrai français: aux Halles? au Palais? à la Cour? Pour Pasquier, il est par toute la France, dans toutes les provinces. L'usage de la Cour ne prévaudra qu'au début du siècle suivant 1. Ainsi, fixation, épuration, mise en valeur de la langue française, voilà les trois articles de la réforme universellement réclamée.

Ce sera l'œuvre de Malherbe il resserrera la poésie et la langue, qui s'écoulaient et se fondaient. Il les rendra plus denses, en leur retranchant du volume il donnera une structure artistique à la masse inorganique du vers et de la phrase.

1. Montaigne, 1, 25; III, 5; Pasquier, Lettres, II, 12.

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1. Le progrès de Malherbe. Sa personnalité, étroite et vigoureuse. Tendance à l'universel; goût de l'éloquence. 2. Desseins et théories de Malherbe la réforme de la langue. La réforme de la poésic. Il a sauvé l'art. Malherbe et Théophile. 3. Raisons du succès de Malherbe. Erreur capitale de sa pratique.

1. PROGRÈS ET CARACTÈRE DE MALHERBE.

Les premiers vers de Malherbe (1575) sont d'un provincial pour qui Vauquelin est un grand homme 2. Ses Larmes de saint Pierre (1587)

1. A consulter Lotheissen, Geschichte der franz. Literatur im xvi1 Jahrhundert Wien, 1877-84, 4 vol. in-8.

2. Biographie: François de Malherbe naquit à Caen en 1555 d'une famille de magistrats locaux, l'aine de neuf enfants. Son père était protestant dès 1511; quatre de ses frères et sœurs furent baptisés dans l'Eglise réformée. Malherbe resta catholique, s'attacha au duc d'Angoulême, fils naturel de Henri II, et le suivit en Provence comme secrétaire, en 1576. Il avait fait l'année précédente ses premiers vers, à l'occasion de la mort d'une jeune fille, Geneviève Rouxel. Il se maria en 1581 à la fille d'un président au Parlement de Provence, Madeleine de Coriolis, deux fois veuve déjà; il en eut trois enfants, à qui il survécut. Après la mort du duc d'Angoulème (1586), Malherbe vécut en Normandie, assez gêné. Il fit imprimer en 1587 ses Larmes de saint Pierre, qu'il dédia à Henri III. Il habita de nouveau en Provence de 1595

sont dignes de Desportes : l'original est italien, et la traduction en rend à merveille l'afféterie brillante. La consolation à Du Périer (1599) et l'ode à Marie de Médicis (1600) marquent une meilleure manière, et plus originale. Malherbe suit son siècle : il marche vers la simplicité et vers le naturel; ses vers ont cette abondance aisée, cette mollesse aimable, ces vives couleurs qui sont les qualités communes de la littérature au temps de Henri IV. Une touche plus ferme, certains accents de vigueur, et surtcut la beauté achevée du travail révèlent la personnalité de l'écrivain. La Prière pour le roi allant en Limousin, par la douce allure de la strophe fleurie d'images, n'est encore que la perfection du style des Montchrétien et des Bertaut: mais déjà dans l'ode sur l'attentat de Jacques des Isles (1606), plus sensiblement dans l'ode sur le voyage de Sedan (1607), le style se serre, se tend; les images se ramassent en traits énergiques et précis; l'effort de l'artiste qui veut égaler son expression à sa pensée se trahit par une sorte de brusquerie nerveuse; cette poésie forte, pleine, un peu dure, trouvera ses plus complètes expressions dans la Paraphrase du Psaume CXLV et dans l'Ode à Louis XIII allant châtier la Rebellion des Rochelois (1628).

Voilà le progrès de Malherbe, qui aboutit à la création du style dont la première génération des classiques du xviie siècle usera. Il n'avait pas un tempérament très riche. Chapelain estime qu'il «<a ignoré la poésie », et le met, pour le génie naturel, au-dessous de Ronsard, ce qu'accordent aussi La Bruyère et Boileau. En effet, si l'on regarde les quatre mille vers qu'il a écrits, ce n'est ni l'abondance des idées, ni la force de l'imagination, ni la profondeur du sentiment qu'on y peut admirer. Ce poète lyrique n'a

à 1598 et de 1599 à 1605. En 1600, à Aix, il offrit son Ode déjà de bienvenue à Marie de Médicis. En 1605, Des Yveteaux le présenta au roi, à qui Du Perron l'avait loué, et sur la recommandation de Henri IV, le grand écuyer, M. de Bellegarde, donna une charge d'écuyer du Roi au poète, qui fut aussi gentilhomme de la chambre. Il fut bien traité de la régente, qui lui donna une pension. Il était assez àpre solliciteur, et savait se faire payer de ses vers. Louis XIII lui donna 500 écus pour un sonnet, et Richelieu le fit trésorier de France. Séparé amicalement de sa femme, qui vivait en Provence, les grands chagrins lui vinrent par son fils Marc-Antoine, qui se fit condamner à mort pour duel, et qui, à peine gracié pour cette affaire, était tué dans une autre querelle en 1626: le vieux Malherbe poursuivit énergiquement le meurtrier et ses compagnons, qu'il accusait d'assassinat. Il mourut en 1628.

Éditions: Euvres, Paris, 1630, in-4; éd. Lalanne (coll. des Grands Ecrivains), Hachette, 5 vol. in 8, 1862. A consulter: Sainte-Beuve, Poésie au XVIe siècle, RouxAlpheran, Recherches biographiques sur Malherbe, Aix, 1840, in-8 De Gournay, Etude sur la vie et les œuvres de Malherbe (Mém. de l'Acad. de Caen), 1852. A. Gasté, la Jeunesse de Malherbe, Caen, 1890, in-8. G Allais, Malherbe, 1891 F. Brunot, la Doctrine de Malherbe, Paris, 1891, in-8. F. Brunetière, la Réforme de Malherbe et l'évolution des genres, Revue des Deux Mondes, 1er décembre 1892. Arnould, Anecdotes inédites sur Malherbe, supplément de la vie de Malherbe par Racan, Paris, 1892. V. Bourrienne, Malherbe, Points obscurs et nouveaux de sa vie normande, Paris, in-8, 1896.

guère parlé de la nature; il n'en tire même pas beaucoup de comparaisons, ou d'images; celles dont il use le plus volontiers, et qu'il répète infatigablement, il les prend moins dans la nature que dans la mythologie et l'histoire. Il a l'imagination livresque de l'honnête homme qui a fait ses classes et vécu à la ville. Il a parlé de l'amour, plus souvent qu'il ne l'a ressenti: plus ingénieux encore, plus guindė et plus alambiqué, quand il adresse ses propres soupirs à la vicomtesse d'Auchy, que lorsqu'il porte ceux du roi à la princesse de Conti. Il a parlé de la mort : toujours on sent Horace, ou Sénèque, ou la Bible derrière lui. Il n'a guère varié les éléments de sa poésie toutes ses grandes odes, à Henri IV, à Marie de Médicis, à Louis XIII, au duc de Bellegarde, présentent les mêmes matériaux et le même argument: éloge des actions passées, prédiction des prospérités futures, développements moraux et applications mythologiques. Jamais il n'a pu parler à Henri IV sans lui promettre la conquête de l'Égypte.

Mais méfions-nous : Malherbe a pourtant une personnalité vigoureuse. C'est quelqu'un, c'est même un étrange original, que ce gentilhomme de Normandie, si fier de sa race, d'un si robuste orgueil, au verbe rude et incivil, autoritaire, brusque, indifférent en religion, mais respectueux de la croyance du prince et de la majorité des sujets, très soumis à l'usage et très épris de raison, disputeur, argumenteur, philosophe et fataliste, plus stoïcien que chrétien, très matériel et positif, au demeurant honnête homme, et de plus riche sensibilité qu'on ne croirait d'abord. La mort de son fils Marc-Antoine l'affola: bien des années auparavant, il avait écrit à sa femme, sur la mort de leur filie, une lettre déchirante. Sa poésie est plus étroite et plus sèche que sa nature. Il n'a laissé passer dans ses vers que les parties de son humeur qui étaient inséparables en lui de toute pensée : il a retenu, renfermé tout ce qu'il a pu de ses émotions intimes. Ce consolateur de Du Périer n'a pas fait un vers sur ses propres enfants, qu'il pleurait. Je sens chez Malherbe, dans le choix des idées et des thèmes, un effort pour écarter le particulier, le subjectif : il choisit les sujets où son esprit communie avec l'esprit public, les sujets d'intérêt commun. Il chante la paix rendue à la France, l'ordre restauré avec la monarchie, la haine de la guerre religieuse et civile : choses qui lui tiennent au cœur, mais à tout le monde avec lui. Il dit aussi les grands lieux communs de la vie et de la mort; il les dit en apparence sans intérêt personnel, dérobant la particularité de ses expériences sous l'impersonnelle démonstration de la vérité générale. Qu'est-ce à dire, sinon qu'il élimine le lyrisme au profit de l'éloquence, qu'il donne à la raison la préférence sur le sentiment, et qu'enfin il est d'un temps où le moi commence à paraître haïssable?

Prenons Malherbe dans ses bonnes pièces, dans ses odes historiques et ses stances religieuses : ce sont des œuvres fortes et simples, où il y a, en vertu même des sujets, plus de conviction que de passion, plus de raisonnement que d'effusion; le mouvement, la chaleur viennent surtout de l'intelligence. Cela est sobre, juste, fort, exactement proportionné et solidement équilibré en un mot, cela est complet. Bonnes en elles-mêmes, ces pièces sont excellentes surtout par les leçons qu'elles donnent et Malherbe a bien entendu qu'il en fût ainsi. Sa pratique n'est que le reflet et l'effet de sa théorie, où l'ont amené, aux environs de l'an 1600, sa réflexion, le besoin profond de son esprit, et sans doute aussi le contact d'une intelligence telle qu'était celle du président Du Vair.

2. RÉFORME DE LA LANGUE ET DE LA POÉSIE.

Avec une très claire conscience du possible et du nécessaire en l'état présent des choses, Malherbe fit la liquidation générale du XVIe siècle. Il fut grammairien autant que poète; il se donna pour mission de réformer la langue et le vers, et d'enseigner aux poètes à manier ces deux outils du travail littéraire. Avant toute chose, il est de son temps; et c'est pour cela qu'il réussit. I ignore les Grecs, et méprise Pindare; il est plutôt latin; ou mieux il est tout français, et donne autorité à ceux des Latins qui lui offrent des modèles de son goût intime: aux orateurs tels que Tite-Live, aux moralistes tels que Sénèque, aux gens de savoir et d'esprit tels que Stace. Il méprise les Italiens, en théorie, encore qu'il se laisse aller trop souvent à faire des pointes. Il ne distingue la poésie de la prose que par le mécanisme, non point par la nature de l'inspiration. Dans l'une comme dans l'autre, il demande les mêmes qualités de conception et d'exécution, il poursuit le même résultat, qui est l'eloquence. Aussi sa doctrine, en dehors des règles techniques du vers, s'applique-t-elle à toute la littérature aussi bien qu'à la poésie.

Esprit exact plutôt que vaste, minutieux, formaliste, il s'attache passionnément à perfectionner la langue. Dans sa chambre de l'hôtel de Bellegarde, dont les six ou sept chaises étaient toujours occupées, il donnait des arrêts qui décidaient du sort des mots : de quel ton brusque et rogue, c'est ce que les lourdes incivilités du Commentaire sur Desportes nous permettent aisément d'imaginer. Tout ce qui regardait la pureté du langage était pour lui affaire d'importance. « Vous vous souvenez, dit Balzac, du vieux péda

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