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n'assiste ny aux fêtes ny aux spectacles; il n'est point homme de cabale, et il n'a point l'esprit d'intrigue; toûjours dans son evêché, où il fait une residence continuelle, il ne songe qu'à instruire son peuple par la parole et à l'édifier par son exemple; il consume son bien en des aumônes et son corps par la penitence; il n'a que l'esprit de regularité, et il est imitateur du zele et de la pieté des apôtres. Les temps sont changez, et il est menacé sous ce regne d'un titre plus éminent.

Ne pourroit-on point faire comprendre aux personnes d'un certain caractere et d'une profession serieuse, pour ne rien dire de plus, qu'ils ne sont point obligez à faire dire d'eux qu'ils joüent, qu'ils chantent et qu'ils badinent comme les autres hommes, et qu'à les voir si plaisans et si agreables on ne croiroit point qu'ils fussent d'ailleurs si reguliers et si severes? Oseroit-on même leur insinuer qu'ils s'éloignent par de telles manieres de la politesse dont ils se piquent; qu'elle assortit, au contraire, et conforme les dehors aux conditions; qu'elle évite le contraste, et de montrer le même homme sous des figures differentes et qui font de luy un composé bizarre ou un grotesque?

Il ne faut pas juger des hommes, comme d'un tableau ou d'une figure, sur une seule et premiere vûë; il y a un interieur et un cœur qu'il faut approfondir le voile de la modestie couvre le mé

rite, et le masque de l'hipocrisie cache la malignité; il n'y a qu'un tres-petit nombre de connoisseurs qui discerne et qui soit en droit de prononcer; ce n'est que peu à peu, et forcez même par le temps et les occasions, que la vertu parfaite et le vice consommé viennent enfin à se declarer.

FRAGMENT.

.....Il disoit que l'esprit dans cette belle personne étoit un diamant bien mis en œuvre, et, continuant de parler d'elle: « C'est, ajoûtoit-il, «< comme une nuance de raison et d'agrément qui « occupe les yeux et le cœur de ceux qui luy par<«<lent, on ne sçait si on l'aime ou si on l'admire; <«< il y a en elle de quoy faire une parfaite amie, << il y a aussi de quoy vous mener plus loin que « l'amitié trop jeune et trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop modeste pour songer à plaire, << elle ne tient compte aux hommes que de leur <«< mérite, et ne croit avoir que des amis; pleine « de vivacitez et capable de sentimens, elle sur<< prend et elle interesse; et, sans rien ignorer de «< ce qui peut entrer de plus délicat et de plus <«< fin dans les conversations, elle a encore ces << saillies heureuses qui, entr'autres plaisirs qu'elles << font, dispensent toûjours de la replique : elle << vous parle comme celle qui n'est pas sçavante,

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« qui doute et qui cherche à s'éclaircir, et elle << vous écoute comme celle qui sçait beaucoup, « qui connoît le prix de ce que vous luy dites, et << auprés de qui vous ne perdez rien de ce qui vous échape. Loin de s'appliquer à vous contredire << avec esprit, et d'imiter Elvire, qui aime mieux << passer pour une femme vive que marquer du << bon sens et de la justesse, elle s'approprie vos <«< sentimens, elle les croit siens, elle les entend, <«<elle les embellit, vous étes content de vous « d'avoir pensé si bien et d'avoir mieux dit <«< encore que vous n'aviez crû. Elle est toûjours « au-dessus de la vanité, soit qu'elle parle, soit << qu'elle écrive, elle oublie les traits où il faut « des raisons, elle a déja compris que la sim«plicité est éloquence. S'il s'agit de servir

quelqu'un et de vous jetter dans les mêmes inte« rêts, laissant à Elvire les jolis discours et les << belles lettres qu'elle met à tous usages, Artenice << n'employe auprés de vous que la sincerité, l'ar<< deur, l'empressement et la persuasion. Ce qui «< domine en elle, c'est le plaisir de la lecture, << avec le goût des personnes de nom et de repu«<tation, moins pour en être connuë que pour les «< connoître; on peut la loüer d'avance de toute la << sagesse qu'elle aura un jour, et de tout le mé«rite qu'elle se prépare par les années, puisqu'avec « une bonne conduite elle a de meilleures inten

<«<tions, des principes sûrs, utiles à celles qui sont <«< comme elle exposées aux soins et à la flatterie; << et qu'étant assez particuliere sans pourtant être << farouche, ayant même un peu de penchant pour « la retraite, il ne luy sçauroit peut-être manquer « que les occasions, ou ce qu'on appelle un << grand theatre pour y faire briller toutes ses

<< vertus. >>

Une belle femme est aimable dans son naturel, elle ne perd rien à être negligée, et sans autre parure que celle qu'elle tire de sa beauté et de sa jeunesse une grace naïve éclatte sur son visage, anime ses moindres actions; il y auroit moins de peril à la voir avec tout l'attirail de l'ajustement et de la mode. De même un homme de bien est respectable par luy-même et indépendamment de tous les dehors dont il voudroit s'aider pour rendre sa personne plus grave et sa vertu plus spécieuse un air reformé, une modestie outrée, la singularité de l'habit, une ample calotte, n'ajoûtent rien à la probité, ne relevent pas le mérite; ils le fardent, et font peut-être qu'il est moins pur et moins ingenu.

Une gravité trop étudiée devient comique: ce sont comme des extremitez qui se touchent et dont le milieu est dignité; cela ne s'appelle pas être grave, mais en jouer le personnage; celuy qui

songe à le devenir ne le sera jamais: ou la gravité n'est point, ou elle est naturelle, et il est moins difficile d'en descendre que d'y monter.

Un homme de talent et de reputation, s'il est chagrin et austere, il effarouche les jeunes gens, les fait penser mal de la vertu et la leur rend suspecte d'une trop grande reforme et d'une pratique trop ennuyeuse; s'il est au contraire d'un bon commerce, il leur est une leçon utile, il leur apprend qu'on peut vivre gayement et laborieusement, avoir des vûës serieuses sans renoncer aux plaisirs honnêtes; il leur devient un exemple qu'on peut suivre.

La phisionomie n'est pas une regle qui nous soit donnée pour juger des hommes: elle nous peut servir de conjecture.

L'air spirituel est, dans les hommes, ce que la regularité des traits est dans les femmes; c'est le genre de beauté où les plus vains puissent aspirer.

Un homme qui a beaucoup de mérite et d'esprit, et qui est connu pour tel, n'est pas laid, même avec des traits qui sont difformes; ou, s'il a de la laideur, elle ne fait pas son impression.

Combien d'art pour rentrer dans la nature; combien de temps, de regles, d'attention et de travail pour danser avec la même liberté et la même grace que l'on sçait marcher, pour chanter

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