Page images
PDF
EPUB

mais un roi de France, qui n'eft réellement que le difpenfateur de l'argent de fes fujets, ne peut guère être atteint de ce vice. L'attention et la volonté de récompenser peuvent lui manquer; mais c'eft ce qu'on ne peut reprocher à Louis XIV.

Dans le temps même qu'il commençait à encourager les talens par tant de bienfaits, l'usage que le comte de Buffy fit des fiens fut rigoureusement puni. On le mit à la baftille, en 1665. Les Amours des Gaules furent le prétexte de fa prifon. La véritable cause était cette chanson, où le roi était trop compromis, et dont alors on renouvela le fouvenir pour perdre Buffy à qui on l'imputait :

Que Deodatus eft heureux

De baifer ce bec amoureux,

Qui d'une oreille à l'autre va!
Alleluia.

Ses ouvrages n'étaient pas affez bons pour compenfer le mal qu'ils lui firent. Il parlaît purement fa langue : il avait du mérite, mais plus d'amour propre encore; et il ne fe fervit guère de ce mérite que pour se faire des ennemis. Louis XIV aurait agi généreufement s'il lui avait pardonné : il vengea son injure perfonnelle, en paraissant céder au cri public. Cependant le comte de Buffy fut relâché au

bout de dix-huit mois; mais il fut privé de fes charges, et refta dans la difgrâce tout le refte de fa vie, proteftant en vain à Louis XIV une tendreffe que ni le roi ni personne ne croyait fincère.

A

CHAPITRE

X X V I.

Suite des particularités et anecdotes.

LA gloire, aux plaisirs, à la grandeur, à la galanterie qui occupaient les premières années de ce gouvernement, Louis XIV voulut joindre les douceurs de l'amitié; mais il eft difficile à un roi de faire des choix heureux. De deux hommes auxquels il marqua le plus de confiance, l'un le trahit indignement, l'autre abufa de fa faveur. Le premier était le marquis de Vardes, confident du goût du roi pour madame de la Vallière. On fait que des intrigues de cour le firent chercher à perdre madame de la Vallière, qui par fa place devait avoir des jaloufes, et qui par fon caractère ne devait point avoir d'ennemis. On fait qu'il ofa, de concert avec le comte de Guiche et la comteffe de Soiffons, écrire à la reine régnante une lettre contre-faite, au nom du roi d'Espagne, fon père. Cette lettre apprenait à la reine ce qu'elle devait ignorer, et ce

qui ne pouvait que troubler la paix de la maifon royale. Il ajouta à cette perfidie la méchanceté de faire tomber les foupçons fur les plus 1665. honnêtes gens de la cour, le duc et la ducheffe de Navailles. Ces deux perfonnes innocentes furent facrifiées au reffentiment du monarque trompé. L'atrocité de la conduite de Vardes fut trop tard connue, et Vardes, tout criminel qu'il était, ne fut guère plus puni que les innocens qu'il avait accufés, et qui furent obligés de fe défaire de leurs charges, et de quitter la cour.

L'autre favori était le comte depuis duc de Lauzun, tantôt rival du roi dans fes amours paffagers, tantôt fon confident, et fi connu depuis par ce mariage qu'il voulut contracter trop publiquement avec Mademoiselle, et qu'il fit enfuite fecrètement malgré fa parole donnée à fon maître.

Le roi, trompé dans fes choix, dit qu'il avait cherché des amis, et qu'il n'avait trouvé que des intrigans. Cette connaiffance malheureufe des hommes, qu'on acquiert trop tard, lui faifait dire auffi : Toutes les fois que je donne une place vacante, je fais cent mécontens et un ingrat.

Ni les plaifirs, ni les embelliffemens des maifons royales et de Paris, ni les foins de la police du royaume, ne discontinuèrent pendant la guerre de 1666.

Racine eft

Le roi danfa dans les ballets jufqu'en 1670. Il avait alors trente-deux ans. On joua devant lui, à Saint-Germain, la tragédie de Britannicus; il fut frappé de ces vers:

Pour mérite premier, pour vertu fingulière,
Il excelle à traîner un char dans la carrière,
A difputer des prix indignes de fes mains,
A fe donner lui-même en fpectacle aux Romains.

Dès-lors il ne dansa plus en public: et le cause que poëte réforma le monarque. Son union avec Louis XIV ne danfe madame la ducheffe de la Vallière fubfiftait plus fur le toujours, malgré les infidélités fréquentes qu'il

théatre.

lui fefait. Ces infidélités lui coûtaient peu de foins. Il ne trouvait guère de femmes qui lui réfiftaffent, et revenait toujours à celle qui, par la douceur et par la bonté de fon caractère, par un amour vrai, et même par les chaînes de l'habitude, l'avait fubjugué fans art. Mais, dès l'an 1669, elle s'aperçut que madame de Montespan prenait de l'ascendant; elle combattit avec fa douceur ordinaire ; elle fupporta le chagrin d'être témoin longtemps du triomphe de fa rivale, et fans prefque fe plaindre; elle fe crut encore heureuse, dans fa douleur, d'être confidérée du roi qu'elle aimait toujours, et de le voir fans en être aimée.

Enfin,

Enfin, en 1675, elle embrassa la ressource des ames tendres, auxquelles il faut des sentimens vifs et profonds qui les fubjuguent. Elle crut que DIEU feul pouvait fuccéder dans fon cœur à fon amant. Sa converfion fut auffi célèbre que fa tendreffe. Elle fe fit carmélite à Paris, et perfévéra. Se couvrir d'un cilice, marcher pieds nus, jeûner rigoureufement, chanter, la nuit, au chœur dans une langue inconnue ; tout cela ne rebuta point la délicateffe d'une femme accoutumée à tant de gloire, de molleffe et de plaifirs. Elle vécut dans ces auftérités depuis 1675 jufqu'en 1710, fous le nom feul de fœur Louife de la miféricorde. Un roi qui punirait ainfi une femme coupable ferait un tyran ; et c'eft ainfi que tant de femmes se font punies d'avoir aimé. Il n'y a prefque point d'exemples de politiques qui aient pris ce parti rigoureux. Les crimes de la politique fembleraient cependant exiger plus d'expiations que les faibleffes de l'amour; mais ceux qui gouvernent les ames n'ont guère d'empire que fur les faibles.

On fait que quand on annonça à fœur Louife de la miféricorde la mort du duc de Vermandois qu'elle avait eu du roi, elle dit; Je dois pleurer fa naiffance encore plus que fa mort. Il lui resta une fille, qui fut de tous

Siècle de Louis XIV. Tome III.

E

« PreviousContinue »