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ples, les cités, où la nature elle-même un jour s'anéantira, lasse de recueillir les cendres du monde, et de ce mouvement perpétuel de tous les êtres qui courent de la vie au tombeau. Heureux Dieu puissant, celui qui vit en toi de la vie éternelle du juste!

Un funeste accident, une frayeur soudaine, avoient córrompu dans Pascal les sources de la vie (1). Foible et souf

(1) Voici l'événement tel qu'il est rapporté dans sa vie. « Un jour du mois d'octobre 1654, étant << allé se promener, suivant sa coutume, au pont de << Neuilli, dans un carrosse à quatre chevaux, les « deux premiers prirent le mors aux dents vis-à-vis <«< un endroit où il n'y avoit point de garde-fou, et << se précipiterent dans la Seine. Heureusement la « premiere secousse de leur poids rompit les traits qui les attachoient au train de derriere, et le car<«< rosse demeura sur le bord du précipice.

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Pascal mourut le 19 août 1662, c'est-à-dire, environ huit ans après cet accident.

frant jusque-là, depuis sa santé dépérit de jour en jour. On dit même que, frappé du danger qu'il avoit couru, sòn imagination rouvroit incessamment à ses côtés l'abîme sur lequel il étoit un instant demeuré suspendu. Ceux qui ont peine à concevoir l'heureuse alliance du génie avec les saintes pratiques de la religion, attribuent au dérangement de ses organes la vie dévote et austere qu'il commença d'embrasser. Mais ignorent-ils donc que ce fut alors seulement que Pascal composa les Provinciales, découvrit la cycloïde, mit au jour ses pensées; et qu'enfin il ne parut jamais aussi grand que depuis que Dieu l'eut appelé à lui. Il entendit cette voix mystérieuse qui remplit de joie l'ame du juste, et trouble celle de l'impie; il y répondit par les soupirs d'un cœur plein de la grace

divine, et quitta le monde pour s'atta cher à l'éternité. J'ai vu aussi ce précieux papier qu'il portoit toujours avec lui caché dans ses vêtements, sur lequel il avoit marqué le jour de sa renonciation au monde, renonciation totale et douce, comme il l'appelle lui-même. Quelle ame put suffire à tant de pieux élans! quel touchant désordre! quelle ivresse! quelle ardeur! Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants; certitude, certitude, sentiments, vue, joie, paix. C'est ainsi qu'il parle. Jésus-Christ— Jésus-Christ Jésus-Christ-joie, joie, pleurs de joie. Ainsi la flamme embrase le bûcher, dévore l'hostie, s'élance plus rapide à l'instant du sacrifice, et monte jusqu'au trône du dieu des miséricordes !

Les philosophes supposent que l'extase où paroît être tombé Pascal fut l'effet d'une vision, et l'on sait ce qu'ils entendent par ce mot. C'est peut-être aussi la conclusion de cet endroit où il dit: Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi. Mais le désordre de sa pensée, tant de sentiments divers de repentir et d'amour, de crainte, de confiance, attestent bien plutôt la fin d'un pénible combat, et l'instant d'une entiere conversion. Je m'en suis séparé. Je l'ai fui, renoncé.- Crucifié. - Que je n'en sois jamais séparé. De même, saint Augustin rapporté qu'il s'éleva dans son cœur une violenté tempête, qui fut suivie d'une grande pluie de larmes accompagnée de longs gémissements. «<Seigneur, s'écrioit-il, jusques à « quand, jusques à quand serez-vous en 3.

«< colere contre moi?» Qu'ils sont précieux, les monuments que nous ont conservés ces deux grands hommes, de la victoire qu'ils remporterent sur le mondel Etrange victoire! qui ne fit verser des larmes qu'aux vainqueurs, qui les remplit d'humilité, et leur montrale renoncement à soi-même comme le premier fruit de la conquête. Où trouve-t-on de pareils combats, des larmes si généreuses, des cœurs si tendres, des serviteurs si fideles, et tant de vertu et de génie tout ensemble, pour que le sacrifice en soit plus éclatant?

Cependant le mal faisoit de rapides progrès. Vainement cherchoit-on à se rassurer, à donner des espérances à celui qui étoit l'objet de toutes les craintes; il les repoussoit comme indignes de sa grande ame. Quelque long et cruel que soit le sacrifice, il ne s'imaginoit pas qu'un

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