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lui avois rendus. Madame1 m'a fait traiter indignement, par un dépit d'amour. Le roi, par foiblesse pour elle, m'a fait une injustice énorme en me dépouillant de mon bien. On a détaché de moi jusqu'à mes domestiques, Martignon et d'Argouges. J'ai été contraint, pour sauver ma vie, de m'enfuir presque seul. Que voulois-tu que je fisse?

BAYARD. Que vous souffrissiez toutes sortes de maux, plutôt que de manquer à la France et à la grandeur de votre maison. Si la persécution étoit trop violente, vous pouviez vous retirer; mais il valoit mieux être pauvre, obscur, inutile à tout, que de prendre les armes contre nous. Votre gloire eût été au comble dans la pauvreté et dans le plus misérable exil.

BOURBON. Mais ne vois-tu pas que la vengeance s'est jointe à l'ambition pour me jeter dans cette extrémité? J'ai voulu que le roi se repentît de m'avoir traité si mal.

BAYARD. Il falloit l'en faire repentir par une patience à toute épreuve, qui n'est pas moins la vertu d'un héros que le courage.

BOURBON. Mais le roi, étant si injuste et si aveuglé par sa mère, méritoit-il que j'eusse de si grands égards pour lui?

BAYARD. Si le roi ne le méritoit pas, la France entière le méritoit. La dignité même de la couronne, dont vous êtes un des héritiers, le méritoit. Vous vous deviez à vous-même d'épargner la France, dont vous pouvez être un jour roi.

BOURBON. Eh bien ! j'ai tort, je l'avoue; mais ne sais-tu pas combien les meilleurs cœurs ont de peine à résister à leur ressentiment?

BAYARD. Je le sais bien; mais le vrai courage consiste à y résistér. Si vous connoissez votre faute, hâtez-vous de la réparer. Pour moi, je meurs; et je vous trouve plus à plaindre dans vos prospérités, que moi dans mes souffrances. Quand l'empereur ne vous tromperoit pas, quand même il vous donneroit sa sœur en mariage et qu'il partageroit la France avec vous, il n'effaceroit point la tache qui déshonore votre vie. Le connétable de Bourbon rebelle! Ah! quelle honte ! Ecoutez Bayard mourant comme il a vécu, et ne cessant de dire la vérité.

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LE CARDINAL DE RETZ.

Paul de Gondi, cardinal de Retz, né à Montmirail en 1614, fut destiné dès son enfance à la carrière ecclésiastique, pour laquelle il était peu fait. Nommé en 1643 coadjuteur de l'archevêque de Paris, Henri de Gondi, son 1. Louise de Savoie, mère de François I".

oncle, il se mit en 1648 à la tête du peuple de Paris soulevé contre la régente Anne d'Autriche, et contre Mazarin. En 1652, après la défaite des Frondeurs à la bataille du Faubourg Saint-Antoine, il se rapprocha de la reine et reçut en récompense le chapeau de cardinal. Maîtresse du pouvoir, Anne d'Autriche le fit arrêter. Il parvint à s'évader de sa prison et à sortir de France. Rentré en France en 1664, il renonça à la politique et acheva sa vie dans la retraite, rédigeant ses Mémoires, un des modèles de ce genre d'his toire familière, si florissante au dix-septième siècle, et si conforme à l'esprit national.

Les Mémoires du cardinal de Retz, imprimés pour la première fois en 1717, figurent dans les collections de mémoires sur l'histoire de France. M. Geruzez en a donné, en 1844, une nouvelle édition d'après les manuscrits originaux, 2 vol. in-12.

JOURNÉE DES BARRICADES'.

Ce mouvement fut comme un incendie subit et violent qui se prit du pont Neuf à toute la ville. Tout le monde sans exception prit les armes. L'on voyoit les enfants de cinq et six ans le poignard à la main, on voyoit les mères qui les leur apportoient elles-mêmes. Il y eut dans Paris plus de deux cents barricades en moins de deux heures, bordées de drapeaux et de toutes les armes que la Ligue avoit laissées entières. Comme je fus obligé de sortir un moment pour apaiser un tumulte qui étoit arrivé par le malentendu de deux officiers du quartier NotreDame, je vis entre autres une lance trainée, plutôt que portée, par un petit garçon de huit ans, qui étoit assurément de l'ancienne guerre des Anglois. Mais j'y vis encore quelque chose de plus curieux. M. Brissac me fit remarquer un hausse-col sur lequel la figure du Jacobin qui tua Henri III étoit gravée; il étoit de vermeil doré avec cette inscription Saint Jacques-Clément. Je fis une réprimande à l'officier qui le por

1. Le 26 août 1648, au sortir du Te Deum pour la victoire de Lens, la reine fit arrêter le « bonhomme Broussel, » conseiller au Parlement, et le président Blancménil. Paris s'émut de ces arrestations; il y eut quelque désordre, qui, vers le soir, parut apaisé. Pendant la nuit, le coadjuteur de Retz, permettant à ses sens de se laisser chatouiller par le titre de chef de parti, qu'il avait toujours honoré dans les Vies de Plutarque, » travailla à ranimer l'irritation populaire; le lendemain matin Paris était en armes et la Fronde commencait.

toit, et je fis rompre le hausse-col publiquement à coups de marteau sur l'enclume d'un maréchal. Tout le monde cria: Vive le Roi; mais l'écho répondoit: Point de Mazarin.

Un moment après que je fus rentré chez moi, l'argentier de la Reine y entra, qui me commanda et me conjura de sa part, d'employer mon crédit pour apaiser la sédition, que la cour, comme vous voyez, ne traitoit plus de bagatelle. Je répondis froidement et respectueusement que les efforts que j'avois faits la veille pour cet effet, m'avoient rendu si odieux parmi le peuple, que j'avois même couru fortune, pour avoir voulu seulement me montrer un moment; que j'avois été obligé de me retirer chez moi, même fort brusquement; à quoi j'ajoutai ce que vous pouvez vous imaginer de respect, de douleur, de regret et de soumission. L'argentier qui étoit au bout de la rue quand on crioit Vive le Roi, et qui avoit ouï que l'on y ajoutoit à toutes les reprises, Vive le Coadjuteur, fit ce qu'il put pour me persuader de mon pouvoir; et quoique j'eusse été très-fâché qu'il l'eût été de mon impuissance, je ne laissai pas de feindre que je la lui voulois toujours persuader.

Le Parlement s'étant assemblé ce jour-là de très-bon matin, et devant même que l'on eût pris les armes, apprit les mouvements par les cris d'une multitude immense, qui hurloit dans la salle du palais, Broussel! Broussel! et il donna arrêt par lequel il fut ordonné qu'on iroit en corps et en habit au Palais-Royal, redemander les prisonniers; qu'il seroit décrété contre Comminges, lieutenant des gardes de la Reine; qu'il seroit défendu à tous les gens de guerre sur peine de la vie, de prendre des commissions pareilles ; et qu'il seroit informé contre ceux qui avoient donné ce conseil comme contre des perturbateurs du repos public. L'arrêt fut exécuté à l'heure même. Le Parlement sortit au nombre de cent soixante officiers: il fut reçu et accompagné dans toutes les rues avec des acclamations et des applaudissements incroyables: toutes les barricades tomboient devant lui.

Le premier président' parla à la Reine avec toute la liberté que l'état des choses lui donnoit; il lui représenta au naturel le jeu que l'on avoit fait en toutes occasions de la parole royale; les illusions honteuses et mêmes puériles par lesquelles on avoit éludé mille et mille fois les résolutions les plus utiles et même les plus nécessaires à l'État; il exagéra avec force le péril où le public se trouvoit, par la prise tumultuaire et générale des armes. La Reine, qui ne craignoit rien parce qu'elle connoissoit peu, s'emporta, et elle lui répondit avec un ton de fureur plutôt que de colère: «Je sais bien qu'il y a du bruit dans la ville, mais vous m'en répondrez, messieurs du Parlement, vous, vos femmes et vos enfants. » En prononçant cette dernière syllabe, elle rentra dans sa petite chambre grise, et elle en ferma la porte avec force.

1. Mathieu Molé, né en 1584, mort en 1656, premier président du Parlement de Paris en 1641.

Le Parlement s'en retournoit, et il étoit déjà sur les degrés, quand le président de Mesme, qui étoit extrêmement timide, faisant réflexion sur le péril auquel la Compagnie s'alloit exposer parmi le peuple, l'exhorta à remonter et à faire encore un effort sur l'esprit de la Reine M. le duc d'Orléans', qu'ils trouvèrent dans le grand cabinet, et qu'ils exhortèrent pathétiquement, les fit entrer au nombre de vingt dans la chambre grise. Le premier Président fit voir à la Reine toute l'horreur de Paris armé et enragé, c'est-à-dire qu'il essaya de lui faire voir; car elle ne voulut rien écouter, et elle se jeta de colère dans la petite galerie.

Le Cardinal s'avança et proposa de rendre les prisonniers, pourvu que le Parlement promit de ne plus tenir ses assemblées. Le premier Président répondit qu'il falloit délibérer sur la proposition. On fut sur le point de le faire sur-le-champ; mais beaucoup de ceux de la Compagnie ayant représenté que les peuples croiroient qu'elle avoit été violentée, si l'on opinoit au Palais-Royal, l'on résolut de s'assembler l'après-dînée au palais, et l'on pria M. le duc d'Orléans de s'y trouver.

Le Parlement étant sorti du Palais-Royal, et ne disant rien de laliberté de Broussel, ne trouva d'abord qu'un morne silence au lieu des acclamations passées. Comme il fut à la barrière des Sergents, où étoit la première barricade, il y rencontra du murmure qu'il apaisa, en assurant que la Reine lui avoit promis satisfaction. Les menaces de la seconde furent éludées par le même moyen. La troisième, qui étoit à la Croix-du-Tiroir, ne se voulut pas payer de cette monnoie, et un garçon rôtisseur s'avançant avec deux cents hommes, et mettant la hallebarbe dans le ventre du premier Président, lui dit: «<< Tourne, traître, si tu ne veux être massacré toi-même, ramène-nous Broussel, ou le Mazarin et le Chancelier en otage. » Vous ne doutez pas, mon opinion, ni de la confusion, ni de la terreur qui saisissoit presque tous les assistants. Cinq présidents au mortier et plus de vingt conseillers se jetèrent dans la foule pour s'échapper. Le seul premier président, le plus intrépide homme, à mon sens, qui ait paru dans son siècle, demeura ferme et inébranlable. Il se donna le temps de rallier ce qu'il put de la Compagnie: il conserva toujours la dignité de la magistrature et dans ses paroles et dans ses démarches, et il revint au Palais-Royal au petit pas, dans le feu des injures, des menaces, des exécrations et des blasphèmes,

Cet homme avoit une sorte d'éloquence qui lui étoit particulière. Il ne connoissait point d'interjections; il n'étoit pas congru' dans sa langue, mais il parloit avec une force qui suppléoit à tout cela; et il étoit naturellement si hardi, qu'il ne parloit jamais si bien que dans le péril. Il se passa lui-même lorsqu'il revint au Palais-Royal; et il est constant qu'il toucha tout le monde, à la réserve de la Reine qui demeura inflexible.

1. Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII. 2. Correet.

Monsieur fit mine de se jeter à genoux devant elle; quatre ou cing princesses qui trembloient de peur s'y jetèrent effectivement. Le Cardinal, à qui un jeune conseiller des Enquêtes avoit dit en raillant, qu'il seroit assez à propos qu'il allât lui-même dans les rues voir l'état des choses, le Cardinal, dis-je, se joignit au gros de la cour, et l'on tira enfin à toute peine cette parole de la bouche de la Reine : « Hé bien Messieurs du Parlement, voyez donc ce qu'il est à propos de faire. »> On s'assembla en même temps dans la grande galerie; l'on donna arrêt par lequel il fut ordonné que la Reine seroit remerciée de la liberté accordée aux prisonniers.

Aussitôt que l'arrêt fut rendu, on expédia des lettres de cachet. Le premier Président montra au peuple les copies qu'il avoit prises en forme de l'un et de l'autre; mais l'on ne voulut pas quitter les armes que l'effet ne s'en fût ensuivi. Le Parlement même ne donna point d'arrêt de les faire poser, qu'il n'eût vu Broussel dans sa place. Il y revint le lendemain, ou plutôt il y fut porté sur la tête des peuples avec des acclamations incroyables; l'on rompit les barricades, l'on ouvrit les boutiques, et, en moins de deux heures, Paris parut plus tranquille que je ne l'ai jamais vu le vendredi saint.

SAINT-SIMON.

L. de Rouvroy, duc de Saint-Simon, né en 1675, parut à la cour à la fin du règne de Louis XIV. Le duc d'Orléans l'appela au Conseil de régence, et l'envoya en Espagne en 1721, pour y négocier le mariage de Louis XV avec l'infante. Après la mort du régent, il se retira dans ses terres, et s'occupa à écrire ses Mémoires. Il mourut en 1755.

La première édition authentique des Mémoires de SaintSimon, a été donnée par le marquis de Saint-Simon, petitfils de l'auteur, Paris, 1829-31. 21 vol. in-8°. En 1856, M. Chéruel en a donné une édition complétée d'après les manuscrits.

Il n'est pas de physionomie plus profondément caracté– risée que celle de cet historien grand seigneur, qu'à sa hautaine indépendance, à sa loyauté grondeuse, à son dédain aristocratique pour tout ce qui n'est pas duc et pair, à ses instincts à la fois jansénistes et mondains, on prendrait pour

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