Page images
PDF
EPUB

dont les écrits passeront à jamais pour un modele de la plus haute poésie, eût méconnu tous ses charmes et le pouvoir qu'elle a sur les hommes. Mais qu'entendoit-il par ce nom, si ce n'est tant de fades compositions, où la mesure et l'arrangement des mots tiennent lieu de toute pensée? Ecoutez-le lui-même : On a inventé de certains termes bizarres, siecle d'or, merveille de nos jours, fatal laurier, bel astre, etc.; et on appelle ce jargon beauté poétique. Pascal bientôt après nous révele le grand secret de la poésie, aussi bien que la véritable éloquence. Quand un discours naturel, dit-il, peint une passion ou un effet, on trouve dans soi-même la vérité de ce qu'on entend, qui y étoit sans qu'on le sút; et on se sent portę à aimer celui qui nous le fait sentir....

Il faut qu'il y ait dans l'éloquence de l'agréable et du réel; mais il faut que cet agréable soit réel.... Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, etc. Et nous paroîtra-t-il ici plus sévere que Boileau lui-même ? ou plutôt sa pensée toute entiere n'est-elle pas dans ce vers célebre,

Rien n'est beau que le vrai; le vrai seul est aimable?

Comme lui Despréaux dans sa deuxième satire, n'a-t-il pas voué au ridicule ces mots insipides, astres, merveilles, beautés sans pareilles, etc. Pascal, vous le voyez, n'a pas été seulement la nourriture des philosophes et des orateurs les plus éloquents de son siecle, le plus

grand de nos poëtes lui doit aussi quelque chose!

J'irai plus loin encore. Il se peut que

-Pascal ait pensé de la poésie ce qu'il disoit d'un art qui a tant de rapports avec elle: Quelle vanité que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire pas les originaux! Et cela même est une grande et belle pensée! Suffit-il donc à la poésie de nous présenter un corps heureusement proportionné, plein de graces et d'élégance, tel enfin que cet Apollon du Belvédere, dont toutes les formes sont si parfaites; mais qui, privé de l'esprit intérieur, source de la vie, n'est qu'une vaine imitation incapable de nous satisfaire! La poésie des Ecritures ne nous paroît aussi sublime, que parcequ'elle est, pour ainsi dire, comme l'enveloppe des hautes vérités qu'elles contiennent. C'est encore par la même raison que je préférerois le Télé

maque à l'Iliade (1). Ainsi, non seulement il faut, comme l'a dit Pascal, que la poésie soit une heureuse imitation de la

(1) On ne trouve point dans Homere cette sagesse qui est comme l'objet et la fin du Télémaque; on y trouve bien moins encore ces vérités saintes qui lient tous les livres de l'Ancien Testament. Voyez la différence entre les guerriers d'Israël et ceux qu'Homere a chantés! Ceux-ci n'ont qu'une vaillance brutale, qui naît toute du sentiment de leur force. Ajax tremble devant Hector; Hector au seul nom d'Achille : David, chétif conducteur de troupeaux, avec un bâton et sa fronde, attaque fièrement le terrible Goliath, géant armé d'un long glaive et tout couvert d'airain. Je ne parle point du peu de grandeur d'ame que font paroître les héros de la Grece, et Agamemnon lui-même, le roi des rois, toujours prêt à fuir, et dans un désespoir continuel; lui qui, peu auparavant s'étoit montré si arrogant. Cela devoit être ainsi, puisque l'Iliade entiere, ce chef-d'œuvre de peinture, n'est soutenue par aucune grande pensée religieuse ou morale, qui, comme une ame vivante, peut seule imprimer à nos conceptions cette sublimité dont nous sommes capables.

nature, pour être en droit de nous plaire; mais encore que cette peinture cache un fond de vérités utiles aux hommes.

Mais pourquoi s'arrêter plus longtemps aux fleurs d'une poésie mensongere et d'une vaine éloquence? Cherchez-en d'autres maintenant; c'est sur la tombe de Pascal qu'il vous faudra bientôt en répandre ! Vous l'admirez au milieu de sa course, et tout-à-coup il va se dérober à votre admiration; le ciel envieux l'arrache à la terre! Il s'incline comme le lis de la vallée par un soleil brûlant; il ne verra pas même la fin du jour. Oh, grand Dieu! par quel souffle rapide renverses-tu si promptement ta créature? La feuille ne tombe pas plus vite de la cime des arbres! La terre est un vaste sépulcre, où descendent tour-à-tour les hommes, les peu

« PreviousContinue »