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décesseurs. Des nuances plus douces unissent les couleurs opposées. La chapelle de Saint-Pierre al Carmine fait la gloire de Masolino (1415). Il y peignit les évangélistes, et plusieurs traits de la vie de saint Pierre, la Vocation à l'apostolat, la Tempête, le Reniement.

Quelques années après sa mort, d'autres scènes de la vie du saint, telles que le Tribut payé à César, et la Guérison des malades, furent ajoutées par son élève Maso di San-Giovani, jeune homme qui, tout absorbé dans les pensées de l'art, et plein de négligence pour les intérêts communs de la vie. fut surnommé Masaccio par les habitants de Florence.

CHAPITRE XX.

MASACCIO.

Pour celui-ci, c'est un homme de génie, et qui a fait époque dans l'histoire de l'art. Il s'était formé d'abord sur les ouvrages des sculpteurs Ghiberti et Donatello. Brunelleschi lui avait montré la perspective. Il vit Rome, et sans doute y étudia l'antique.

Masaccio ouvrit à la peinture une route nouvelle. On n'a qu'à voir les belles fresques de l'église del Carmine, qui heureusement ont échappé à l'incendie de 1771.

Les raccourcis sont admirables. La pose des figures offre une variété et une perfection inconnues à Paolo Uccello lui-même. Les parties nues sont traitées d'une manière naïve, et toutefois avec un art infini. Enfin la plus grande de toutes les louanges, et que pourtant l'on peut donner à Masaccio avec vérité, c'est que ses têtes ont quelque chose de celles de Raphaël. Ainsi que le peintre d'Urbin, il marque d'une expression différente chacun des personnages qu'il introduit. Cette figure du Baptême de saint Pierre, louée si souvent (c'est un homme qui vient de quitter ses habits et qui tremble de froid), a été sans rivale jusqu'au siècle de Raphaël, c'est-à-dire que Léonard de Vinci, le Frate et André del Sarto, ne l'ont point égalée1.

1 Ces fresques ont été gravées par Carlo Lasinio.

Nous voici à la naissance de l'expression.

Tous les hommes spirituels ou sots, flegmatiques ou passionnés, conviennent que l'homme n'est rien que par la pensée et par le cœur. Il faut des os, il faut du sang à la machine humaine pour qu'elle marche. Mais à peine prêtons-nous quelque attention à ces conditions de la vie pour voler à son grand but, à son dernier résultat penser et sentir.

C'est l'histoire du dessin, du coloris, du clair-obscur, et de toutes les diverses parties de la peinture comparées à l'expression.

L'expression est tout l'art.

Un tableau sans expression n'est qu'une image pour amuser les yeux un instant. Les peintres doivent sans doute posséder le coloris, le dessin, la perspective, etc.; sans cela l'on n'est pas peintre. Mais s'arrêter dans une de ces perfections subalternes, c'est prendre misérablement le moyen pour le but, c'est manquer sa carrière. Que sert à Santo di Tito d'avoir été ce grand dessinateur si renommé dans Florence? Hogarth vivra plus que lui. Les simples coloristes, remplissant mieux la condition du tableau-image, sont plus estimés. A égale inanité d'expression, une cène de Bonifazio se paye dix fois plus qu'une descente de croix de Salviati1.

Par l'expression, la peinture se lie à ce qu'il y a de plus grand dans le cœur des grands hommes. Napoléon touchant les pestiférés à Jaffa2.

Par le dessin, elle s'acquiert l'admiration des pédants.

Par le coloris, elle se fait acheter des gros marchands Anglais. Au reste, il ne faut pas accuser légèrement les grands peintres de froideur. J'ai vu en ma vie cinq ou six grandes actions, et j'ai été frappé de l'air simple des héros.

1 Bonifazio, de l'école de Venise, mort en 1553, à 62 ans; Salviati de Florence, de 1510 à 1563; Hogarth, mort en 1761.

2 On me dira qu'à propos des arts je parle de choses qui leur sont étrangères; je réponds que je donne la copie de mes idées, et que j'ai vécu de mon temps. Je cite ceci comme tableau, sans affirmer qu'ensuite il ne les ait pas fait empoisonner.

Masaccio bannit des draperies tous les petits détails minutieux. Chez lui, elles présentent des plis naturels et en petit nombre. Son coloris est vrai, bien varié, tendre, d'une harmonie étonnante; c'est-à-dire que les figures ont un relief admirable. Ce grand artiste ne put terminer la chapelle del Carmine; il mourut en 1443, probablement par le poison. Il n'avait que quarante-deux ans. C'est une des plus grandes pertes que les . arts aient jamais faites.

L'église del Carmine, où il repose, devint après sa mort l'école des plus grands peintres qu'ait produits la Toscane. Léonard de Vinci, Michel-Ange, le Frate, André del Sarto, Luca Signorelli, le Pérugin et Raphaël lui-même vinrent y étudier avec respect1.

CHAPITRE XXI.

SUITE DE MASACCIO.

Les yeux accoutumés aux chefs-d'œuvre de l'âge suivant peuvent avoir quelque peine à démêler Masaccio. Je l'aime trop pour en juger. Je croirais cependant que c'est le premier peintre qui passe du mérite historique au mérite réel.

Masaccio étant mort jeune, et ayant toujours aspiré à la perfection, ses tableaux sont fort rares. J'ai vu de lui, au palais

1 On lui fit cette épitaphe :

Se alcun cercasse il marmo o il nome mio,

La Chiesa è il marmo, una capella è il nome:

Morii, chè natura ebbe invidia, come

L'arte del mio pennel, uopo e desio.

D'où l'on a tiré,

Si monumentum quæris, circumspice.

Epitaphe du célèbre architecte Wren, dans Saint-Paul de Londres, et peut-être le charmant distique:

Ille hic est Raphael, timuit quo sospite vinci
Rerum magna parens, et moriente mori.

Pitti, un portrait de jeune homme qui est sublime. On lui attri bue à Rome les évangélistes qui sont à la voûte de la chapelle de Sainte-Catherine; mais c'est un ouvrage de sa jeunesse, ainsi que le tableau représentant sainte Anne, qui est à Florence, dans l'église de Saint-Ambroise. Le temps a effacé ses autres fresques.

L'antiquité n'ayant rien laissé pour le clair-obscur, le coloris, la perspective et l'expression, Masaccio est plutôt le créateur que le rénovateur de la peinture.

CHAPITRE XXII.

DÉFINITIONS.

Un général célèbre, voulant voir dans un musée un petit tableau du Corrége placé fort haut, s'approcha pour le décrocher: << Permettez, sire, s'écria le propriétaire; M. N*** va le prendre, il est plus grand que vous. Dites plus long. »

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C'est, je crois, pour éviter cette petite équivoque que dans les arts le mot grandiose remplace le mot grand. C'est en supprimant les détails, suivant une certaine loi, et non en peignant sur une toile immense, que l'on est grandiose. Voir la Vision d'Exéchiel et la Cène de saint Georges à Venise.

Tout le monde connaît la Madona alla Seggiola 1. Il y a deux gravures, l'une de Morghen, l'autre de M. Desnoyers, et, entre ces deux gravures, une certaine différence. C'est pour cela que les styles de ces deux artistes sont différents. Chacun a cherché d'une manière particulière l'imitation de l'original.

Supposons le même sujet par plusieurs peintres, l'Adoration des rois, par exemple.

La force et la terreur marqueront le tableau de Michel-Ange. Les rois seront des hommes dignes de leur rang et paraîtront sentir devant qui ils se prosternent. Si la couleur avait de l'agrément et de l'harmonie, l'effet serait moindre, ou plutôt la véri

1 De Raphaël, ancien Musée Napoléon, la Vision, no 1125.

table harmonie du sujet est dure. Haydn, peignant le premier homme chassé du ciel, emploie d'autres accords que l'aimable Bocherini lorsqu'il vient charmer la nuit par ses tendres

accents.

Chez Raphaël on songera moins à la majesté des rois; on n'aura d'yeux que pour la céleste pureté de Marie et les regards de son Fils. Cette action aura perdu sa teinte de férocité hébraïque. Le spectateur sentira confusément que Dieu est un tendre père.

Si le tableau est de Léonard de Vinci, la noblesse en sera plus sensible que chez Raphaël même. La force et la sensibilité brûlante ne viendront pas nous distraire. Les gens qui ne peuvent s'élever jusqu'à la majesté seront charmés de l'air noble des rois. Le tableau, chargé de sombres demi-teintes, semblera respirer la mélancolie.

Il sera une fête pour l'œil charmé s'il est du Corrége. Mais aussi la divinité, la majesté, la noblesse, ne saisiront pas le cœur dès le premier abord. Les yeux ne pourront s'en détacher, l'âme sera heureuse, et c'est par ce chemin qu'elle arrivera à s'apercevoir de la présence du Sauveur des hommes.

Quant à la partie physique des styles, nous verrons chacun des dix ou douze grands peintres prendre des moyens différents. Un choix de couleurs, une manière de les appliquer avec le pinceau, la distribution des ombres, certains accessoires, etc., augmentent les effets moraux d'un dessin. Tout le monde sent qu'une femme qui attend son amant ou son confesseur ne prend pas le même chapeau.

Chaque grand peintre chercha les procédés qui pouvaient porter à l'âme cette impression particulière qui lui semblait le grand but de la peinture.

Il serait ridicule de demander le but moral aux connaisseurs. En revanche, ils triomphent à distinguer la touche heurtée du Bassan des couleurs fondues du Corrége. Ils ont appris que le Bassan se reconnaît à l'éclat de ses verts, qu'il ne sait pas dessiner les pieds, qu'il a répété toute sa vie une douzaine de sujets familiers; que le Corrége cherche des raccourcis gracieux, que ses visages n'ont jamais rien de sévère, que ses yeux ont une

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