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Le roi qui, dans un premier mouvement d'indignation, avait été tenté de faire arrêter le furintendant, au milieu même de la fête qu'il en recevait, ufa enfuite d'une diffimulation peu néceffaire. On eût dit que ce monarque, déjà tout puissant, eût craint le parti que Fouquet s'était fait.

Il était procureur général du parlement; et cette charge lui donnait le privilége d'être jugé par les chambres affemblées; mais, après que tant de princes, de maréchaux et de ducs avaient été jugés par des commissaires, on eût pu traiter comme eux un magiftrat, puisqu'on voulait fe fervir de ces voies extraordinaires qui, fans être injuftes, laissent toujours un foupçon d'injuftice.

Colbert l'engagea par un artifice peu honorable à vendre fa charge. On lui en offrit jufqu'à dix-huit cents mille livres, qui vaudraient trois millions et demi de nos jours et par un mal-entendu il ne la vendit que quatorze cents mille francs. Le prix exceffif des places au parlement, fi diminué depuis, prouve quel refte de confidération ce corps avait confervé dans son abaissement même. Le duc de Guife, grand chambellan du roi, n'avait vendu cette charge de la couronne au duc de Bouillon. que huit cents mille livres.

C'était la fronde, c'était la guerre de Paris

qui avait mis ce prix aux charges de judicature. Si c'était un des grands défauts et un des grands malheurs d'un gouvernement longtemps obéré, que la France fut l'unique pays de la terre où les places de juges fuffent vénales; c'était une fuite du levain de la fédition, et c'était une espèce d'infulte faite au trône, qu'une place de procureur du roi coûtât plus que les premières dignités de la couronne.

Belle

Fouquet

Fouquet, pour avoir diffipé les finances de l'Etat, et pour en avoir ufé comme des fiennes propres, n'en avait pas moins de grandeur dans l'ame. Ses déprédations n'avaient été que des licences et des libéralités. Il fit porter à l'épargne le prix de fa charge; et cette belle action de action ne le fauva pas. On attira avec adreffe inutile. à Nantes un homme qu'un exempt et deux 1661. gardes pouvaient arrêter à Paris. Le roi lui fit des careffes avant fa difgrâce. Je ne fais pour- Diffimu quoi la plupart des princes affectent d'ordinaire lation de de tromper, par de fauffes bontés, ceux de peu hono leurs fujets qu'ils veulent perdre. La diffimula- rable. tion alors eft l'oppofé de la grandeur. Elle n'est jamais une vertu, et ne peut devenir un talent eftimable que quand elle eft abfolument néceffaire. Louis XIV parut fortir de fon caractère; mais on lui avait fait entendre que Fouquet fefait de grandes fortifications à Belle-Isle, et qu'il pouvait avoir trop de liaisons au dehors et au

Louis XIV,

dedans du royaume. Il parut bien, quand il fut arrêté et conduit à la baftille et à Vincennes, que fon parti n'était autre chofe que l'avidité de quelques courtifans et de quelques femmes, qui recevaient de lui des pensions, et qui l'oublièrent dès qu'il ne fut plus en état d'en donner. Il lui refta d'autres amis, et cela prouve qu'il en méritait. L'illuftre madame de Sévigné, Péliffon, Gourville, mademoiselle Scudéri, plufieurs gens de lettres fe déclarèrent hautement pour lui, et le servirent avec tant de chaleur qu'ils lui fauvèrent la vie. On connaît ces vers de Hénault, le traducperfécu- teur de Lucrèce, contre Colbert, le perfécuteur Fouquet. de Fouquet:

Colbert

teur de

Miniftre avare et lâche, esclave malheureux,

Qui gémis fous le poids des affaires publiques;
Victime dévouée aux chagrins politiques,
Fantôme révéré fous un titre onéreux;

Vois combien des grandeurs le comble eft dangereux;
Contemple de Fouquet les funeftes reliques ;
Et, tandis qu'à fa perte en fecret tu t'appliques,
Crains qu'on ne te prépare un deftin plus affreux :
Sa chûte quelque jour te peut être commune.
Crains ton pofte, ton rang, la cour et la fortune.
Nul ne tombe innocent d'où l'on te voit monté.

Ceffe donc d'animer ton prince à fon fupplice ;
Et, près d'avoir besoin de toute fa bonté,
Ne le fais pas user de toute fa justice.

M. Colbert, à qui l'on parla de ce fonnet injurieux, demanda fi le roi y était offensé? On lui dit que non : " Je ne le fuis donc pas " répondit le miniftre. "

Il ne faut jamais être la dupe de ces réponfes méditées, de ces difcours publics que le cœur défavoue. Colbert paraiffait modéré, mais il poursuivait la mort de Fouquet avec acharnement. On peut être bon ministre et vindicatif. Il eft trifte qu'il n'ait pas fu être auffi généreux que vigilant.

Un des plus implacables de fes perfécuteurs était Michel le Tellier, alors fecrétaire d'Etat et fon rival en crédit. C'est celui-là même qui fut depuis chancelier. Quand on lit fon oraifon funèbre, et qu'on la compare avec fa conduite, que peut-on penser, finon qu'une oraison funèbre n'eft qu'une déclamation? Mais le chancelier Séguier, préfident de la com- Le chanmiffion, fut celui des juges de Fouquet qui celier poursuivit fa mort avec le plus d'acharnement, méchant. et qui le traita avec le plus de dureté.

Il eft vrai que faire le procès du furintendant, c'était accufer la mémoire du cardinal Mazarin. Les plus grandes déprédations dans

Séguier

plus cou

Mazarin les finances étaient fon ouvrage. Il s'était beaucoup approprié en fouverain plufieurs branches des pable que revenus de l'Etat. Il avait traité en fon nom Fouquet. et à fon profit des munitions des armées. " II

" imposait (dit Fouquet dans fes défenses) par , lettres de cachet, des fommes extraordinaires ,, fur les généralités; ce qui ne s'était jamais " fait que par lui et pour lui, et ce qui eft punissable de mort par les ordonnances.,, C'eft ainfi que le cardinal avait amaffé des biens immenfes, que lui-même ne connaissait plus.

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J'ai entendu conter à feu M. de Caumartin, intendant des finances, que dans fa jeuneffe, quelques années après la mort du cardinal, il avait été au palais Mazarin, où logeait le duc, fon héritier, et la ducheffe Hortenfe; qu'il y vit une grande armoire de marqueterie, fort profonde, qui tenait du haut jusqu'en bas tout le fond d'un cabinet. Les clefs en avaient été perdues depuis long-temps, et l'on avait négligé d'ouvrir les tiroirs. M. de Caumartin, étonné de cette négligence, dit à la ducheffe de Mazarin qu'on trouverait peut-être des curiofités dans cette armoire. On l'ouvrit : elle était toute remplie de quadruples, de jetons et de médailles d'or. Madame de Mazarin enjeta au peuple des poignées par les fenêtres, pendant plus de huit jours. (f)

(f) J'ai retrouvé depuis cette même particularité dans

Saint-Evremond.

L'abus

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