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Écrite dans un excellent esprit, elle produit sur l'ame du lecteur des impressions aussi salutaires que profondes. L'homme le plus indifférent, s'il lit ce livre avec un esprit dégagé de toute prévention, ne pourra que prendre en pitié la doctrine réformée, si variable, si inconsistante, si peu en harmonie avec elle-même. Mais il éprouvera des mouvemens de haine et d'indignation en étudiant ce théocrate sans entrailles, qui, partant des principes les plus libéraux, est parvenu à étouffer en ses mains la civilisation, les arts, la liberté. En revanche combien la doctrine immuable du catholicisme, l'influence salutaire de cette religion sainte sur le bien-être des peuples, son action sur le développement des lumières, la charité qui en est l'âme et la vie, ne doivent-elles pas gagner dans ce parallèle perpétuel que M. Audin a maintenu dans tout son ouvrage avec autant de goût que de science?

La Vie de Calvin est un ouvrage de longue haleine et qui suppose des lectures immenses. L'auteur a épuisé non-seulement les documens imprimés français, latins et allemands, mais encore ceux qui sont restés manuscrits dans la poussière des bibliothèques et des archives, et ces derniers lui ont même fourni quelques faits nouveaux qui sont du plus haut intérêt. Mais s'il importe de recueillir un grand nombre de faits, il n'est pas moins indispensable de les ranger avec méthode. Celle qu'a suivie M. Audin a quelque chose de saisissant, de dramatique, qui ne laisse jamais languir l'attention. Par exemple, veut-il exposer les dogmes de Calvin ? il ne vient pas lui-même dérouler sous les yeux du lecteur un long chapitre didactique; mais il vous introduit dans un cabaret de Strasbourg, où, au milieu des pots, un disciple de Calvin se défend contre les attaques subtiles de Gérard Kaufmann, ancien sacristain de Saint-Pierre, et maintenant gardien du cimetière de la ville. Ailleurs c'est un vénérable religieux, le P. Athanasius, demeurant à Stanzad, dans l'ancienne habitation du bienheureux Nicolas de Flue, qui, à propos du catéchisme dont il vient d'adresser les questions à de pauvres petits enfans, cite, avec une inépuisable richesse de mémoire, toutes les contradictions dogmatiques des coryphées de la ré

forme, et démontre par là l'impossibilité où ils sont de donner un catéchisme à leurs sectateurs.

Lorsqu'une digression intéressante ou instructive se présente sous la plume de M. Audin, il se garde bien de la laisser échapper. C'est ainsi qu'à propos des études de Calvin à l'Université de Paris il a initié ses lecteurs à la vie turbulente des écoliers du 16° siècle et noté les priviléges exorbitans dont ils jouissaient dans presque toutes les universités. Plus tard, la lutte de Calvin avec les libertins de Genève lui donne l'occasion d'esquisser les mœurs de la bourgeoisie dans les grandes villes, et ce tableau n'est pas un des moins intéressans au milieu d'une foule d'autres que renferme l'ouvrage. Les amis, les victimes et les adversaires de Calvin ont été soigneusement étudiés par l'historien, qui trace leur portrait, raconte leur vie, fait connaître leur esprit, leurs mœurs, leur caractère, analyse leurs écrits, apprécie enfin l'influence bonne ou mauvaise qu'ils ont exercée sur leurs contemporains. Ainsi Farel, Viret, Bucer, Zwingli, Bèze, Castalion, Occhino, Gentilis, Bolsec, Servet; et parmi les catholiques, Gabriel de Jaconnay et Sadolet, seront presqu'aussi bien connus que Calvin à celui qui aura lu avec attention les deux volumes dont nous venons de rendre compte. De plus, ces nombreux portraits jettent de la variété dans l'ouvrage, soutiennent l'intérêt en le partageant sur divers sujets, et servent encore, chacun d'une manière différente, à faire ressortir la figure principale.

Le style du livre mérite aussi des éloges, mais donne lieu cependant à quelques observations critiques. Nous pensons que M. Audin écrit trop à la hâte, et ne revoit pas avec assez de soin ce qu'il a écrit. De là une foule de locutions impropres. Ainsi (t. I, p. 408): une parole teinte au souffle de Luther et de Zwingli; plus loin (p. 504), les ministres découragés demandèrent leur démission; il fallait écrire donnèrent ou offrirent. Souvent ces négligences deviennent de véritables contre-sens. Ainsi on ne lit pas sans étonnement, à la page 31 du second volume, que, d'après les réglemens de Calvin, l'habitant de la campagne qui n'assistait pas à la messe payait 3 sous d'amende. Souvent ces fautes sont du fait de l'imprimeur; mais l'auteur qui revoit,

ou qui du moins est censé revoir ses épreuves, n'est pas à l'abri de tout reproche. On lit p. 45 du tome II : « Comme il

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y a dans

« l'homme deux élémens, l'esprit et la matière; ainsi, dans le monde, deux pouvoirs, l'un qui régit la nature, l'autre l'esprit. >> La nature est évidemment mis ici pour la matière. Ces fautes sont nombreuses dans le texte; mais elles abondent surtout dans les notes. Il n'y a peut-être pas, dans les deux volumes, trois passages latins sur dix qui soient exempts de fautes d'impression. J'insiste sur cette observation, parce qu'elle est également applicable à la deuxième édition de l'Histoire de Luther. La bulle qui, dans cet ouvrage, occupe le premier rang parmi les pièces justificatives fourmille d'erreurs typographiques. La première phrase en est inintelligible, parce qu'on a imprimé inter nostra hujus sæculi, sans doute au lieu de inter monstra. Les ouvrages de M. Audin étant destinés, dans mon opinion, à avoir un grand nombre d'éditions j'ai jugé utile de signaler les légères imperfections qui font tâche sur les premières; trop heureux si par-là je contribuais en quelque chose à rendre plus parfaites les éditions à venir.

H. GÉRAUD.

Correspondance.

NOUVELLE EXPLICATION DU MOT SYMBOLE.

MONSIEUR,

Saint-Brisson le 14 septembre 1842.

L'intérêt avec lequel je lis vos annales, auxquelles vous avez bien voulu m'associer comme collaborateur, m'excusera, je l'espère, si je me permets de vous adresser quelques observations sur le deuxième article du cahier du mois d'août : Les livres de l'Ancien-Testament contiennent-ils des mythes? L'auteur m'en paraît très au fait des idées germaniques sur les mythes dont il se propose de faire voir la déraison. Il cite un grand nombre d'ouvrages en langue allemande sur ce sujet, mais la partie faible de cette intéressante dissertation est celle empruntée à l'antiquité même. Sa définition du puboc est exacte, quoiqu'il eût pu y ajouter quelque chose; mais lorsqu'il vient au Symbole, il me semble qu'il a complétement erré, et n'en a pas connu la valeur. Citons :

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« Le symbole, dit M. Eugène Mussard, n'est pas le mythe; >> tous deux, il est vrai, sont destinés à rendre une idée, à exposer » une vérité d'un ordre un peu élevé, par le moyen d'un intermédiaire, qui la fasse mieux sentir que si elle demeurait sous sa forme abstraite; mais dans le symbole, cet intermédiaire est un signe appréciable à l'œil : dans le mythe, c'est le langage. Le premier emploie une démonstration matérielle, un objet de la » nature, par exemple, ou une action; le second se sert d'une dé» monstration orale, d'un récit. Les sacremens, ces signes visibles « d'une grâce invisible, comme les définissait saint Augustin, sont » des symboles et non pas des mythes; d'ailleurs, les uns et les » autres étaient également en usage dans les premiers siècles » du monde, et également propres à agir sur l'intelligence » d'hommss grossiers, et peu faits au raisonnement. »

J'ignore, Monsieur, si vous avez parfaitement compris cette définition du Symbole : quant à moi, le peu que j'en comprends me semble entièrement erroné, et cependant, je me suis appliqué à étudier cette matière, qui occupe une grande place dans mon Essai sur le polythéisme, où j'ai longuement défini le symbole avant de réfuter les doctrines de l'école allemande de M. Creuzer. Il est évident que l'auteur de l'article ne connaît pas mon ouvrage; mais vous, Monsieur, à qui j'ai eu l'honneur d'en faire hommage, si vous aviez jeté les yeux dessus, vous auriez pu l'indiquer à l'auteur de cet article à telle fin que de raison; et s'il l'avait lu, peut-être aurait-il trouvé à changer quelque chose à ce que je viens de citer de lui.

« Le symbole, dit M. Eugène Mussard, n'est pas le mythe Il n'était pas besoin de citer cette autorité, que j'ai le malheur de ne pas connaître, pour nous dire ce qui n'est pas le symbole. Je ne sais pas si, par suite, M. Eugène Mussard dit ce que c'est, et s'il est d'accord avec M. de C. : mais ne nous occupons que de ce dernier1.

Le mythe n'est autre chose que le discours dans son acception première : ἁπλοῦς ὁ μῦθος τῆς ἀληθείας ἔφη. Dans l'acception plus récente, c'est un discours relatif à la religion.

Le symbole est tout autre chose; c'est un signe oŋustov, signe conventionnel, xarà cuvłý×âv, dépendant de notre libre arbitre, q'uiv: telle est la définition qu'en donne Ammonius au début de son Commentaire sur le livre de l'Interpretation (I, 1) d'Aristote, en rendant compte de ces mots : et pèv ouv tà ảy tỹ φωνῇ τῶν ἐν τῇ ψυχῇ παθημάτων σύμβολα, καὶ τὰ γραφόμενα τῶν ἐν τῇ gov. Le symbole est un signe d'institution et non de nature: oẻ φύσει ἀλλὰ θέσει.

En effet,il existe des signes naturels que les Grecs nomment Texμρia: ceux-là sont unis à la chose qu'ils signifient: tous les

• Nous devons faire observer ici que ce ne sont pas seulement ces mots, mais tout l'alinéa qui est emprunté à M. Mussart; c'est donc à lui plus qu'à notre rédacteur que s'adressent les rectifications de M. Séguier. (Note du Directeur.)

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