Page images
PDF
EPUB

Tu seras chátré dé ta témérité.:

Sire, répond l'agneau, que votre majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,

Plus de vingt pas s au-dessous d'elle
Et que, par conséquent, en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson. -

Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi ta médis, l'an passé.
Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né !
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère.
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

[ocr errors]

Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère;

Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit il faut que je me venge
Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

[graphic]

XI. L'HOMME ET SON IMAGE.

DUC DE LA ROCHEFOUCAUL D.

POUR M. LE DUG DETA

Un homme, qui s'aimait sans avoir de rivaux,

Passait dans son esprit pour le plus beau du monde:

Il accusait toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait toujours à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames :
'Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.

́Que fait notre Narcisse ? (1) il se va confiner
Aux lieux les plus eachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal formé par une source pure,
-Se trouve en ces lieux écartés :

Il s'y voit, il se fache; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau :
Mais quoi ! le canal est si beau,
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous; et cette erreur extréme Est un mal que chacun se plaît d'entretenir. Notre âme, c'est cet homme amoureux de lui-même ; Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui, Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes . Et quand au canal, c'est celui

Que chacun sait, le livre des Maximes. (2)

1 Jeune homme qui devint amoureux de lui-même.

2 Celui des maximes morales, composé par le duc de la ROchefoucauld.

XII. LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON A PLUSIEURS QUEUES.

UN envoyé du grand Seigneur

Préférait, dit l'histoire, un jour chez l'empereur;
Les forces de son maître à celles de l'empire.
Un allemand se mit à dire :

Notre prince a des dépendans

Qui de leur chef sont si puissans,

Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée.

[graphic]

Le chiaoux, homme de sens
Lui dit: Je sais par renommée

Ce que chaque électeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d'une hydre au travers une haie.
Mon sang commence à se glacer

Et je crois qu'à moins on s'effraie.
Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal:
Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
Je rêvais à cette aventure,

Quand un autre dragon, qui n'avait qu'un seul chef,
Et bien plus d'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi de rechef

D'étonnement et d'épouvante.

Ce chef passe, et le corps ; et chaque queue aussi :
Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre.
Je soutiens qu'il en est ainsi

De votre empereur et du nôtre.

[graphic]

XIII. LES VOLEURS ET L'ANE.

POUR un åne enlevé deux voleurs se battaient : L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre. Tandis que coups de poings trottaient, Et que nos champions songeaient à se défendre, Arrive un troisième larron,

Qui saisit maître Aliboron. (1)

L'ane, c'est quelquefois une pauvre province:
Les voleurs sont tel et tel prince,

Comme le Transilvain, le Turc et le Hongrois:
Au lieu de deux j'en ai rencontré trois":
Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise;
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

1 Nom burlesque qu'on donne à l'âne.

XIV. SIMONIDE PRÉSERVE PAR LES DIEUX.

ON ne peut trop louer trois sortes

Ide.

personnes:
Les dieux, sa maitresse et son roi.
Malherbe (1) le disait: je souscris quant à moi,
Ce sont maximes toujours bonnes.

La louange chatouille et gagne les esprits:
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix.
4 Poète français.

[graphic]

Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée.
Simonide (2) avait entreprison SM

L'éloge d'un athlète, et la chose essayée, qua odmo
Il trouva son sujet plein de récits tout hus.
Les parens de l'athlète étaient gensi inconnus on 00
Son père un bon bourgeois; lui, sans autre mérite:
Matière infertile et petite. secondog sa

[ocr errors]

Le poète d'abord parla de son héros.n
Après en avoir dit ce qu'il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos

De Castor et Pollux (3) ne manque pas d'écriress
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux;
Elevant leurs combats, spécifiant les lieux11
Où ces frères s'étaient signalés davantage
Enfin l'éloge de ces dieux

Faisait les deux tiers de l'ouvrage. noon of

L'athlète avait promis d'en payer un talent.:

Mais quand il le vit, le galant

[ocr errors]

N'en donna que le tiers; et dit, fort franchement, f
Que Castor et Pollux acquittassent le reste:
Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je vous veux traiter dependant;

Venez souper chez moi nous ferons bonne vie;

[blocks in formation]
« PreviousContinue »