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seul que Sismondi suive implicitement, sans même insinuer à ses lecteurs qu'il y a une autre version.

Maintenant, Guido de Montefeltro put-il aller au siége, ou donner le conseil perfide que le Dante lui attribue? Nous voyons de fortes raisons pour en douter, et même pour nier complétement le fait. Guido de Montefeltro, dont la postérité régna longtems avec honneur en Italie, sous le nom de duc d'Urbin, fut célèbre pendant sa vie comme général, et d'abord comme ennemi déclaré de l'Église. En 1286, il se réconcilia avec le Saint-Siége', et lui resta fidèle; enfin, dégoûté du monde et de ses vanités, il demanda la faveur de changer son casque contre le capuchon, et son baudrier contre l'humble cordon de saint François.

Le père Wadding nous a conserve la lettre adressée par Boniface au provincial des Franciscains de la Marche, dans laquelle il donne son consentement à ce pieux désir, qu'il regarde comme venant évidemment de Dieu 2. L'acte est daté d'Anagni, 23 juillet 1296. Dans le mois de novembre suivant, il prit l'habit à Ancône. Ce changement remarquable dans sa vie frappa fortement tous ceux qui en furent témoins aussi le trouvons-nous rapporté dans presque toutes les chroniques contemporaines. Mais si l'on suppose qu'après quelque tems le moine se transforma de nouveau en soldat, parut encore sur les champs de bataille, et commanda au siége de Palestrine, est-il probable qu'un événement aussi étrange n'ait pas été consigné dans l'histoire ? Cependant on n'en parle nulle part. Wadding observe, avec raison, que la simple affirmation faite par des témoins graves et compétens, qu'il persévéra jusqu'à sa mort dans la sainte humilité et la prière continuelle, mérite certainement plus de confiance que les fictions des poètes 3. Personne, nous croyons, n'inclinera à

I

Istoria Fiorentina di Giachetto Malespini, cap. CCXXVIII, dans Rer. Ital. Script., t. vii, p. 1045.

2 Annales Minorum, t. v, ed. 2, a. fol. 349.

3 At domestici testes, et serii scriptores, dicentes hominem in sanctâ

douter de la vérité de cette assertion, appuyée sur le témoignage de Marianus et de Jacques de Péruge, écrivains contemporains. Nous allons présenter quelques extraits de plusieurs auteurs également contemporains, afin de donner plus de force à cet argu

ment.

Les annales de Cesène, parlent ainsi de Guido: « En 1296, et » le 17 novembre, Guido, comte de Montefeltro, chef de guerre, > entra dans l'ordre des frères Mineurs. Dans le courant de 1298, » le jour de la dédicace du bienheureux Michel, il entra dans la >> voie de toute chair à Ancone, et y fut enseveli 1. »

Ricobaldus de Ferrare dit simplement : « Guido, comte de » Montefeltro, auparavant vaillant chef de guerre, ayant abdiqué » le siècle, entre dans l'ordre des Mineurs, et y meurt.» Et dans un autre ouvrage, il déclare qu'il vivait encore alors, et dit : « En » ce tems, Guido, comte de Montefeltro, vaillant chef de guerre, ayant déposé les honneurs du siècle, entra dans l'ordre des Mi» neurs, où il sert maintenant dans le camp du bienheureux François 3.

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religione et perpetuâ oratione reliquos vitæ dies transegissse, et quanı laudabiliter obiisse, præferendi sunt pœtarum commentationibus. Ibid., fol. 351.

Millmo CCLXXXXVI die xvir novembris, Guido, Comes Montis Feretri, dux bellorum, fratrum Minorum est religionem ingressus. Currente MCCXCVIII die Dedicationis B. Michaelis in civitate Anconæ est viam universæ carnis ingressus et ibi sepultus. Dans Rerum Ital. scipt., t. XIV, p. 114. Ce passage confirme la date assignée par Wadding, d'après Rubeus, à la mort de Guido.

* Guido Comes de Montefereto, quondam bellorum dux strenuus, abdicato sæculo, ordinem Minorum ingreditur, in quo moritur. Compilatio Chronologica, ibid., t. 1x, p. 255.

3 Hoc tempore Guido, Comes de Monteferetro, dux bellorum strenuus, depositis honoribus sæculi, Minorum ordinem ingressus est, ubi hodie militat in castris B. Francisci. Hist. Imperatorum, ibid., p. 144.

Les chroniques de Bologne s'expriment ainsi sur son compte : « 1296. Le con te Guido de Montefeltro, noble et vaillant par » ses faits d'armes..... ayant abandonné le monde, entra dans » l'ordre des frères Mineurs, où il finit sa vie '.»

Le silence de toutes les chroniques sur un événement aussi cxtraordinaire est certainement un argument puissant contre les assertions d'adversaires déclarés et placés à une grande distance de la scène. Plusieurs autres considérations concourent encore à nous les faire rejeter. Nous devons placer en premier lieu leurs contradictions sur les circonstances importantes; ainsi Ferreti le fait aller au siége de Palestrine, considérer les fortifications, et prononcer qu'elles sont imprénables; alors, comme Sismondi qui le suit, il lui fait demander, avant de donner son conseil perfide l'absolution de commettre le crime. D'un autre côté, Pipinus. nous apprend qu'il refusa positivement de se rendre à l'appel du pape, s'excusantsur son grand âge et sur ses vœux, et qu'il envoya seulement à Boniface sa suggestion déloyale 3. Or, cette opposition sur un fait ainsi palpable et aussi important, à savoir sí Guido se rendit au siège et y commanda, cette opposition entre les deux seuls historiens qui le rapportent, n'est-elle pas évidemment fatale à toute la naration? En second lieu, nous devons signaler l'absence totale de documens sur ce sujet dans le registre de Boniface. On comprend sous ce nom la copie original, de tous les documens publiés pendant le règne d'un pape; leur collection sert à former le corps des Archives papales. Celles de Boniface se composent de plusieurs gros volumes (il y en a un pour chaque an

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1296.Il conte Guido di Montefeltro, nobile e strenuo in fatti d'armæ.. abbandonato il mondo, entro nell ordine dei frati Minori, dove fini sua vita. Cronica di Bologna; ibid., t. xiv, p. 299.

2

Ubi sup., p. 97o.

3 <«< Qui cum constantissimè recusaret id se facturum, dicens sc mundo renuntiasse, et jam esse grandævum, papa respondit, etc. » ib., p. 741.

née), dans lesquels sont écrits jour par jour, par une très-belle main et sur papier vélin, les lettres, rescrits ou décrets qu'il a publiés ; ils se divisent en deux classes, et la seconde classe comprend ce que nous nommons les lettres curiales. Lorsque, lisant la vie active de Boniface, nous voyons que, nonobstant son changement continuel de résidence, tous les documens y sont admirablement transcrits, sans aucune rature, sans aucun signe de confusion, nous sommes portés à nous former une idée avantageuse de l'ordre et de la régularité de son administration ecclésiastique et civile, mais l'absence totale de tout document relatif à un fait supposé de son règne équivaut à une négation de l'existence de ce fait.

Mais venons au cas particulier qui nous occupe ; nous avons trouvé dans le second volume de son registre (ép. 63) une lettre par laquelle Conrad de Montefeltro, citatur ad curiam, est sommé de se rendre à Rome pour affaires, et une autre dans les épitre curiales (no 2), par laquelle Guido lui-même reçoit l'ordre de se rendre, sous un certain délai, dans la même ville, afin que le pape puisse conférer avec lui sur des affaires importantes et relatives à la pacification de l'Italie. De plus, nous avons vu dans le registre l'acte qui nomme Landolfe Colonne chef de l'expédition et un autre document semblable relatif à Mathieu Colonne, qui se déclara aussi contre sa famiile'. Or, si une seconde sommation a été faite à Guido, directement ou par ses supérieurs, est-il croyable qu'il n'existe ni dans cette collection, ni dans les autres parties des archives papales, aucune trace de cet ordre qui l'appelait au camp, et des appointemens qu'il dut recevoir pour commander ou pour diriger par ses conseils les opérations du siege? Le fait est cependant certain.

Sans nous contenter de nos propres recherches, nous avons eu recours à l'obligeance et à l'expérience du préfet des archives papales, et nous l'avons prié de faire une perquisition plus exacte.

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Non seulement le savant prélat nous a communiqué avec une grande bonté le résultat de ses recherches, mais de plus il l'a fait connaître au public dans un essai qu'il vient de publier. Nous empruntons à son ouvrage le passage suivant qui suffit pour le but que nous nous proposons : « Que dirons-nous de l'avis que >> l'on suppose avoir été donné par Guido de Montefeltro au même »Boniface, relativement au siége de Palestrine, qu'il refusa d'entreprendre, vu que pour le faire il devait nécessairement com> mettre une faute, dont, au reste, Boniface se serait montré tout disposé à l'absoudre? C'est là une invention du Dante, Gibelin » déclaré. Sollicité plusieurs fois par la même personne de cher» cher dans les archives du Vatican, s'il y a quelque document » sur ce sujet, nous affirmons n'en avoir point trouvé. Preuve >> certaine qu'il n'en existe pas. La lettre, au moins, par laquelle Boniface appelait Guido, aurait dû se présenter à nos regards; mais il ne s'en trouve aucune trace dans le registre du Vatican1» Cette absence de tout document dans cet endroit est, ce nous semble, un argument concluant contre ce fait prétendu. Enfin nous regardons cette narration comme une fable, et nous sommes convaincus que la conduite perfide qu'elle suppose n'a pas été suivie.

Quant à la dernière partie du récit de Sismondi, nous nions que Boniface ait fait les propositions dont il parle, ou que la ville lui ait été remise à des conditions qu'il viola, ou que les Colonne, avertis qu'ils exposaient leurs jours, aient réfusé de paraître en sa présence et pris la fuite. Mais avant de réfuter ces assertions, nous devons revenir un peu sur nos pas. Après avoir publié leur manifeste, les principaux de la famille restèrent à Palestrine, et, le 4 septembre, on savait que les hostilités allaient commencer ; alors les autorités municipales de Rome tinrent dans le capitole une assemblée solennelle, et envoyèrent une députation à Palestrine pour engager les Colonnesi à s'humilier devant le pape, et à se soumettre. Ils promirent tout ce qu'on leur demanda, et des députés adressés à Boniface, qui se trouvait à Orvieto, intercé

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