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le sol natal de tous les systèmes religieux et philosophiques. Ce fut aussi de l'Inde que partirent tous les élémens mythiques répandus par la tradition dans tout l'univers, et travaillés suivant le génie des différens peuples qui les employèrent'.

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En général, Kann suit à peu près la même route que Wagner, cependant il s'en écarte quelquefois beaucoup; il fait remonter l'origine de l'histoire à l'époque où les républiques se formèrent et s'allièrent entre elles. Les événemens des tems antérieurs, pour lesquels on avait une faible vénération, s'effacèrent bientôt de la mémoire des hommes; on s'appliqua seulement à conserver le souvenir de ceux auxquels s'attachait une certaine idée de sainteté les histoires des dieux, les lois promulguées en leur nom, les calendriers, les horoscopes, les doctrines morales, échappèrent donc à l'oubli. Quant aux fables des Grecs et des autres nations, elles ne présentent aucune réalité historique; tous les patriarches, les juges, les prophètes et les rois ont été des dieux; car, d'après lui, l'histoire primitive n'a pas été celle des hommes, mais bien celle des dieux que le mythe trouva le le moyen de transformer en mortels 2; encore ne possédons-nous que le tableau de l'état intérieur des hommes, de leurs pensées,

* Wagner, Ideen zu einer allgemeine Mythologie der alten Welt, p. 184.

* Il est inutile de faire remarquer que Kann prend ici le contre-pied d'Évhémère. L'antiquité a, comme on le sait, inventé deux grands systèmes dans le but de trouver la clé des fables populaires. Ainsi, Pythagore et les platoniciens recouraient, pour l'interprétation des mythes, à des allégories morales et à des explications cosmogoniques. Les épicuriens et les stoïciens, d'un autre côté, avec leur chef Evhémère, dédaignant les exégèses physico-mystiques, donnaient à la Mythologie grecque une source purement humaine et historique; ils expliquaient toutes les légendes fabuleuses par l'apothéose. Les dieux n'étaient que des rois déifiés : Jupiter était un ancien monarque de l'île de Crète, dont on voyait encore le tombeau. Diodore de Sicile, avec tous les sceptiques dn paganisme, accepta cette explication; Cicéron lui paraît favorable, ou du moins il ne s'attache pas à la réfuter sérieusement. De natur. Deor. lib. 1, cap, 12, et lib. 111, cap. 16. Un autre système, développé par

de leurs sentimens, de leurs fictions. Au reste, cette histoire nous rappelle la Religion comtemplative, ou cette doctrine qui fait de la nature le corps de la Divinité, et de la Divinité l'âme du monde. L'Inde, tout en l'entourant d'une enveloppe mythique, l'a conservée dans toute sa pureté, et maintenant encore nous en trouvons chez différentes nations des reflets plus ou moins affaiblis'; il montre ensuite que la doctrine de Kant sur les deux formes de la contemplation; le tems et l'espace, 1e. monte au berceau du genre humain, puisque, si nous l'en croyons, on adorait alors la Divinité sous ces deux formes 2. Partant de ce point de vue, il rapporte à des observations temporaires tous les récits fabuleux et historiques, tous les détails géographiques et astronomiques que nous trouvons dans l'antiquité; de son côté, Creuzer a consacré tout un ouvrage à faire voir comme quoi tout ce que les religions de la Grèce nous présentent sous mille formes diverses n'est autre chose que la nature déifiée. Enfin, tout le monde sait comment l'histoire romaine est devenue, entre les mains de Niebuhr, une vaine série de mythes sans aucune réalité.

Ces quelques exemples suffisent, ce nous semble, pour donner une idée des résultats auxquels a pu conduire l'application du système mythique à l'histoire profane. Dans les articles suivans, nous examinerons en détail les prétendus mythes de l'AncienTestament; nous nous attacherons surtout à faire ressortir la fausseté des principes des exégètes; et ces principes une fois renversés, les conséquences tomberont d'elles-mêmes.

V. CAUVIGNY.

Hug, fait passer dans la Phénicie d'abord, puis dans la Grèce, les dieux de l'Égypte. Les habitans de ces contrées se bornèrent à changer les noms de ces divinités, et à leur donner une allure en harmonie avec leur génie : ainsi le Panthéon des Phéniciens et des Grecs eut une origine étrangère. V. Hug, ubi sup. Mais ce n'est pas ici le lieu d'examiner ces systèmes, nous pourrons y revenir plus tard.

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Kann, Erste Urkunden der Geschichte, etc., p. 3-14 Ap. Pareau, loc cit.

Idem, ibid., p. 22.

I.

Rationalisme contemporain.

PREMIÈRE ÉTUDE; M. COUSIN.

Ice PARTIE; M. COUSIN JUGÉ PAR SES PAIRS.

euxième article '.

Jugemens de M. Gatien Arnout, suite; 2. de M. Lherminier; 3. de M. Bautain ;-4. de M. Th.-H. Martin;-Ce que ces professeurs de l'Université penseut de l'orthodoxie de M. Cousin. seurs de philosophie sont-ils irresponsables?

I. Jugement de M. Gatien Arnout. - Suite.

Les profes

« Une des maximes de M. Cousin, c'est qu'il existe une force invincible des choses, contre laquelle toute volonté humaine se brise impuissante; qui fait nécessairement nos sentimens, nos idées, nos opinions, comme nos mœurs, nos lois, nos gouvernemens; et que toute science dépend d'elle. De là une paresse qui laisse faire le tems. Une autre de ses maximes, c'est que toute époque produit nécessairement sa philosophie, et que la philosophie des dernières époques l'emporte nécessairement sur celle des premières. Or, une conclusion de cette maxime est que, pour trouver la meilleure philosophie, il faut s'attacher à étudier son époque, vivre avec les hommes et les choses de son tems, consulter l'opinion et s'y conformer. Ainsi, elle s'adresse aux oracles équivoques de l'opinion, non à ceux de la raison; elle fait des esclaves de la mode, non des amis de la vérité.

» Ce devait être la philosophie, de ces hommes qui affichent

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une profonde indifférence pour tout ce qu'on dit faux ou vrai, et se montrent successivement amis ou ennemis des doctrines les plus opposées, parce que, disent-ils, elles ont toutes du vrai et du faux qu'il est bien difficile de demêler; qui sont inertes pour le bien, et d'une voix paresseuse vous répondent que le moment du mieux n'est pas venu, et qu'il faut l'attendre du tems; qui n'aspirent qu'à se donner comme les représentans de l'opinion si souvent trompeuse et plus souvent encore remplacée par des idées de coterie '. »

II. Jugement de M. Lherminier, professeur au collège de France.

<< A tout homme qui a présenté un système philosophique, il faut demander d'abord ce que, dès le principe, il a voulu faire. Pourquoi vous êtes-vous levé, et que vouliez vous dire?

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Quand M. Cousin monta dans la chaire de M. Royer-Collard, il y parut sans autre dessein que de développer l'histoire des systèmes philosophiques. Esprit littéraire, il se tourna vers la littérature de la philosophie; imagination mobile, il quittait facilement une belle théorie pour une autre qu'il trouvait plus belle encore; parole ardente, il faisait couler dans les âmes l'intelligence et l'enthousiasme de la science. Tel a été M. Cousin: c'est son caractère de n'avoir jamais pu trouver et sentir la réalité philosophique lui-même ; il la lui faut traduite, découverte, systématisée, alors il la comprend, l'emprunte et l'expose.

» Le jeune professeur commença sa carrière par cominenter avec verve l'école écossaise, dont M. Royer-Collard lui avait légué l'exploitation, Reid, Smith, Hutcheson, Fergusson, DugaldStewart; ensuite il passa à l'Allemagne, saisit rapidement les principaux traits de la philosophie morale de Kant, et se fit Kantiste : ce furent alors d'éloquens développemens sur le stoïcisme, le devoir et la liberté. Pendant l'année 1819 à 1820, l'enseignement de M. Cousin rallia la jeunesse, et semblait vouloir la préparer aux luttes de l'opposition politique : aussi, la contre-révoution, en arrivant au pouvoir ferma sa chaire, et rélégua le pro

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› Doctrine philosophique de M. Gatien Arnout.

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fesseur dans la solitude de son cabinet. Alors il se tourna vers l'érudition, et se prit d'enthousiasme pour l'école d'Alexandrie, qu'il personnifia tout entière dans un homme, dans Proclus. Cette secte philosophique, qui avait entrepris de lutter contre le christianisme, et de le faire reculer, semblait à M. Cousin un glorieux symbole de philosophie et de liberté; il en parlait en ces termes : « Hæc fuit scilicet ultina illa græcæ philosophiæ secta, » quæ, iisdem ferè quibus christiana religio temporibus nata, » tamdiù magnâ cum laude stetit, quamdiù aliqua super in orbe » fuit ingeniorum libertas ; quartum verò jàm circà sœculum, non » mutatâ ratione, sed mutato domicilio, exul ab Alexandriâ » Athenas confugit.....» Cette école lui paraissait la plus riche et la plus importante de toutes celles de l'antiquité : « Totius » verò antiquitatis philosophicas doctrinas atque ingenia in se exprimit; » et il croyait son étude utile, non seulement à l'érudition, mais aux progrès mêmes de la philosophie moderne. Plus tard, je trouve que M. Cousin n'a plus mis si haut la sagesse alexandrine; voici comment il la caractérisait en 1829: « Sans » doute, le projet avoué de l'école d'Alexandrie est l'éclectisme. » Les Alexandrins ont voulu unir toutes choses, toutes les par» ties de la philosophie grecque entre elles, la philosophie et la religion, la Grèce et l'Asie. On les a accusés d'avoir abouti au » syncrétisme; en d'autres termes, d'avoir laissé dégénérer une >> noble tentative de conciliation en une confusion déplorable. » On aurait pu leur faire avec plus de raison le reproche con» traire. Loin que l'école d'Alexandrie tombe dans le vague et le » désordre qu'engendre souvent une impartialité impuissante, » elle a le caractère décidé et brillant de toute école exclusive, et » il y a si peu de syncrétisme en elle, qu'il n'y a pas beaucoup » d'éclectisme; car ce qui la caractérise est la domination d'un » point de vue particulier des choses et de la pensée. » Ainsi, cette école que M. Cousin avait choisie d'abord comme le modèle de l'éclectisme, à ses yeux n'est presque plus éclectique ; il l'accuse d'un mysticisme exclusif; malmène assez rudement son ontologie, sa théodicée; Proclus lui-même, bien qu'il reste toujours un esprit du premier ordre, n'est plus ce soutien de la phi

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