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les éclairant et les amusant à la fois. Le premier, en portant trop. loin quelques-uns de ses principes, a donné le goût de l'exagération et de la singularité; le se

de combattre les plus funestes abus avec l'arme du ridicule, n'a pas assez généralement excité

vent nourrir leurs enfans.Oui, répondit cet illustre naturaliste, nous l'avions tous dit; mais Rousseau l'a commandé et s'est fait obéir. » Rousseau, dit Hérault de Séchelles, a l'éloqueuce des pas-cond, se contentant trop souvent sions, Buffon la parole du génie. Rousseau analyse chaque idée; Buffon généralise la sienne, et ne daigne particulariser que l'ex-contre eux cette indignation salupression. Rousseau démêle et réu- taire qui, non moins efficace que nit les sensations qu'un objet fait le mépris pour châtier le vice, naître; Buffon ne choisit que les est cependant plus active à le plus grandes, et combine pour combattre. La morale de Rousen comparer de nouvelles. Rous- seau est attachante, quoique séseau n'a rien écrit que pour des vère, et entraîne le cœur, même auditeurs; Buffon, que pour des en le réprimant; celle de Vollecteurs. Rousseau a mis en acti- taire, plus indulgente, touche vité tous les sens que donne la plus foiblement peut-être, parce nature; et Buffon, par une plus que, imposant moins de sacrifigrande activité, semble s'être ces, elle nous donne une moins créé un sens de plus. Un autre hante idée de nos forces et de la académicien disoit « que les ver- perfection à laquelle nous poutus de Voltaire étoient dans sa vons atteindre. Rousseau a parlé tête, et celles de Jean-Jacques de la vertu avec autant de charme dans son cœur. Madame Condor- que Fénélon, et avec l'empire de cet a établi entre ces deux grands la vertu même; Voltaire a comécrivains le parallèle suivant : battu les préjugés religieux avec «Rousseau vous pénètre de sa autant de zèle que s'ils eussent propre persuasion, et excite en été les seuls ennemis de notre un moment, au fond de votre félicité. Le premier renouvellera cœur, une opinion aussi entraî- d'âge en âge l'enthousiasme de la nante vers l'opinion qu'il veut liberté et de la vertu, le second établir, que pourroit l'être le senéveillera tous les siècles sur les timent habituel de tout ce qui est funestes effets du fanatisme et de capable de justifier cette opinion. la crédulité. Cependant, comme Un de ses contemporains a peut-les passions dureront autant que être en sur ce siècle une influence les hommes, l'empire de Rousencore plus frappante et plus gé-seau sur les ames servira encore nérale, du moins si l'on ne se f long-temps les mœurs quand borne pas à la France; mais leurs celui de Voltaire aura détruit les moyens, également couronnés préjugés qui s'opposent au bonpar le succès, n'ont pas été les heur des sociétés. » Rousseau s'émêmes. Rousseau a parlé davan- toit nourri de bonne heure de la tage à la conscience, Voltaire à lecture des anciens auteurs grees la raison; Rousseau a établi ses et romains; et les vertus républiopinions par la force de sa sensi- caines qui y sont peintes, le stoïbilité et de sa logique, Voltaire cisme mâle des Catons et des par les charmes piquans de son Brutus, le transportoient au-delà esprit. L'un a instruit les hom- des bornes de la simple estime. mes en les touchant, l'autre en Dominé par son imagination, il

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hommes obscurs ou célèbres. Aussi madame de Bourdic disoit-elle avec esprit que Rousseau auroit eu une plus grande réputation de vertu, « s'il étoit mort sans confession. » Quels motifs purent porter Rousseau à dévoiler ainsi sa propre honte et celle des autres? Marmontel l'explique très

travers, dit-il, et des plus indignes manéges de l'amour-propre, c'est d'affecter, en parlant de soi, une sincérité cynique, soit pour faire dire qu'on a osé ce que nul autre n'avoit osé encore; soit pour accréditer, par quelques aveux humilians, les éloges qu'on se

admiroit tout dans les anciens, et ne voyoit dans ses contemporains que des esprits affoiblis et des corps dégénérés. Ses idées sur la politique étoient quelquefois aussi extraordinaires que ses paradoxes sur d'autres objets. Son Contrat social, que Voltaire appeloit le Contrat insocial, en est une preuve. On a encore de lui quel-bien : « L'un des plus misérables ques autres petits ouvrages qu'on trouve dans le Recueil de ses OEuvres, dont on a donné une nouvelle édition en 33 vol. in-8° et in-12, en y comprenant un supplément assez inutile, en six vol. On a recueilli les vérités les plus utiles et les plus importantes de cette collection, dans ses Pen-réserve, et par lesquels on se désées, vol. in-12, où l'on a fait dommage, soit pour s'autoriser à disparoître ce qu'il a écrit contre dire impudemment d'autrui encole christianisme. Ce n'est qu'a- re plus de mal que de soi-même. près la mort de Rousseau qu'on Observez attentivement celui qui a publié ses Confessions, en 12 emploie cet artifice : vous verrez livres. Dans l'avant-propos de ces que dans ses principes il attache mémoires écrits avec chaleur, peu d'importance à ces fautes dont avec énergie, et quelquefois avec il s'accuse. Il les attribue à des grace, « il s'annonce, dit Palis-qualités dont il s'applaudit. En sot, comme un misanthrope amer, qui se présente audacieusement sur les ruines du monde, pour déclarer au genre humain qu'il suppose assemblé sur ces ruines, que dans cette foule innombrable aucun d'eux n'oseroit dire : « Je fus meilleur que cet homme-là. » Cette affectation de se voir seul dans l'univers, et de rapporter continuellement tout à soi, pourroit paroître à quelques esprits difficiles, un fanatisme d'orgueil dont on n'avoit point vu d'exemple, du moins depuis Cardan. » Mais ce n'est pas le seul reproche qu'on puisse faire à l'auteur des Confessions. On voit avec peine que, sous prétexte d'être sincère, il déshonore la mémoire de madame de Warens, sa bienfaitrice. Elles renferment des personnalités non moins odieuses contre des

les avouant, il les environne de circonstances qui les colorent. II les rejette sur un âge ou sur quelque situation qui sollicite l'indulgence. Il se garde bien de confesser de même des torts plus graves ou des vices plus odieux. En feignant de s'arracher le voile, il ne fait que le soulever adroitement et par un coin; et après avoir exercé sur lui-même une sévérité hypocrite, il en prend droit de ne rien ménager, de révéler, dé publier les confidences les plus intimes, de trahir les secrets les plus inviolables de l'amour et de l'amitié, de percer même ses bienfaiteurs des traits de la satire et de la calomnie. Le résultat de ses aveux sera qu'il est encore ce qu'il y a de meilleur au monde. Il n'y a point de suc cès plus assuré que celui d'un pa

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quelques-uns l'eussent aimé, et que plusieurs l'eussent servi. Il y a dans ces mémoires un fait qui constate un dérangement de tête. Rousseau doutoit, dit-il, de son salut; pour s'en éclaircir, il prend une pierre, vise un arbre, en atteint le tronc; depuis ce temps-là, ajoute-t-il; son salut lui parut assuré. Les autres écrits qu'on trouve dans la nouvelle édition de ses OEuvres, sont : I. Les Réveries du promeneur solitaire; journal de ses pensées pendant ses promenades vers la fin de sa

reil ouvrage; mais il ne laissera pas d'être une tache ineffaçable pour son auteur. » Sennebier, auteur de l'Histoire Littéraire de Genève, pense à peu près comme Marmontel. « Ses Confessions, dit-il, me paroissent un livre très - dangereux et peignent Rousseau avec des couleurs qu'on n'auroit jamais osé lui appliquer. Les analyses fines qu'on y trouve de quelques sentimens, l'anatorie délicate qu'il y fait de quelques actions, ne sauroient voiler les faits horribles qu'on y apprend, et les médisances éter-vie. Il y avoue qu'il a mieux aimé nelles qu'elles renferment. » Il envoyer ses enfans (il en avoit est certain que si Rousseau a eu cinq de sa gouvernante) dans peint fidèlement plusieurs de ses les asiles destinés aux orphelins, personnages, il en a vu d'autres que de se charger de leur noura travers les nuages que for- riture et de leur éducation; et il moient dans son esprit ses éter- tâche de pallier cette faute que nels soupçons. Il croyoit penser rien ne sauroit excuser. II. Conjuste et dire vrai; mais la chose sidérations sur le Gouvernement la plus simple, dit Servant, dis- de Pologne, qui renferment des tillée par cette tête ardente et conseils utiles pour le gouverne ombrageuse, pouvoit devenir du ment de ce royaume et même de poison. Dans ce que Rousseau quelques autres états. III. Les dit de lui-même, il fait des Aventures de milord Edouard, aveux qui prouvent certainement roman qui est une espèce de suite qu'il y a eu des hommes meilleurs de la Nouvelle Héloïse. IV. Dique lui. Dans ce qu'il dit des vers Mémoires et Pièces fugiautres, il nuit aux mœurs pu- tives, avec un grand nombre de bliques, et par les turpitudes qu'il Lettres dont quelques-unes sont révele, et par la manière dont très-longues et écrites avec trop il les allie quelquefois avec des d'apprêt, mais qui offrent des vertus; car Rousseau ne peint morceaux éloquens et profondépas toujours en laid les auteurs ment pensés. V. Emile et Sophie qu'il produit avec lui sur la scène. ou les Solitaires. VI. Le Lévite Quelques-uns n'y paroissent qu'en d'Ephraim, poème en prose, en beau, tels que le prince de Conti, quatre chants, d'un coloris frais le maréchal de Luxembourg, de et charmant, et d'une simplicité Malesherbes, milord Maréchal, vraiment antique. VII. Lettres à de Saint-Lambert; mais en gé-Sara. VIII. Un Opéra et une néral la prévention, la méfiance | Comédie. IX. Des Traductions du ont noirci les couleurs de ses au- premier livre de l'Histoire de Tatres portraits, sur-tout dans les cite, de l'épisode d'Olinde et Sosix derniers livres. C'est contre phronie, tiré du Tasse. X. Rousles gens de lettres qu'il exhale ses seau juge de Jean-Jacques. Si plaintes les plus fréquentes et les quelque chose, suivant un écriplus amères, quoique parmi eux vain, peut faire sentir combien

pro

sant, se croyant un agneau parmi des loups; en un mot aussi sem

miroit.

cet homme a été malheureux par l'imagination et le caractère, c'est assurément cette produc-blable à Pascal par la vigueur de tion, la plus étrange peut-être son génie, que par la manie de qui existe, et la plus honteuse voir sans cesse un précipice à pour l'esprit humain : c'est l'ou- ses côtés. C'est la réflexion de vrage d'un délire complet. Il est Servant qui l'avoit connu, servi, bien extraordinaire, il faut l'a- caressé dans le séjour qu'il fit à vouer, de voir un homme tel que | Grenoble en 1768. Ce magistrat Rousseau, se persuader pendant ayant été très à portée d'observer 15 ans, comme on le voit par ce son caractère, doit d'autant plus dialogue, « que la France, l'Eu- en être cru, qu'il ne fit cet exarope, la terre entière sont liguées men ni par haine, ni par envie ? contre sa personne; qu'il y a une ni par ressentiment; mais par conspiration universelle tramée l'intérêt que lui inspiroit un phipar toute une génération, un com- losophe qu'il aimoit et qu'il adplot, un mystère qui tient du «Rousseau brilloit peu dige, que tout est conjuré contre dans la conversation, comme La lui, depuis le gouvernement jus- Fontaine et Corneille, et son enqu'à la canaille. » L'auteur écrit tretien ne laissoit pas même soupsérieusement que tout le monde çonner ce style énergique, impéa ordre de ne pas lui répondre tueux ou touchant qui caractérise s'il fait une question; que s'il ses écrits. Il avoit, comme on l'a veut trouver dans Paris un livre dit, une pesanteur maxillaire, ou un almanach, le livre et l'al- qui contrastoit avec sa réputamanach disparoissent; que s'il tion. Mais au défaut de la parole, veut traverser la Seine, les bate- son regard étoit toujours éloliers ont ordre de ne point le quent; et l'on sentoit bien, en le passer; etc., etc. A travers cette voyant, que ce regard n'étoit pas démence, on voit la double pré- celui d'un homme ordinaire. Dans tention, dont l'une semble incom- la conversation même, Rousseau patible avec l'autre, de fuir les ne se négligeoit jamais. Il ponchommes et d'en être recherché. tuoit singulièrement bien toutes On voit une tête malade qui se ses paroles, à moins qu'un sentiremplit de fantômes pour les com- ment ne l'agitât ei ne le fît sortir battre et cette maladie est un hors de lui-même. Il parloit quelamour-propre excessif et si dé- quefois avec chaleur: ce n'étoit plorable, que jamais peut-être pas de la chaleur d'éclat, c'étoit il n'y en eut un exemple pareil. une chaleur concentrée qui agiOn trouvedans ces différens écrits toit ses membres. » Les œuvres posthumes, comme dans tous de Rousseau sont devenues, dans ceux de Rousseau, des choses ad- ces derniers temps, l'évangile de mirables et quelques-unes d'u- la révolution française. On a soutiles; mais on y trouve aussi des vent méconnu ses principes; plus contradictions, des paradoxes et souvent encore on les a outrés. des idées peu favorables à la re- Le parallèle de J. J. Rousseau et ligion. Dans ses Lettres sur-tout de Hobbes, par Diderot, mérite on voit un homme aigri par ses d'être rapporté ici. « La philosomalheurs qu'il n'attribuoit jamais phie de Rousseau de Genève est à lui-même, soupçonnant tous presque l'inverse de celle de Hoiceux qui l'environnoient, se di-bes : l'un croit l'homme de la na

:

1793, 37 vol. grand in-18; les mêmes oeuvres classées par ordre de matières, avec des notes par Mercier et l'abbé Brizard, Paris, 1785-93, 39 tomes en 38 volum. in-8°, fig. cette édition, quoique mal exécutée, est cependant encore assez recherchée. Les mêmes, Paris, de l'imprimerie de Didot jeune, 1793-1800, 18 v. très-grand in-4°, fig., édition peu recherchée, parce qu'elle n'est pas assez belle pour un livre de luxe, et que la grandeur de son format en rend l'usage peu commode. Les mêmes, Paris, Bozerian, de l'imprimerie de Didot aîné, 1796 - 1801, 25 vol. grand in-18, pap. vélin : cette jolie édition, tirée à 100 exemplaires seu

ture bon, l'autre le croit méchant. Selon le philosophe de Genève, l'état de nature est un état de paix; selon le philosophe de Malmesbury, c'est un état de guerre. Ce sont les lois et la formation de la société qui ont rendu J'homme meilleur, si l'on en croit Hobbes; et qui l'ont dépravé, si l'on en croit Rousseau. L'un étoit né au milieu du tumulte et des factions; l'autre vivoit dans le monde et parmi les savans. Autres temps, autres circonstances, antre philosophie. Rousseau est éloquent et pathétique; Hobbes, sec, austère et vigoureux. Celuici voyoit le trône ébranlé, les citoyens armés les uns contre les autres, et sa patrie inondée de sang par les fureurs du fanatismelement, a l'avantage d'être ranpresbytérien, et il en avoit prisen aversion le dieu, les ministres et l'autel; celui-là voyoit des hommes versés dans toutes les connoissances, se déchirer, se hair, se livrer à leurs passions, ambitionner la considération, la richesse, les dignités, et se conduire d'une manière peu confore aux lumières qu'ils avoient acquises, et il méprisa la science et les savans. Ils furent outrés tous les deux. Entre le système de l'un et de l'autre, il y en a un autre qui peut être le vrai » On a plusieurs éditions des OEuvres complètes de Rousseau celle de Londres (Paris), 1781, 38 volumes in-18, fig. d'après Moreau; celle publiée par Dupeyron, Geneve, 1782 et suiv., 17 vol. in4", fig., édition peu recherchée maintenant; il y en a eu une autre de Genève, en 33 vol. in-8°, peu estimée. Les mêmes OEuvres de J. J. Rousseau, Kehl, de l'imprimerie de la société littéraire et Typographique, 1783-89, 34 vol. grand in 18, assez jolie édition. On a aussi une édition de Paris,

gée dans un meilleur ordre que
les autres. Les mêmes, Paris, de
l'imprimerie de Didot l'aîné, 1801,
20 vol. in-8°, pap.
vélin, édition
faite en même temps que la pré-
cédente, et avec le même carac-
tère. Les différentes productions
de Rousseau ont été imprimées
séparément et ont eu un grand
nombre d'éditions. On a publié
en l'an 1810 Rousseana, ou Re-
cueil d'anecdotes, bons mots,
réflexions, etc., de J. J. Rous-
seau, un volume in-18, avec le
portrait de ce philosophe; pe-
tite brochure où l'on trouve un
grand nombre d'anecdotes iné-
dites.

IV. ROUSSEAU (l'abbé), d'abord capucin, étudia la médecine et la chimie, espérant que

ces deux sciences lui seroient utiles dans les missions du Levant auxquelles il se destinoit. Colbert le logea au Louvre pour qu'il eût plus de facilité à préparer ses remèdes. Tout Paris le consulta et il fut long-temps connu sous le nom de capucin du Louvre. Dès

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