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Qu'il vivé donc, Seigneur, et qu'il nous fasse vivre j
Que de toutes ces peurs nos âmes il délivre;
Et rendant l'univers de son heur étonné,
Ajoute chaque jour quelque nouvelle marque
Au nom qu'il s'est acquis du plus rare monarque
Que ta bonté propice ait jamais couronné.

AU ROI. SONNET:

(1627).

Qu'avec une valeur à nulle autre seconde,
Et qui seule est fatale à notre guérison,
Votre courage mûr en sa verte saison

Nous ait acquis la paix sur la terre et sur l'onde;

Que l'hydre de la France en révoltes féconde,

Par vous soit du tout morte, ou n'ait plus de poison:
Certes c'est un bonheur dont la juste raison
Promet à votre front la couronne du monde.

Mais qu'en de si beaux faits vous m'ayez pour témoin,
Connoissez-le, mon Roi, c'est le comble du soin
Que de vous obliger ont eu les destinées.

Tous vous savent louer, mais non également;
Les ouvrages communs vivent quelques années;
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

AMYOT.

Jacques Amyot, né à Melun en 1513, fut d'abord valet au collége de Navarre : il devint précepteur des enfants du roi Henri II, grand aumônier de France, conseiller d'État, évêque d'Auxerre, et mourut en 1593. Ses ouvrages sont des traductions du grec: l'Histoire Ethiopique d'Héliodore; sept livres de Diodore; les Amours de Daphnis et Chloé de Longus; enfin, le plus célèbre de tous, les Œuvres complètes de Plutarque

Les Vies parurent en 1559, 2 vol. in-folio, et les OEuvres morales en 1572, 6 vol. in-8°. On recherche l'édition de Vascosan, 1567-75, 13 vol. in-8°; l'édition de Cussac, 1783-87;

22 vol.; l'édition avec notes de Clavier, 1801-1806, 25 vol. in-8; celle de Coray, 12 vol. in-8°.

Jacques Amyot ne fut qu'un traducteur, mais un traducteur de génie : il occupe le premier rang dans un genre secondaire. Il a en quelque sorte créé Plutarque: il nous l'a donné plus vrai, plus complet que ne l'avait fait la nature. Le naïf et quelque peu crédule Béotien avait été jeté par le hasard de la naissance au siècle raffiné et corrompu d'Adrien. Pour exprimer sa pensée droite et simple, il n'avait que l'idiome laborieux et savant des Alexandrins. De là, une dissonnance continuelle dans ses nombreux écrits: son esprit et sa langue ne sont pas du même siècle. Amyot rétablit l'harmonie, et grâce à lui l'élève d'Ammonius redevient le bonhomme Plutarque. Cette création fut une bonne fortune pour la France: non-seulement elle enrichit la langue par l'heureuse nécessité d'exprimer tant de conceptions nobles et vraies, mais encore elle devint pour la renaissance des idées antiques un puissant auxiliaire. « Nous autres ignorants étions perdus, dit Montaigne, si ce livre ne nous eût relevés du bourbier; sa merci (grâce à lui) nous osons à cette heure et parler et écrire; les dames en régentent les maîtres d'école : c'est notre bréviaire.»

MORT DE PHILOPŒMEN.

VAINCU PAR DINOCRATES TYRAN DE MESSÈNE, PHILOPŒMEN EST TOMBÉ AU TOUVOIR DE SON ENNEMI. APRÈS L'AVOIR CONDUIT A MESSÈNE, ET ENFERMÉ DANS UN CACHOT, Dinocrates se rRÉSOUT A LE FAIRE MOURIR. Dinocrates ne craignoit rien plus que le délay du temps, pour ce qu'il se doubtoit bien que c'estoit ce qui seul pourroit saulver la vie à Philopomen. Parquoy, pour prevenir toutes les provisions que les Achaïens y pourroient donner1 quand la nuict feut venue, et que tout le peuple Messenien se feut retiré, il feit ouvrir le caveau, et y feit desvaler l'exécuteur de haulte-justice avecques un breuvage de poison pour luy presenter, luy commandant de ne partir d'auprès de luy qu'il ne l'eust beu. Or estoit Philopomen, lorsque l'exécuteur entra, couché sur un petit manteau; non qu'il eust envie de dormir,

1. Toutes les mesures que les Achéens pourraient prendre, afin de sauver Philopomen.

mais bien le cœur serré de douleur, et l'entendement troublé d'ennuy. Quand il veit de la lumière et cest homme auprès de luy, tenant en sa main un goubelet où estoit le breuvage du poison, il se leiva en son séant; mais ce feut à grande peine, tant il estoit foible, et prenant le goubelet, demanda à l'exécuteur s'il avoit rien ouy dire des chevaliers qui estoyent venus avecques luy, principalement de Lycortas'. L'executeur lui feit response que la pluspart s'estoit saulvée. Adoncques il feit un peu de signe de la teste seulement, et en le reguardant d'un bon visage, lui dict: il va bien3, puis que nous n'avons pas esté malheureux en tout et partout; et sans jamais jecter austre voix ny dire austre parole, il beut tout le poison, et puis se recoucha comme devant : si ne feit pas sa nature grande resistance au poison, tant son corps estoit debile, ains en feut tantot estouffé et esteinct.

(Vies des hommes illustres. — Philopomen.)

APPIUS CLAUDIUS AU SÉNAT.

APRÈS LA BATAILLE D'HÉRACLÉE, PYRRHUS FIT OFFRIR AUX ROMAINS UNE PAIX HONORABLE ET SON AMITIÉ. PLUSIEURS SÉNATEURS INCLINAIENT A TRAITER AVEC LUI.

Mais Appius Claudius, personnage notable, qui en partie pour sa vieillesse, et en partie pour avoir perdu la veue, ne venoit plus au senat, ny ne s'entremettoit plus des affaires publicques, quand il entendit les offres que faisoit le roy Pyrrhus, et comment le bruict couroit par la ville, que le senat luy accorderoit les articles de paix qu'il avoit proposés, il ne se peust contenir, ains se feit porter par ses serviteurs dedans une lictière à bras jusques au senat, à travers la grande place de Rome, là où comme il feut arrivé à la porte, ses gendres et ses enfants le prenant dessoubz les bras, et se mettants à l'entour de luy le conduisirent au dedans. Le senat feit silence par honneur à l'arrivée d'un si notable et si vénérable personnage, et luy, si tost qu'on l'eut posé en sa place, commencea à parler en ceste manière : « Par cy-devant, Seigneurs Romains, je portois fort impatiem«ment la perte de ma veûe, mais maintenant je vouldrois encores « estre sourd, aussy bien comme aveugle, quand j'oy dire les lasches et << deshonnestes conclusions que vous arrestez en vos conseils, qui sont << pour renverser toute la gloire et la réputation de Rome. Car où sont « à ceste heure les avantageux propos que vous faisiez n'a guères courir par tout le monde : Que si Alexandre le Grand feust luy mesme « venu en Italie du temps que nos pères estoyent en la fleur de leur « aage, et nous en nostre première jeunesse, on ne le chanteroit pas

1. Lycortas, l'ami et le disciple de Philopœmen, devint, après lui, le chef de la ligue achéenne.

2. Cela va bien, res benè se habet.

« par tout invincible, comme on faict maintenant, ains serait deamouré par deça1 mort en la bataille, et par sa mort ou sa fuite « auroit augmenté la renommée ou la gloire de Rome? Vous monstrez « bien maintenant que tous ces propos-là n'estoyent que vaine vanterie « et folle arrogance, veu que vous craignez les Molossiens et Chao« niens qui tousjours ont esté proye des Macedoniens, et redoubtez un Pyrrhus, qui toute sa vie a servi et faict la cour à l'un des satellites <«<et guardes du corps d'Alexandre le Grand, et qui maintenant est a venu faire la guerre par deça, non tant pour secourir les Grecs habitants en Italie, que pour fuyr les ennemis qu'il a par delà, vous << offrant de vous conquerir tout le reste de l'Italie avecques une armée, « laquelle n'a pas esté suffisante pour luy conserver une petite portion a de la Macédoine seulement pourtant ne faust-il pas que vous « estimiez, qu'en faisant paix avec luy, vous vous despestrerez de luy, <«< ains plustost que vous en attrairez d'austres à vous venir courir suz: « car ils vous auront en mespris, quand ils vous sentiront si faciles à << dompter, si vous laissez eschapper Pyrrhus, sans luy faire payer « l'amende de l'oultraige qu'il vous a osé faire, emportant encores « pour son salaire cest advantage sur vous, qu'il aura donné aux Sam«nites et Tarentins de quoy cy-après se mocquer des Romains. »

Depuis que ces remonstrances d'Appius eurent esté ouyes au senat, il n'y eut celuy en toute l'assemblée qui n'aimast mieulx la guerre que la paix, et renvoya-l'on Cinéas avecques ceste response, « que si Pyrrhus desiroit l'amitié et alliance des Romains, il falloit qu'il sortist premierement de l'Italie, et puis qu'alors il les envoyast re«< chercher de paix : mais que tant comme il seroit dedans l'Italie en «armes, les Romains luy feroient la guerre de toute leur puissance, « quand bien il auroit battu et deffaict dix mille tels capitaines comme « Lœvinus', (Vies des hommes illustres. — Pyrrhus.)

RABELAIS.

François Rabelais, né en 1483 à Chinon, fut d'abord cordelier, puis bénédictin. Fatigué du joug de la règle mo

1. Sur ce rivage, de ce côté de l'Adriatique.

2. Pyrrhus passa plusieurs années, en qualité d'otage, à la cour de Ptolémée Soter.

3. Pyrrhus avait conquis la Macédoine sur Démétrius Poliorcète, et n'avait pas su la conserver.

4. Le consul Lovinus battu par Pyrrhus à Héraclée.

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nastique, il quitta le froc pour l'habit de prêtre séculier, et se mit à courir le monde. En 1530, il se fit inscrire sur les registres de la Faculté de médecine de Montpellier. Au commencement de l'année 1534, et deux ans plus tard en 1536, il accompagna à Rome, en qualité de médecin, le cardinal Jean du Bellay, ambassadeur de France. Revenu à Montpellier, il fut promu au doctorat le 22 mai 1537. L'année suivante, il exerça la médecine dans plusieurs villes du Midi, à Narbonne, à Castres, à Lyon; il fut néanmoins autorisé à prendre possession du canonicat de Saint-Maurles-Fossés que lui avait octroyé le cardinal du Bellay. En 1551, il obtint du cardinal la cure de Meudon. Il mourut en 1553 à Paris. On a de lui quelques travaux sérieux, tels que des éditions de divers traités d'Hippocrate et de Galien. Mais l'ouvrage qui a rendu son nom immortel, c'est l'histoire de Gargantua et de Pantagruel, roman satirique en cinq livres, qui parurent séparément, de 1533 à 1564. Il a été fait un grand nombre d'éditions de Rabelais; les principales sont celles d'Amsterdam, 1711 et 1741, avec remarques historiques et critiques de Le Duchat, 5 vol. in-8°; celle de MM. Esmangart et E. Johanneau, 1823-26, avec les remarques de Le Duchat, Voltaire, Ginguené, etc.; celles de P. Lacroix, 1842, in-12, et de MM. Burgaud des Marets et Rathery, collationnée sur les éditions originales, 1857, 2 vol. in-8°.

La Vie de Gargantua et de Pantagruel est, dit M. SainteBeuve, une œuvre inouïe, mêlée de science, d'obscurité, de comique, d'éloquence et de haute fantaisie, qui rappelle tout, sans être comparable à rien, qui vous saisit et vous déconcerte, vous enivre, et vous dégoûte, et dont on peut, après s'y être beaucoup plu et l'avoir beaucoup admirée, se demander sérieusement si on l'a comprise. Sous une gaieté qui va parfois jusqu'à la bouffonnerie et jusqu'à la licence la plus choquante, Rabelais cache une haute raison, un sens profond et hardi. Lui-même nous en avertit: « Vites-vous oncques chien rencontrant quelque os médullaire? Le chien est, comme dit Platon, la bête du monde la plus

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