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perfection dont elle eft capable, en profitant des lumières de nos voisins.

Voilà en général un tableau fidèle des progrès de l'efprit humain chez les Français dans ce fiècle, qui commença au temps du cardinal de Richelieu, et qui finit de nos jours. Il fera difficile qu'il foit furpassé; et s'il l'eft en quelques genres, il reftera le modèle des âges encore plus fortunés qu'il aura fait naître.

CHAPITRE XXXIV.

Des beaux arts en Europe,du temps de Louis XIV. Nous avons affez infinué dans tout le cours de cette histoire que les défaftres publics dont elle eft compofée, et qui fe fuccèdent les uns aux autres prefque fans relâche, font à la longue effacés des regiftres des temps., Les détails et les refforts de la politique tombent dans l'oubli. Les bonnes lois, les inftituts, les monumens produits par les sciences et par les arts, fubfiftent à jamais.

La foule des étrangers qui voyagent aujourd'hui à Rome, non en pélerins, mais en hommes de goût, s'informe peu de Grégoire VII et de Boniface VIII; ils admirent les temples que les Bramante et les Michel Ange ont élevés,

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Pourquoi

ce fiècle

eftcelui de

les tableaux des Raphaël, les fculptures des Bernini; s'ils ont de l'efprit, ils lifent l'Ariofte et le Taffe; et ils refpectent la cendre de Galilée. En Angleterre on parle un moment de Cromwell; on ne s'entretient plus des guerres de la rofe blanche; mais on étudie Newton des années entières ; on n'eft point étonné de lire dans fon épitaphe qu'il a été la gloire du genre humain, et on le ferait beaucoup fi on voyait en ce pays les cendres d'aucun homme d'Etat honorées d'un pareil titre.

Je voudrais ici pouvoir rendre juflice à tous les grands hommes qui ont comme lui illuftrẻ Louis XIV. leur patrie dans le dernier fiècle. J'ai appelé ce fiècle celui de Louis XIV, non-seulement parce que ce monarque a protégé les arts beaucoup plus que tous les rois fes contemporains enfemble, mais encore parce qu'il a vu renouveler trois fois toutes les générations des princes de l'Europe. J'ai fixé cette époque à quelques années avant-Louis XIV, et à quelques années après lui; c'eft en effet dans cet efpace de temps que l'efprit humain a fait les plus grands progrès.

Milton.

Les Anglais ont plus avancé vers la perfection prefque en tous les genres, depuis 1660 jufqu'à nos jours, que dans tous les fiècles précédens. Je ne répéterai point ici ce que j'ai dit ailleurs de Milton. Il eft vrai

que plufieurs critiques lui reprochent la bizarrerie dans fes peintures, fon paradis des fots, fes murailles d'albâtre qui entourent le paradis terreftre; fes diables qui, de géans qu'ils étaient, fe transforment en pygmées pour tenir moins de place au conseil, dans une grande falle toute d'or bâtie en enfer: les canons qu'on tire dans le ciel, les montagnes qu'on s'y jette à la tête; des anges à cheval, des anges qu'on coupe en deux, et dont les parties fe rejoignent foudain. On fe plaint de fes longueurs, de ses répétitions; on dit qu'il n'a égalé ni Ovide ni Héfiode, dans fa longue description de la manière dont la terre, les animaux et l'homme furent formés. On cenfure fes differtations fur l'aftronomie, qu'on croit trop sèches, et fes inventions qu'on croit plus extravagantes que merveilleuses, plus dégoûtantes que fortes; telles font une longue chauffée sur le chaos ; le péché et la mort amoureux l'un de l'autre, qui ont des enfans de leur incefte; èt la mort qui lève le nez pour renifler à travers l'immenfité du chaos le changement arrivé à la terre, comme un corbeau qui fent les cadavres ; cette mort qui flaire l'odeur du péché, qui frappe de sa massue pétrifique fur le froid et fur le fec; ce froid et ce fec, avec le chaud et l'humide qui, devenus quatre braves généraux d'armée, conduisent en bataille des embryons d'atomes

Dryden.

Pope.

Addiffon.

armés à la légère. Enfin on s'eft épuifé fur les critiques, mais on ne s'épuise pas fur les louanges. Milton refte la gloire et l'admiration de l'Angleterre : on le compare à Homère, dont les défauts font auffi grands; et on le met au-deffus du Dante, dont les imaginations font encore plus bizarres.

Dans le grand nombre des poëtes agréables qui décorèrent le règne de Charles II, comme les Waller, les comtes de Dorfet et de Rochester, le duc de Buckingham, &c. on diftingue le célèbre Dryden, qui s'eft fignalé dans tous les genres de poëfie: fes ouvrages font pleins de détails naturels à la fois et brillans, animés, vigoureux, hardis, paffionnés ; mérite qu'aucun poëte de fa nation n'égale, et qu'aucun ancien n'a furpaffé. Si Pope, qui eft venu après lui, n'avait pas, fur la fin de fa vie, fait fon Effai fur l'homme, il ne ferait pas comparable à Dryden.

Nulle nation n'a traité la morale en vers avec plus d'énergie et de profondeur que la nation anglaife; c'eft-là, ce me femble, le plus grand mérite de fes poëtes.

Il y a une autre forte de littérature variée, qui demande un efprit plus cultivé et plus univerfel; c'est celle qu'Addisson a poffédée ; non-feulement il s'eft immortalifé par son Caton, la feule tragédie anglaise écrite avec

une élégance et une nobleffe continue; mais fes autres ouvrages de morale et de critique respirent le goût; on y voit par-tout le bon fens paré des fleurs de l'imagination; sa manière d'écrire eft un excellent modèle en tout pays. Il y a du doyen Swift plusieurs morceaux dont on ne trouve aucun exemple dans l'antiquité; c'est Rabelais perfectionné.

Les Anglais n'ont guère connu les oraifons funèbres; ce n'est pas la coutume chez eux de louer des rois et des reines dans les églises; mais l'éloquence de la chaire, qui était trèsgroffière à Londres avant Charles II, fe forma tout d'un coup. L'évêque Burnet avoue dans fes mémoires, que ce fut en imitant les Français. Peut-être ont-ils furpaffé leurs maîtres : leurs fermons font moins compaffés, moins affectés, moins déclamateurs qu'en France.

Il eft encore remarquable que ces infulaires féparés du refte du monde, et inftruits fi tard, aient acquis pour le moins autant de connaiffances de l'antiquité qu'on en a pu rassembler dans Rome, qui a été si long-temps le centre des nations. Marsham a percé dans les ténèbres de l'ancienne Egypte ; il n'y a point de perfan qui ait connu la religion de Zoroaftre comme le favant Hyde. L'hiftoire de Mahomet et des temps qui le précèdent était ignorée des Turcs, et a été développée par l'anglais Sale, qui a voyagé fi utilement en Arabie.

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