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avantages obtenus par d'autres industries. Les rapports si divergents sur la situation des Flandres, communiqués aux Chambres, ont excité un pénible étonnement. Parmi les fonctionnaires chargés d'administrer ces provinces, il en est à la vérité qui dépeignent la situation avec plus ou moins d'exactitude, mais il en est d'autres qui ne craignent pas d'écrire du fond de leur cabinet, que le paupérisme a disparu et qui transforment, peu s'en faut, les Flandres en Eldorado. Loin donc d'avoir relevé les Flandres, l'administration nouvelle ne connaît pas même leur situation.

Nous lisons ensuite << Loin de nous la pensée d'une administration » réactionnaire, étroite, partiale. Nous la voulons bienveillante et juste pour >> tous sans distinction d'opinion politique.

>> Si nous exigeons des fonctionnaires le rigide accomplissement de leurs >> devoirs administratifs, nous veillerons aussi à ce que leurs droits soient » garantis et respectés. La capacité, la probité, le dévouement à leurs >> devoirs seront toujours pour eux les meilleurs titres de recommandation à >> faire valoir auprès du Gouvernement. »

Belles paroles sans doute! Elles formulaient une pensée intelligente et gouvernementale, mais comment ont-elles été traduites en faits?

Trois mois à peine étaient écoulés, et, dès la discussion de l'adresse, M. Rogier, qui avait promis d'être « bienveillant » et juste pour tous sans distinction d'opinion politique, se montrait déconcerté et irrité de l'attitude calme et digne de l'opinion conservatrice. Il ne peut dissimuler le dépit qu'il ressent en ne trouvant pas l'opposition violente sur laquelle il comptait. pour entretenir l'ardeur belliqueuse des siens, et, dans sa déconvenue, il s'oublie jusqu'à l'emploi d'un langage ironique indigne de son banc. Puis, mettant son programme aux archives, il avoue qu'il est à son poste pour gouverner le pays « avec l'aide d'un parti.» « Cet aveu, disions-nous » alors (1), est d'une singulière naïveté, et son importance n'est pas détruite >> par ce correctif absurde, parce qu'il est impossible dans de pareilles con>>ditions et non pour gouverner au profit d'un seul parti. »

Cet aveu ne nous a, au surplus, pas étonnés. Nous avions, dès le principe, révoqué en doute, non pas la sincérité des ministres, mais la possibilité où ils se trouvaient de remplir leurs promesses.

Même depuis que les malheurs de 1848 ont mis les ministres en état de rendre sans obstacles cette partie de leur programme une vérité, cette déplorable politique a continué d'être suivie, et c'est alors qu'a été commise la faute la plus répréhensible du cabinet.

En 1847, la réconciliation n'était nullement impossible, mais elle était

(1) Tome II, page 388.

difficile et demandait du temps. En 1848, il suffisait d'accepter la main de qui l'offrait au nom de la patrie. On ne l'a pas fait. En 1847, il pouvait y avoir, jusqu'à un certain point, fatalité; en 1848, il n'y avait plus qu'inintelligence et infériorité de vues politiques.

Le fait est qu'après comme avant 1848, l'opinion conservatrice a servi de cible au ministère qui avait promis une administration « bienveillante » et juste pour tous sans distinction d'opinion politique. Le fait est qu'un conservateur inspire plus de répugnance que Mottet.

Si les fonctionnaires se sont reposés sur les assurances du programme, ils n'ont pas été plus heureux que les champions de l'opinion vaincue. Jusqu'à 1847 les ministres arrivant aux affaires, avaient témoigné des égards et de la considération à leurs prédécesseurs et avaient même volontiers utilisé leur expérience et leur dévouement. La politique nouvelle n'a pas montré la générosité dont elle avait profité. Elle a procédé par destitutions, sans même sauver la forme. Un peu plus tard, elle destituait des fonctionnaires irréprochables, placés en dehors des luttes politiques. Tout récemment encore, nous avons vu un directeur (M. Alvin), homme sans doute capable, probe, dévoué à ses devoirs, éprouver ce que vaut cette bienveillance promise. Gravement mis en cause dans un journal ministériel, qui a, dans l'opinion générale, plus de signification qu'une autre feuille, il use du droit de se défendre. Tout au plus (nous n'entendons rien juger par cette simple supposition), il se donne un tort de forme, bien excusable dans cette circonstance, et il est puni par une suspension publique de six mois.

car

Nous ne pouvons nous étendre sur ce qui concerne les nominations, nous ne faisons pas de polémique personnelle; nous nous bornerons à énoncer un fait dont tout homme au courant de ce qui se passe est forcé de reconnaître la réalité. Les qualités intellectuelles et morales, le zèle, les services rendus, ne sont aucunement pris en considération. Ces titres sont nuls et n'empêchent point une exclusion systématique pour quiconque est soupçonné d'avoir trouvé les anciens ministres aussi dignes que d'autres de servir le pays. Ils ne suffisent pas même à ceux que la politique nouvelle peut s'assimiler. Les emplois publics sont distribués au gré des influences, et trop d'exemples nous prouvent que les services rendus à un parti prévalent sur ceux rendus à l'État. Nous l'avons dit plus d'une fois et nous le répétons des hommes de mérite ont été souvent remplacés par des piètres

successeurs.

Il y a loin de ces faits au programme.

Le Gouvernement ne se dissimulait pas que sa position offrait de grandes difficutés. Sans doute, il ne les appréciait pas toutes, et on ne pouvait pas l'exiger. Il ne devait pas sentir comme nous celles qui naissaient de ses antécédents d'opposition, de l'irritation des esprits, de l'existence et de

l'influence des clubs, du défaut de principes et de moyens généraux homogènes dans sa majorité mais il comprenait que sa tàche, jusques-là destructive, avait à devenir réparatrice et constituait désormais un ouvrage pénible et lent; que, pour l'accomplir, il fallait travailler à ramener le calme, la modération, l'impartialité! C'était beaucoup, et cette pensée très-juste était exprimée avec une modestie qui en rehaussait le mérite. Que devait faire le cabinet pour parvenir à surmonter de nombreux obstacles? Rien que prendre les moyens propres à réaliser son vou final : « Puissent nous venir > en aide, pour l'accomplissement de notre tâche, tous les hommes de cœur, » d'expérience et de bonne volonté ! »> - Des hommes de cœur, d'expérience et de bonne volonté sont venus offrir la main, et cette main a été repoussée. On a voulu gouverner le pays « avec l'aide d'un parti, » et par une conséquence fatale, contre laquelle la volonté la plus robuste ne peut rien, au profit d'un parti. Il en est résulté que l'esprit de parti a prévalu partout au détriment de l'intérêt général, ici par son action, là par son inertie. Les intérêts moraux sont lésés; les intérêts matériels, privés de défenseurs expérimentés, sont négligés au milieu des préoccupations d'un état de lutte incessante, et, en administration, on dédaigne le mérite pour ne tenir compte que des campagnes faites sous le drapeau victorieux et des services rendus aux chefs. Programme, programme! Qu'êtes-vous devenu?

23 avril 1850.

D. O.

RÉVOLUTION DE 1848.

DÉPART DE LOUIS-PHILIPPE,

AU 24 FÉVRIER.

La Revue britannique a publié tout récemment un article remarquable contenant les détails les plus curieux sur le départ de Louis-Philippe des Tuileries, le 24 février 1848. L'auteur de cet article est M. Croker, ex-secrétaire de l'Amirauté, un des rédacteurs les plus anciens de la grande revue des Tories, la Quarterly-Review, Tory exalté lui-même et se déclarant légitimiste, ce qui n'est pas être hostile à la dynastie régnante depuis qu'il n'y a plus de prétendants en Angleterre.

Avec ses opinions bien connues, M. Croker avait plus d'une fois, de son propre aveu, jugé sévèrement les actes de LouisPhilippe pendant les dix-sept ans de son règne; mais, habitant une campagne dans le voisinage de Claremont, il a rencontré Louis-Philippe, lui a été présenté, et, en l'écoutant, il n'a pas tardé, comme il l'avoue, à modifier son opinion sur le caractère et la politique du monarque exilé..... S'étant chargé de rendre

compte, dans la Quarterly-Review, des ouvrages qui forment le texte de son article, M. Croker avait prié le Roi et les personnes de sa famille de lui fournir quelques notes. Louis-Philippe lui a communiqué son propre journal. C'est cette communication qui prête une authenticité historique aux détails du départ du Roi, formant la seconde partie de cet article, la première appartenant plutôt à la polémique.

Nous reproduisons ici tout d'abord cette seconde partie, dans laquelle M. Croker s'attache particulièrement à relever les erreurs commises par M. de Lamartine dans son Histoire de la Révolution de 1848, et par le capitaine Chamier, dans la Review of the Frensh Revolution of 1848.

«La relation faite par M. de Lamartine du départ du Roi et de la famille royale est erronée sur plusieurs points, dit M. Croker, sans intention malveillante toutefois, nous le croyons, -car M. de Lamartine ôte encore son chapeau à Jupiter et à Junon; mais par cette inexactitude de renseignements et cette diffusion de style qui caractérisent tous ses détails. Nous avons pu vérifier plusieurs faits. Or, soit qu'on introduise les épisodes personnels comme ayant leur valeur historique, soit qu'on veuille seulement les faire servir à l'intérêt général de la narration, leur valeur ou leur intérêt dépendent essentiellement de leur exactitude. S'ils valent la peine d'être racontés, ils doivent l'être fidèlement; et puisque M. de Lamartine a jugé à propos de donner à cet épisode tant de place dans son Histoire de la Révolution de 1848, nous avons pris la peine de nous mettre en état de raconter les mêmes événements avec les détails les plus circonstanciés et les plus corrects. Nous avons d'autant mieux cru devoir le faire, que le capitaine Chamier et d'autres auteurs, d'une tournure d'esprit moins romanesque que M. de Lamartine, trompés par les bruits vulgaires, sont tombés dans la même inexactitude.

» Nous prévenons nos lecteurs que les détails circonstanciés que nous allons leur donner, ne pouvaient être obtenus d'une manière authentique que de ceux qui furent acteurs ou témoins de ces épisodes intéressants et dramatiques. En tant qu'il s'agit

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