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Ainfi en décrétant le cardinal de Bouillon, et en donnant ordre qu'on le mît dans les prifons de la conciergerie, fi on pouvait fe faifir de lui, on craignit qu'il ne montât fur un trône qui eft regardé comme le premier de la terre par tous ceux de la religion catholique; et qu'alors, en s'uniffant avec les ennemis de Louis XIV, il ne fe vengeât encore plus que le prince Eugène; les armes de l'Eglise ne pouvant rien par elles-mêmes, mais pouvant alors beaucoup par celles d'Autriche.

CHAPITRE XXXIX. Difputes fur les cérémonies chinoifes. Comment ces querelles contribuèrent à faire profcrire le chriftianifme à la Chine.

GE n'était pas affez, pour l'inquiétude de notre efprit, que nous difputaffions au bout de dix-fept cents ans fur des points de notre religion, il fallut encore que celle des Chinois entrât dans nos querelles. Cette dispute ne produifit pas de grands mouvemens; mais elle caractérifa, plus qu'aucune autre, cet efprit actif, contentieux et querelleur qui règne dans nos climats.

Le jéfuite Matthieu Ricci, fur la fin du dixfeptième fiècle, avait été un des premiers

miffionnaires de la Chine. Les Chinois étaient et font encore, en philofophie et en littérature, à peu-près ce que nous étions il y a deux cents ans. Le respect pour leurs anciens maîtres leur prescrit des bornes qu'ils n'ofent paffer. Le progrès dans les fciences eft l'ouvrage du temps et de la hardieffe de l'efprit. Mais la morale et la police étant plus aisées à comprendre que les fciences, et s'étant perfectionnées chez eux quand les autres arts ne l'étaient pas encore, il eft arrivé que les Chinois, demeurés depuis plus de deux mille ans à tous les termes où ils étaient parvenus, font reftés médiocres dans les fciences, et le premier peuple de la terre dans la morale et dans la police, comme le plus ancien. Chriftia- Après Ricci, beaucoup d'autres jéfuites nifme en pénétrèrent dans ce vafte empire; et, à la faveur des fciences de l'Europe, ils parvinrent à jeter fecrètement quelques femences de la religion chrétienne parmi les enfans du peuple, qu'ils inftruifirent comme ils purent. Des dominicains, qui partageaient la mission, accusèrent les jéfuites de permettre l'idolâtrie en prêchant le chriftianifme. La question était délicate, ainfi que la conduite qu'il fallait tenir à la Chine.

Chine.

Les lois et la tranquillité de ce grand empire font fondées fur le droit le plus naturel ensemble

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et le plus facré, le respect des enfans pour les pères. A ce respect ils joignent celui qu'ils doivent à leurs premiers maîtres de morale, et fur-tout à Contfuzée, nommé par nous Confucius, ancien fage qui, près de fix cents ans avant la fondation du chriftianifme, leur enfeigna la vertu.

Les familles s'affemblent en particulier à certains jours, pour honorer leurs ancêtres; les lettrés en public, pour honorer Confutzée. On fe profterne, suivant leur manière de faluer les fupérieurs, ce que les Romains qui trouvèrent cet ufage dans toute l'Afie, appelèrent autrefois adorer. On brûle des bougies et des paftilles. Des colaos, que les Portuguais ont nommés mandarins, égorgent deux fois l'an, autour de la falle où l'on vénère Confutzée, des animaux dont on fait enfuite des repas. Ces cérémonies font-elles idolâtriques ? font-elles purement civiles? reconnaît - on fes pères et Contfuzée pour des dieux ? font-ils même invoqués feulement comme nos faints? eft-ce enfin un ufage politique, dont quelques chinois fuperftitieux abusent? C'est ce que des étrangers ne pouvaient que difficilement démêler à la Chine, et ce qu'on ne pouvait décider en Europe.

Dominicains con

tre jéfui

Les dominicains déférèrent les ufages de la Chine à l'inquifition de Rome, en 1645. Le tes en

Chine.

Procès de

en cour

faint office, fur leur expofé, défendit ces cérémonies chinoifes, jufqu'à ce que le pape en

décidât.

Les jéfuites foutinrent la caufe des Chinois et de leurs pratiques, qu'il femblait qu'on ne pouvait profcrire, fans fermer toute entrée à la religion chrétienne, dans un empire fi jaloux de fes ufages. Ils repréfentèrent leurs raifons. L'inquifition, en 1656, permit aux lettrés de révérer Contfuzée, et aux enfans chinois d'honorer leurs pères, en proteftant contre la fuperftition, s'il y en avait.

L'affaire étant indécise, et les miffionnaires la Chine toujours divifés, le procès fut follicité à Rome de Rome. de temps en temps; et cependant les jéfuites qui étaient à Pekin, fe rendirent fi agréables à l'empereur Cam-hi, en qualité de mathématiciens, que ce prince, célèbre par fa bonté et par fes vertus, leur permit enfin d'être missionnaires, et d'enseigner publiquement le chriftianifme. Il n'eft pas inutile d'obferver que cet empereur fi defpotique, et petit-fils du conquérant de la Chine, était cependant fi foumis par l'ufage aux lois de l'empire, qu'il ne put de sa seule autorité permettre le chriftianifme, qu'il fallut s'adreffer à un tribunal, et qu'il minuta lui-même deux requêtes au nom des jéfuites. Enfin, en 1692, le chriftianisme fut permis à la Chine, par les foins infatiga bles et par l'habileté des feuls jésuites.

Il

y

a dans Paris une maison établie pour les miffions étrangères. Quelques prêtres de cette maison étaient alors à la Chine. Le pape, qui envoye des vicaires apoftoliques dans tous les pays qu'on appelle les parties des infidèles , choifit un prêtre de cette maifon de Paris, nommé Maigrot, pour aller préfider, en qualité de vicaire, à la miffion de la Chine, et lui donna l'évêché de Conon, petite province chinoife dans le Fokien. Ce français, évêque à la Chine, déclara non seulement les rites obfervés pour les morts, fuperftitieux et idolâtres, mais il déclara les lettres athées. C'était le fentiment de tous les rigoriftes de France. Ces mêmes hommes, qui fe font tant Contrarécriés contre Bayle, qui l'ont tant blâmé impertid'avoir dit qu'une fociété d'athées pouvait nentes au fubfifter, qui ont tant écrit qu'un tel établif- fujet de la fement eft impoffible, foutenaient froidement que cet établissement florissait à la Chine dans le plus fage des gouvernemens. Les jéfuites eurent alors à combattre les miffionnaires leurs confrères, plus que les mandarins et le peuple. Ils représentèrent à Rome, qu'il paraiffait affez incompatible que les Chinois fuffent à la fois athées et idolâtres. On reprochait aux lettrés de n'admettre que la matière; en ce cas il était difficile qu'ils invoquaffent les ames de leurs pères et celle de Confutzée. Un

dictions

Chine,

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