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MALHERBE,

François de Malherbe, né à Caen vers 1555, d'une noble et ancienne famille, vécut d'abord en Provence et se signala dans le métier des armes. Il vint à Paris en 1603, fut présenté à Henri IV qui, charmé de la pureté de ses vers et de la noblesse de son langage, le garda à son service et l'inscrivit parmi ses pensionnaires. Après la mort de ce prince, Marie de Médicis gratifia Malherbe d'une pension de cinq cents écus. Il mourut à Paris en 1628. Ses œuvres consistent en Odes, Stances, Sonnets, Paraphrases, Epigrammes, Chansons, Lettres en prose, traduction de quelques traités de Sénèque et du XXXIII livre de Tite-Live. Les principales éditions de ses œuvres sont celles de Chevreau, 1723; Saint-Marc, 1727; Lefebvre, 1825; Delatour, 1841. Nous avons une Vie de Malherbe, écrite par Racan.

La gloire de Malherbe, c'est d'avoir connu le premier en France le sentiment et la théorie du style, d'avoir fait sciemment ce que Régnier exécutait par instinet. Critique plutôt qu'artiste, son œuvre est un code plus qu'un poëme, et, comme tout législateur, il s'attache surtout à ce qu'on doit éviter. S'il procéda surtout par négation, c'est que son époque, non moins que son génie, lui en faisait une nécessité. La richesse était faite dans la poésie, il n'y manquait que l'ordre, cette seconde richesse. Malherbe inventa le goût: ce fut là sa création.

Il proscrivit en vers l'hiatus, sans circonstances atténuantes, interdit à jamais l'enjambement ou suspension, posta la césure au sixième pied de l'alexandrin, comme une sentinelle impassible, repoussa dédaigneusement les rimes trop faciles rien ne sent plus son grand poëte que de rimer difficilement. Désormais plus de licence en poésie, plus d'inversions hasardées; les vers bien faits seront beaux

:

comme de la prose. Dans les matériaux confus qu'avaient entassés ses devanciers, il fit une langue noble, par choix et par exclusion. Le principe qui présida à ce triage atteste sa haute intelligence de la vraie nature des langues; il répudia également la cour et le collége, la mode et l'érudition, et prit pour guide l'instinct du peuple de Paris. Il rejeta tous les patois admis avec trop d'indulgence par Ronsard. La langue, comme la monarchie, marchait à grands pas vers l'unité. Au précepte il sut joindre l'exemple, et le caractère de son talent s'assortit merveilleusement avec les exigences de sa raison. Poëte peu fécond, mais correct et laborieux, on le vit gâter une demi-rame de.papier pour faire et refaire une stance.

Cette sobriété de composition, ce respect du lecteur et des lois du style, cette haute idée des difficultés de l'art, était au seizième siècle chose entièrement nouvelle. Aussi quel charme n'éprouve-t-on pas, en quittant Ronsard, Dubartas, d'Aubigné et Régnier lui-même, de rencontrer tout à coup des vers qu'on croirait cueillis d'hier, tant ils ont conservé leur fraîcheur et leur pureté!

CONSOLATION A M. DU PÉRIER, GENTILHÕMME D'AIX EN PROVENCE, SUR LA MORT DE SA FILLE. STANCES:

(1607).

Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle.
L'augmenteront toujours ?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance étoit pleine,
Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine

Avecque son mépris.

Mais elle étoit du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin;

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses',
L'espace d'un matin.

Puis quand ainsi seroit, que selon ta prière
Elle auroit obtenu

D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il advenu?

Penses-tu que plus vieille en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil?

Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste,
Et les vers du cercueil?

C'est bien, je le confesse, une juste coutume,
Que le cœur affligé,

Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche d'être allégé.

Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,

Celui qui ne s'émeut a l'âme d'un barbare,
Ou n'en a du tout point.

Mais d'être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,

N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui ?

La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles;
On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point nos rois.

De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal à propos;

Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
Qui nous met en repos.

1. On raconte que Malherbe avait d'abord écrit ainsi ce vers :

Et Rosette a vécu ce que vivent les roses.

Mais à l'imprimerie, on aurait mal lu le manuscrit, et on aurait mis Roselle au lieu de Rosette. En lisant l'épreuve à haute voix, le poëte aurait été frappé de cette variante fortuite, et l'aurait adoptée.

PARAPHRASE DU PSAUME CXLV.

(1627.)

N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre;
C'est Dieu qui nous fait vivre,

C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris et ployer les genoux.

Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont comme nous sommes,
Véritablement hommes,

Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière

Dont l'éclat orgueilleux étonne l'univers;

Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hautaines Font encore les vaines,

Ils sont mangés des vers.

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;

Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs;
Et tombent avec eux d'une chute commune

Tous ceux que leur fortune

Faisoit leurs serviteurs.

PRIÈRE POUR LE ROI. HENRI LE GRAND
ALLANT EN LIMOUSIN.

(1607.)

STANCES.

O Dicu, dont les bontés de nos larmes touchées
Ont aux vaines fureurs les armes arrachées,
Et rangé l'insolence aux pieds de la raison,
Puisqu'à rien d'imparfait ta louange n'aspire,
Achève ton ouvrage au bien de cet empire,
Et nous rends l'embonpoint comme la guérison.
Certes quiconque a vu pleuvoir dessus nos têtes
Les funestes éclats des plus grandes tempêtes
Qu'excitèrent jamais deux contraires partis,
Et n'en voit aujourd'hui nulle marque paroître,

En ce miracle seul il peut assez connoître
Quelle force a la main qui nous a garantis.

Mais quoi? de quelque soin qu'incessamment il veille,
Quelque gloire qu'il ait à nulle autre pareille,

Et quelque excès d'amour qu'il porte à notre bien;
Comme échapperons-nous en des nuits si profondes,
Parmi tant de rochers que lui cachent les ondes,
Si ton entendement ne gouverne le sien?

Un malheur inconnu glisse parmi les hommes,
Qui les rend ennemis du repos où nous sommes;
La plupart de leurs vœux tendent au changement;
Et comme s'ils vivoient des misères publiques,
Pour les renouveler ils font tant de pratiques,
Que qui n'a point de peur n'a point de jugement.
En ce fâcheux état ce qui nous réconforte,
C'est que la bonne cause est toujours la plus forte,
Et qu'un bras si puissant t'ayant pour son appui,
Quand la rébellion plus qu'une hydre féconde
Auroit pour le combattre assemblé tout le monde,
Tout le monde assemblé s'enfuiroit devant lui.

Il n'a point son espoir au nombre des armées,
Etant bien assuré que ces vaines fumées
N'ajoutent que de l'ombre à nos obscurités;
L'aide qu'il veut avoir, c'est que tu le conseilles;
Si tu le fais, Seigneur, il fera des merveilles,
Et vaincra nos souhaits par nos prospérités.

Tu nous rendras alors nos douces destinées;
Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années
Qui pour les plus heureux n'ont produit que des pleurs.
Toute sorte de bien comblera nos familles;

La moisson de nos champs lassera les faucilles,

Et les fruits passeront la promesse des fleurs.

Quand un roi fainéant, la vergogne des princes,
Laissant à ses flatteurs le soin de ses provinces,
Entre les voluptés indignement s'endort,
Quoique l'on dissimule, on n'en fait point d'estime;
Et si la vérité se peut dire sans crime,

C'est avecque plaisir qu'on survit à sa mort.

Mais ce roi, des bons rois l'éternel exemplaire,
Qui de notre salut est l'ange tutélaire,
L'infaillible refuge, et l'assuré secours,
Son extrême douceur ayant dompté l'envie,
De quels jours assez longs peut-il borner sa vie,
Que notre affection ne les juge trop courts?

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