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Ce n'est jamais sans une sorte de dégoût que nous citons les éloges donnés par M. de Lamartine à quelqu'un pour qui nous professons quelque respect ou quelque estime; mais nous ne pouvons, avant de passer outre, nous dispenser de citer ce qu'il dit à l'occasion du départ du duc de Nemours:

« Le duc de Nemours sortit de France sans obstacle, aussitôt que ses >> devoirs envers son père, sa belle-sœur et son neveu furent accomplis. Il » s'était montré plus digne de sa popularité » (quelques pages plus haut il avait dit qu'il n'en avait aucune (1) ) « dans l'infortune que dans la prospé» rité. Intrépide, désintéressé, il n'avait marchandé ni sa vie » (elle était donc en danger?), « ni ses droits à la régence pour sauver la couronne au >> fils de son frère. L'histoire lui doit la justice que l'opinion ne lui rendait

» pas. >>

On voit avec quelle arrogance M. de Lamartine prononce ici sur le mérite d'un homme, son supérieur en tout, excepté pour ce qui est de la poésie et de cette qualité que de M. de Lamartine et lord Clarendon estiment être une qualité essentielle à l'homme d'État : le prestige (2). Mais à ces éloges M. de Lamartine a mêlé la couleur de son inexactitude habituelle. Il dit que M. de Nemours « quitta la France sans obstacle; » cette assertion est, au fond, complétement fausse. M. de Nemours accompagna la duchesse d'Orléans aux Invalides, et sortit de l'hôtel en même temps qu'elle, pour aller se cacher chez un de ses amis, d'où il se mit en route à la faveur d'un passeport anglais et d'un déguisement si complet, que les membres de sa famille qui le rencontrèrent à Boulogne, ne le reconnurent point; tant s'en fallut que son voyage s'accomplit « sans aucun obstacle, » qu'à la barrière, le factionnaire, en uniforme de garde national, qui examina les passeports d'un air assez soupçonneux, ne voulut pas d'abord laisser passer la voiture; mais, voyant dans l'intérieur une personne dont le signalement s'accordait si peu avec celui du due, il leva la consigne en disant : « Je vous demande pardon, Monsieur, mais je suis à guetter le duc de Nemours. » Le duc ne put s'em

(1) NOTE DU DIRECTEUR DE LA Revue Britannique. L'auteur anglais est tellement violent contre M. de Lamartine, qu'il ne daigne pas s'apercevoir qu'une faute d'impression est ici la seule cause de la contradiction qu'il lui reproche : évidemment on doit lire la et non sa popularité, l'article au lieu du pronom.

(2) NOTE DE L'AUTEUR ANGLAIS. L'emploi moderne du mot prestige, pour signifier une qualité d'homme politique, démontre le mauvais goût du jour. Dans notre dictionnaire français le plus récent, nous trouvons : PRESTIGE: illusion, trompeuse, - pensée chimérique, PRESTIGE: illusion,

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déception,

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apparence

songe, – fantôme; et dans le dictionnaire anglais : imposture, déception.

N. B. L'auteur anglais fait allusion ici à une phrase d'un discours de lord Clarendon, le vice-Roi d'Irlande, qui déclarait que le prestige était nécessaire à l'autorité d'un haut fonctionnaire.

pêcher de sourire du zèle maladroit de ce pauvre factionnaire; continuant sa route, il gagna le chemin de fer à une station près d'Abbeville, et arriva en Angleterre le 27 février.

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Nous avons donné les détails qui précèdent, non pas seulement en raison de l'intérêt qu'ils présentent en eux-mêmes, mais pour répondre, par le propre témoignage de M. de Lamartine, aux critiques mentionnées plus haut sur la précipitation inutile du départ du Roi. Si la veuve, si l'orphelin furent obligés, d'après les conseils d'hommes comme MM. de Montesquiou et de Mornay, de se cacher et de se déguiser; si M. Odilon Barrot jugea que le maréchal Molitor ne pouvait protéger pendant quelques heures, dans l'hôtel des Invalides, ces innocentes victimes; si le général Thierry et M. Estancelin ne purent trouver, dans Abbeville, à abriter pour une nuit une jeune femme enceinte; si tous, après des épreuves plus ou moins rudes, ne dureut leur salut qu'à une espèce de miracle, quel aurait pu être le sort du Roi, qui, depuis dix-huit ans, avait été le point de mire de cent assassins, et que la populace féroce avait été dressée à regarder comme un ennemi public? Nous l'avons laissé, pendant la nuit du 24, dans le funèbre château de Dreux.

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(La fin à la prochaine livraison.)

DE LA LOI SUR L'INSTRUCTION MOYENNE.

La discussion du projet de loi sur l'enseignement moyen a fait éclore un grand nombre de brochures, qui ont jeté une vive lumière sur les diverses questions que soulevait ce projet, notamment sur celles de l'instruction religieuse, de l'interprétation donnée à l'art. 17 de la Constitution, de la liberté communale, etc.

Parmi ces publications, nous citerons, en première ligne, celle intitulée : Les Vices radicaux du projet de loi sur l'instruction moyenne, (Gand, chez Van Hifte). — Aujourd'hui que la loi est votée, il serait inutile de présenter une analyse de ce travail remarquable. Nous aimons mieux dire quels sont les prévisions du savant écrivain sur les effets de cette loi, qui a excité tant d'agitation dans notre pays :

« Je termine, dit l'auteur, par un horoscope.

» Si le nouveau projet de loi est adopté, quel sera le sort de l'enseignement public et privé en Belgique ?

» Hélas, son sort sera bien malheureux!

» D'une part, on aura forcé le clergé à combattre les établissements officiels qui, d'après l'esprit de la nouvelle loi, n'auront pas d'autre but, que celui d'abolir l'instruction et l'éducation religieuses en Belgique, ou tout au moins, de placer leur sort à la merci d'un ministre, qui témoigne aujourd'hui,

(l'Exposé des motifs en fait foi,) la plus complète indifférence pour les intérêts

religieux du pays.

>> D'autre part, l'influence du Gouvernement secondée par d'énormes subsides, par les intérêts individuels, qu'on aura créés, causera aux établissements libres des embarras tels, qu'ils disparaîtront peu à peu du royaume, étouffés sous une concurrence inégale.

» En dépit de sa hiérarchie diplômée et enrégimentée, le ministre ne fera point marcher sa grande machine gouvernementale contre et malgré le clergé. Ce que Joseph II et Guillaume n'ont pu faire, l'autocratie d'un ministre constitutionnel ne le fera pas. La foi et le caractère indépendant des Belges opposeront toujours un obstacle insurmontable au despotisme ministériel. Nous osons hardiment le prédire.

» Malgré son esprit d'ordre, son autorité incontestée et ses influences vivaces, le clergé ne pourra point lutter contre les difficultés sans nombre que le Gouvernement sèmera sous ses pas. Le pitoyable système de l'honorable M. Devaux, qui consiste à neutraliser et à annuler les forces vitales du pays dans des luttes stériles, au lieu de les faire converger toutes ensemble vers un but commun, l'intérêt général, sera done appliqué à l'enseignement, et bientôt il fera périr les établissements publics et les établissements privés. Sous son action délétère, le clergé fera désormais peu de chose pour l'instruction de la jeunesse, et le Gouvernement ne fera rien.

» Qui gagnera à ce funeste état de choses?

» L'esprit de parti.

» Quant à la Belgique, elle y perdra ses millions et son repos! >>

A côté de ce travail si éloquent, si logique, nous placerons un écrit trèssubstantiel de M. DE POTTER, ancien membre du Gouvernement provisoire. (Bruxelles, chez Mayer et Flatau) et intitulé: De la liberté et de toutes les libertés à propos du projet de loi sur l'instruction moyenne. M. De Potter a un grand mérite, celui de la franchise. Même lorsqu'on n'est pas d'accord avec lui, on estime son franc-parler, on considère en lui le vieil athlète de la liberté en tout et pour tous, et on recherche avec empressement tous les points qu'il est possible d'admettre avec lui.

M. De Potter soutient et avec raison que, pour organiser la liberté de l'enseignement, l'État n'a qu'à veiller constamment à ce que cette liberté soit effective pour chaque individu, pour tout père de famille, pour chaque commune; que non seulement les communes, les familles et les individus doivent en jouir sans entraves ni restrictions, mais aussi les écoles, les sectes, les coteries, les congrégations, dans n'importe quel but de doctrine ou de parti;

-sauf, par le Gouvernement, ajoute-t-il, à faire appliquer les peines dont la loi menace ceux qui la violent.

Partant de là, M. De Potter critique diverses dispositions du projet de loi, et fait ample justice des accusations de monopole lancées contre le clergé : le monopole issu de l'influence morale, dit-il, est hors et au-dessus de la sphère des lois.

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La conclusion de l'écrit de M. De Potter est très-remarquable. Citons en quelques passages :

« A quoi en définitive, dit le savant écrivain, faut-il se résoudre?

» A accepter ce qui est. Il faut renoncer de bonne foi à violenter, à subtiliser; il faut au contraire faciliter l'action large et franche de la liberté, et là où il se présente des obstacles quant à l'exécution, il faut transiger, concilier, faire équitablement les parts ou plutôt les laisser se faire toutes seules, sans arrière-pensée de parti ou d'opinion; finalement, il faut compter loyalement avec ce qui existe, hommes et choses, convictions et préjugés, en attendant qu'on puisse arriver le plus pacifiquement et le moins péniblement, le moins douloureusement possible, à ce qui doit être, à ce qui sera.

» Le reste est l'œuvre du temps, et sa réalisation est une question de temps, dont les hommes doivent attendre la solution.

>> Vouloir forcer la marche des choses, quand on ne sait pas avec une pleine certitude dans quelle voie précise il faudrait les lancer, c'est provoquer la tempête inconsidérément et de gaieté de cœur; c'est risquer le vaisseau de l'État en le poussant vers des rivages inconnus, contre vent et marée.

» Je suppose que la nouvelle loi sur l'enseignement moyen soit votée par la Chambre, à la faveur de sa majorité libérale; elle sera rejetée par le paysdont la majorité est catholique, et bientôt les élections forceront l'État à virer de bord. Que ce soit un mal, que ce soit un bien, ce n'est point là la question. Il ne s'agit pas ici de théorie, il s'agit de pratique; et la pratique s'enquiert du fait avant de s'occuper de la raison. Or, le fait est comme je le présente. Je défie qui que ce soit de me contredire, preuves en mains. Eh bien! déjà on se le glissait dans le tuyau de l'oreille : « Représentants et représentés ne sont pas toujours d'accord. » Faut-il le faire crier sur les toits? Ce ne seraient plus à la fin les ministres et leurs représentants qui en souffriraient le scandale retomberait sur le système représentatif même. Et alors, gare !......

» Le Gouvernement s'usent, c'est la plainte universelle, le pouvoir se déconsidère. Mais à qui la faute? Le ministère debout a sans cesse le poing levé sur le ministère qu'il remplace. Croit-il que le ministère qui se substituera à lui ne le menacera pas avec la même brutalité? Et le public est là: il a son franc-penser et son franc-parler; et l'on voudrait qu'il fût assez débonnaire pour ne pas honnir et bafouer ces boxeurs à portefeuilles! Allons donc!

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