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DU MOUVEMENT DE L'OPINION PUBLIQUE.

Lorsqu'il y a près de trois ans, notre opinion succomba dans la lutte électorale, nous ne nous sommes pas laissé étourdir par ce revers. Dèslors, nous avons dit à nos vainqueurs, que nous comptions sur le succès final d'une cause qui s'appuyait sur des principes et non sur des intérêts, et qu'un jour l'opinion égarée nous reviendrait.

Le mouvement de cette opinion justifie de jour en jour notre confiance. Elle est loin sans doute d'avoir perdu tous ses préjugés; mais elle diffère déjà beaucoup de ce qu'elle était en 1847. A cette dernière époque, elle nous était entièrement opposée, et il ne faut pas s'en étonner. Trop de moyens avaient été mis en œuvre pour la tromper. La vérité devait cependant finir par percer, quand même les bouleversements européens n'auraient pas montré combien nos principes gouvernementaux et conservateurs sont nécessaires aux libertés publiques aussi bien qu'à la stabilité des États. Déjà plusieurs fois, et entre autres dans notre dernier article, nous avons constaté ce retour, lent mais progressif, de l'opinion. Un article de l'Indépendance (1) est venu nous prouver, il y a quelques jours, que nous n'avons pas été les seuls à le remarquer.

L'auteur de cet article signé : un membre du Congrès national,) pense que les Belges ont accepté, avec trop peu de modestie, les éloges que l'étranger

(1) No du 15 janvier 1850.

a fait de leur sagesse politique, et de crainte que la vanité ne les enivre, il croit opportun de les rappeler à des idées plus justes sur leur propre mérite.

Nous devons aux révolutions de Juillet et de Septembre 1830 et au contre-coup des événements (sic) de 1848 de voir nos mœurs publiques de beaucoup distancées par nos institutions. Vingt-cinq, cinquante ans peutêtre de progrès politiques réguliers, continus, accomplis sous le régime de l'ancienne loi fondamentale, loyalement exécutée, ne nous auraient pas fait franchir l'espace traversé sous la violente impulsion des révolutions de 1830 et de 1848.

« Le temps seul peut rétablir l'harmonie entre des réformes dont la tempête >> a trop hâté, peut-être, l'avènement et l'éducation politique du peuple. Le >> temps seul peut ramener l'esprit, faussé par des luttes séculaires contre >> le Gouvernement, à une plus saine appréciation de ce qu'est le pouvoir » dans nos démocraties. Il faut du temps pour oublier ces habitudes » d'opposition, d'antagonisme en face de Gouvernements mal limités, mal » inspirés, trop bien justifiées par des griefs sérieux et permanents, par » de scandaleux manques de foi, par des attentats contre les franchises » populaires. O! comme alors le péril ennoblissait la lutte! Comme le » courage et le dévouement de quelques hommes y contrastaient parfois » avec l'apathie du peuple et l'égoïsme du plus grand nombre de ses » délégués !

» Où est aujourd'hui cette puissance gouvernementale, formidable, exorbitante, oppressive? Où est le péril devant un pouvoir dont le souffle parlementaire peut, à chaque instant, changer la direction? Où est le >> besoin de ce dévouement, de ce courage du tribun d'autrefois, quand le >>fort est devenu le faible, quand c'est du peuple qu'émane la puissance; >> quand le chef de l'État n'est plus appelé, en quelque sorte, qu'à en » modérer, à en régulariser l'action? Quels sont les Épiménides, échappés » à un sommeil de vingt ans, qui puissent encore prendre le change à cet » égard ?

>> Dans les États où le régime parlementaire (monarchie ou république) » est loyalement accepté et pratiqué, qu'on en soit sûr, ce n'est plus du » faîte, c'est de la base que vient le danger; car c'est de là que vient la >> force. Dédaignant de réserver nos coups pour le faible, cherchons à >> modérer, à éclairer l'action du fort, à contenir ses passions, à dissiper >> ses préjugés, à conjurer les périls inhérents à une transformation trop >> brusque. Voilà la tâche que des hommes de cœur doivent aimer à entre>> prendre, Ils savent, et ce qui se passe tout autour de nous, en est une » nouvelle et éclatante démonstration, que la liberté a moins à craindre » aujourd'hui du mauvais vouloir de certains potentats que des excès popu»laires, et que le jour auquel elle doit surtout trembler, c'est celui où les

exagérations, les préjugés d'une démocratie inexpérimentée porteraient le découragement dans les esprits, au point de leur montrer un 18 brumaire » comme la dernière voie de salut pour la société désespérée.

» Sans le progrès des mœurs, sans l'élévation des caractères, les insti>>tutions politiques ont peu de valeur. Nous connaissons des démocraties » où l'esclavage subsiste, mais où l'on n'oserait, sans braver les plus grands » périls, condamner ces vestiges de la barbarie de l'antiquité et du moyen » âge. Hélas! on voit trop souvent dans d'autres démocraties une autre » classe d'esclaves que nous mettons bien au-dessous de la première. Ces » courtisans, ces serfs modernes, ce ne sont pas les hommes qui défendent >> un pouvoir aujourd'hui si limité, que parfois sa mission en est difficile. » On les reconnaît ceux-là à leur humble et craintive attitude devant le vrai » souverain du jour, dont trop souvent ils flattent, caressent, défendent les » préjugés. Car ce souverain, pour être multiple, n'en a pas moins ses >> passions et ses préjugés comme tout ce qui est humain. Malheureusement >> aussi il montre trop souvent encore plus de gratitude pour ceux qui le >> flattent que pour ceux qui le servent, et c'est aussi malheureusement ce » que tous les courtisans savent trop bien deviner. »

Après ces réflexions que nous reproduisons textuellement à cause de leur importance, l'auteur jette un coup d'œil sur ce qui se passe maintenant chez

nous.

Le parti vaincu aux élections de 1847 et qui, au printemps de 1848, semblait offrir une trève indéfinie, s'apprête, dit-il, à rouvrir les hostilités : << Non seulement, elles sont dénoncées dans la presse; non seulement des » symptômes d'entente cordiale avec une opinion extrême ont déjà apparu » çà et là à propos d'élections partielles; non seulement on a prononcé le » mot de suffrage universel ailleurs que dans des feuilles radicales; mais des » signes non équivoques annoncent que c'est à la tribune parlementaire que » la rupture de l'armistice va éclater. »>

L'auteur assigne pour cause à cet état de choses la répugnance de tout parti à se dissoudre, l'attente d'une division dans les rangs de la majorité et surtout, l'espoir de voir celle-ci se laisser aller à l'apathie où conduit si souvent le triomphe. Cet espoir ne lui semble pas très-mal fondé.

Un axiome incontestable, dit-il, c'est qu'un cabinet tombe plus souvent par la faute de ses amis que sous les coups de ses adversaires.

Il y a des symptômes de relâchement électoral. Tous les partis ont leurs faiblesses, et dans le camp libéral aussi, on passe vite de l'abattement à la sécurité et de la sécurité à la peur. A peine vainqueur, on se croit pour jamais délivré de ses adversaires. Bientôt on se passe la fantaisie de faire à ses chefs une opposition qu'on croit sans danger, et ce qui est plus grave, on compte trop sur sa fortune aux élections partielles, on néglige le choix des candidats, le scrutin et les associations.

Au Parlement, le parti se lèvera tout entier et accourera comme un seul homme au secours du cabinet si l'existence ministérielle est en jeu. Mais il se fractionnera si la question n'a pas ce caractère, quoique le ministère la place au premier rang. Un détachement de la majorité s'unira à l'opposition et fera de la sorte de mortelles blessures au cabinet pour livrer le pouvoir à l'ennemi commun.

L'auteur admet que la majorité a ses devoirs et ses convictions comme le Gouvernement, et il en déduit l'utilité des concessions réciproques avant d'en venir aux extrémités. « Mais, ajoute-t-il, n'est-il pas vrai que parce >> que le pouvoir exécutif est souvent mieux placé pour juger certaines questions, et qu'il lui incombe de ce chef une bien plus grande respon»sabilité qu'à une Chambre législative, il sera bien rare que celle-ci doive >> persister quand même dans un dissentiment qui porte, répétons-le, non » sur un principe politique, mais sur une appréciation administrative. »

La prévoyance manque aux démocraties. On annonce une coalition prête à se former contre le cabinet à propos de quelque intérêt matériel. On dit que l'opposition aurait eu déjà des ouvertures qu'elle aurait déclinées par esprit de patriotisme. A-t-on bien pesé les conséquences d'une crise ministérielle?

Avant de renverser, il faut savoir ce qu'on mettra à la place de ce qu'on veut démolir. Au sens de l'auteur, un cabinet mixte est impossible. Il ne serait guères plus facile de continuer la politique de 1847 avec des hommes nouveaux. On a déjà vu les vétérans de l'ancienne opposition se tenir à l'écart, quand s'est ouverte la succession de l'honorable M. de Theux. D'ailleurs, les fonctions ministérielles n'ont rien d'engageant. Elles sont mal payées et ne procurent plus de pensions. Puis la réforme parlementaire ôte la ressource des gouvernements et des ambassades, à moins qu'on ne quitte la carrière politique.

Grâce à l'imprévoyance qui ne s'arrêterait devant rien et aux dispositions notoires des chefs de file, il ne serait pas impossible de voir apparaître une collection de doublures, sauf à voir ces vanités prétentieuses s'évanouir au premier choc parlementaire et le ministère se renouveler peut-être tous les trois mois.

Les ministres actuels ne sont sans doute pas les seuls hommes capables de gérer le pouvoir, mais ils ont, aux yeux de l'auteur, un mérite spécial et fort rare, c'est qu'ils ont bien voulu devenir et qu'ils veulent bien rester ministres.

L'opinion libérale, aujourd'hui pouvoir, autrefois opposition, n'a pas le droit de se plaindre de voir surgir contre elle une opposition; mais elle a le droit de demander que ses amis, que ses adversaires même ne rendent pas l'État victime de la guerre qu'ils voudraient faire au cabinet, en sacrifiant des intérêts communs à tous les partis, des intérêts de nationalité. Telle

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