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mouvante, et en defcendirent pour faire pofer fur les tables ce que les campagnes et les forêts produifent de plus délicieux. Derrière les tables, en demi-cercle, s'éleva tout d'un coup un théâtre chargé de concertans. Les arcades qui entouraient la table et le théâtre, étaient ornées de cinq cents girandoles vertes et argent, qui portaient des bougies; et une balustrade dorée fermait cette vafte enceinte.

Ces fêtes, fi fupérieures à celles qu'on invento dans les romans, durèrent fept jours. Le roi remporta quatre fois le prix des jeux, et laiffa difputer enfuite aux autres chevaliers les prix qu'il avait gagnés, et qu'il leur abandonnait.

La comédie de la princeffe d'Elide, quoiqu'elle ne foit pas une des meilleures de Molière, fut un des plus agréables ornemens de ces jeux, par une infinité d'allégories fines fur les mœurs du temps, et par des à-propos qui font l'agrément de ces fêtes, mais qui font perdus pour la poftérité. On était encore très-entêté, à la cour, de l'aftrologie judiciaire : plufieurs princes penfaient, par une fuperftition orgueilleufe, que la nature les diftinguait jusqu'à écrire leur deftinée dans les aftres. Le duc de Savoie, Victor-Amédée, père de la ducheffc de Bourgogne, eut un aftrologue auprès de lui, même après fon abdication. Molière ofa attaquer cette illufion dans les Amans magnifiques, joués dans une autre fête, en 1670. .

teux.

ainfi Fous de On y voit auffi un fou de cour, que cour, dans la Princeffe d'Elide. Ces miférables étaient divertiffeenthon- encore fort à la mode. C'était un refte de barbarie, qui a duré plus long-temps en Allemagne qu'ailleurs. Le befoin des amusemens, l'impuiffance de s'en procurer d'agréables et d'honnêtes dans les temps d'ignorance et de mauvais goût avaient fait imaginer ce triste plaifir, qui dégrade l'esprit humain. Le fou qui était alors auprès de Louis XIV, avait appartenu au prince de Condé : il s'appelait l'Angeli. Le comte de Grammont disait que de tous les fous qui avaient suivi M. le Prince, il n'y avait que l'Angeli qui eût fait fortune. Ce bouffon ne manquait pas d'efprit. C'eft lui qui dit qu'il n'allait pas au fermon, parce qu'il n'aimait pas le brailler, et qu'il n'entendait pas le raisonner.

1664.

La farce du Mariage forcé fut auffi jouée à cette fête. Mais ce qu'il y eut de véritablement admirable, ce fut la première représentation des trois premiers actes du Tartuffe. Le roi voulut voir ce chef-d'œuvre, avant même qu'il fût achevé. Il le protégea depuis contre les faux dévots, qui voulurent intéreffer la terre et le ciel pour le fupprimer; et il fubfiftera, comme on l'a déjà dit ailleurs, tant qu'il y aura en France du goût et des hypocrites.

La plupart de ces folennités brillantes ne font fouvent que pour les yeux et les oreilles.

Ce qui n'eft que pompe et magnificence passe en un jour; mais quand des chefs-d'œuvre de l'art, comme le Tartuffe, font l'ornement de ces fêtes, elles laiffent après elles une éternelle mémoire.

On fe fouvient encore de plufieurs traits de ces allégories de Benferade, qui ornaient les ballets de ce temps-là. Je ne citerai que ces vers pour le roi représentant le foleil.

Je doute qu'on le prenne avec vous fur le ton
De Daphné ni de Phaëton.

Lui trop ambitieux, elle trop inhumaine :

Il n'eft point là de piége où vous puiffiez donner; Le moyen de s'imaginer

Qu'une femme vous fuie, et qu'un homme vous mène?

La principale gloire de ces amusemens, qui perfectionnaient en France le goût, la politesse et les talens, venait de ce qu'ils ne dérobaient rien aux travaux continuels du monarque. Sans ces travaux il n'aurait fu que tenir une cour, il n'aurait pas fu régner; et fi les plaifirs magnifiques de cette cour avaient infulté à la misère du peuple, ils n'euffent été qu'odieux: mais le même homme qui avait donné ces fêtes, avait donné du pain au peuple dans la difette de 1662. Il avait fait venir des grains, que les riches achetèrent à vil prix, et dont il fit des dons aux pauvres familles, à la porte du louvre:

Le légat

il avait remis au peuple trois millions de tailles : nulle partie de l'adminiftration intérieure n'était négligée. Son gouvernement était respecté au dehors, le roi d'Espagne obligé de lui céder la préféance, le pape forcé de lui faire fatisfaction, Dunkerque ajouté à la France par un marché glorieux à l'acquéreur et honteux pour le vendeur; enfin toutes fes démarches, depuis qu'il tenait les rênes, avaient été ou nobles ou utiles il était beau après cela de donner des fêtes.

:

Le légat à latere, Chigi, neveu du pape vient de Alexandre VII, venant au milieu de toutes les

mander

fête.

pardon. réjouiffances de Versailles faire fatisfaction au Autre roi de l'attentat des gardes du pape, étala à la cour un spectacle nouveau. Ces grandes céré1664. monies font des fêtes pour le public. Les honneurs qu'on lui fit rendaient la fatisfaction plus éclatante. Il reçut, fous un dais, les respects des cours fupérieures, du corps de ville, du clergé. Il entra dans Paris au bruit du canon, ayant le grand Condé à fa droite et le fils de ce prince à fa gauche, et vint dans cet appareil s'humilier, lui, Rome et le pape, devant un roi qui n'avait pas encore tiré l'épée. Il dîna avec Louis XIV après l'audience; et on ne fut occupé que de le traiter avec magnificence, et de lui procurer des plaifirs. On traita depuis le doge de Gènes avec moins d'honneurs, mais

avec ce même empreffement de plaire, que le roi concilia toujours avec fes démarches altières. Tout cela donnait à la cour de Louis XIV un Querelles des pairs. air de grandeur qui effaçait toutes les autres cours de l'Europe. Il voulait que cet éclat, attaché à sa personne, réjaillît sur tout ce qui l'environnait ; que tous les grands fuffent honorés, et qu'aucun ne fût puiffant, à commencer par fon frère et par M. le Prince. C'est dans cette vue qu'il jugea, en faveur des pairs, leur ancienne querelle avec les préfidens du parlement. Ceux-ci prétendaient devoir opiner avant les pairs, et s'étaient mis en poffeffion de ce droit. Il régla dans un confeil extraordinaire que les pairs opineraient aux lits de juftice, en présence du roi, avant les préfidens, comme s'ils ne devaient cette prérogative qu'à fa présence; et il laissa subfifter l'ancien usage dans les affemblées qui ne font pas des lits de juftice.

Pour diftinguer fes principaux courtifans, il Habits. avait inventé des cafaques bleues, brodées d'or à brevet. et d'argent. La permiffion de les porter était une grande grâce pour des hommes que la vanité mène. On les demandait prefque comme le collier de l'ordre. On peut remarquer, puifqu'il eft ici queftion de petits détails, qu'on portait alors des cafaques par-deffus un pourpoint orné de rubans, et fur cette cafaque

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