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rogent sans vous regarder, ils parlent d'un ton élevé et qui marque qu'ils se sentent au dessus de ceux qui se trouvent presens; ils s'arrétent, et on les entoure; ils ont la parole, président au cercle, et persistent dans cette hauteur ridicule et contrefaite jusqu'à ce qu'il survienne un grand qui, la faisant tomber tout d'un coup par sa presence, les reduise à leur naturel, qui est moins mauvais.

Les cours ne sçauroient se passer d'une certaine espece de courtisans, hommes flateurs, complaisans, insinuans, dévoüez aux femmes, dont ils ménagent les plaisirs, étudient les foibles et flattent toutes les passions; ils leur souflent à l'oreille des grossieretez, leur parlent de leurs maris et de leurs amans dans les termes convenables, devinent leurs chagrins, leurs maladies, et fixent leurs couches; ils font les modes, raffinent sur le luxe et sur la dépense, et apprennent à ce sexe de prompts moyens de consumer de grandes sommes en habits, en meubles et en équipages; ils ont eux-mêmes des habits où brillent l'invention et la richesse, et ils n'habitent d'anciens palais qu'aprés les avoir renouvellez et embelliz; ils mangent délicatement et avec reflexion; il n'y a sorte de volupté qu'ils n'essayent et dont ils ne puissent rendre compte; ils doivent à eux-mêmes leur fortune, et ils la soûtiennent avec la même adresse qu'ils l'ont élevée; dédaigneux et fiers, ils n'abordent plus leurs pareils,

ils ne les saluënt plus; ils parlent où tous les autres se taisent, entrent, penetrent en des endroits et à des heures où les grands n'osent se faire voir; ceux-cy, avec de longs services, bien des playes-sur le corps, de beaux emplois ou de grandes dignitez, ne montrent pas un visage si assuré ny une contenance si libre. Ces gens ont l'oreille des plus grands princes, sont de tous leurs plaisirs et de toutes leurs fêtes; ne sortent pas du Louvre ou du château, où ils marchent et agissent comme chez eux et dans leur domestique, semblent se multiplier en mille endroits, et sont toûjours les premiers visages qui frapent les nouveaux venus à une cour; ils embrassent, ils sont embrassez, ils rient, ils éclatent, ils sont plaisans, ils font des contes; personnes commodes, agreables, riches, qui prêtent, et qui sont sans consequence.

Ne croiroit-on pas de Cimon et de Clitandre qu'ils sont seuls chargez des détails de tout l'Etat, et que seuls aussi ils en doivent répondre? L'un a du moins les affaires de terre, et l'autre les maritimes. Qui pourroit les representer exprimeroit l'empressement, l'inquietude, la curiosité, l'activité, sçauroit peindre le mouvement. On ne les a jamais vû assis, jamais fixes et arrestez. Qui même les a vû marcher? On les voit courir, parler en courant, et vous interroger sans attendre de réponse; ils ne viennent d'aucun endroit, ils ne vont nulle part;

ils passent et ils repassent, Ne les retardez pas dans leur course précipitée, vous démonteriez leur machine; ne leur faites pas de questions, ou donnez-leur du moins le temps de respirer et de se ressouvenir qu'ils n'ont nulle affaire, qu'ils peuvent demeurer avec vous et long-temps, vous suivre même où il vous plaira de les emmener. Ils ne sont pas les satellites de Jupiter, je veux dire ceux qui pressent et qui entourent le prince, mais ils l'annoncent et le précedent; ils se lancent impetueusement dans la foule des courtisans, tout ce qui se trouve sur leur passage est en peril; leur profession est d'être vûs et revûs, et ils ne se couchent jamais sans s'être acquittez d'un employ si serieux et si utile à la Republique ; ils sont au reste instruits à fond de toutes les nouvelles indifferentes, et ils sçavent à la cour tout ce que l'on peut y ignorer : il ne leur manque aucun des talens necessaires pour s'avancer mediocrement. Gens neanmoins éveillez et alertes sur tout ce qu'ils croyent leur convenir, un peu entreprenans, legers et précipitez; le diray-je? ils portent au vent, attelez tous deux au char de la Fortune, et tous deux fort éloignez de s'y voir assis.

Un homme de la cour qui n'a pas un assez beau nom doit l'ensevelir sous un meilleur; mais, s'il l'a tel qu'il ose le porter, il doit alors insinuer qu'il est de tous les noms le plus illustre, comme

sa maison de toutes les maisons la plus ancienne : il doit tenir aux PRINCES LORRAINS, aux ROHANS, aux CHASTILLONS, aux MONTMORENCIS, et, s'il se peut, aux PRINCES DU SANG; ne parler que de ducs, de cardinaux et de ministres; faire entrer dans toutes les conversations ses ayeuls paternels et maternels, et y trouver place pour l'oriflamme et pour les croisades; avoir des sales parées d'arbres genealogiques, d'écussons chargez de seize quartiers, et de tableaux de ses ancêtres et des alliez de ses ancêtres; se piquer d'avoir un ancien château à tourelles, à creneaux et à machecoulis; dire en toute rencontre ma race, ma branche, mon nom et mes armes; dire de celuy-cy qu'il n'est pas homme de qualité, de celle-là qu'elle n'est pas demoiselle; ou, si on luy dit qu'Hyacinthe a eu le gros lot, demander s'il est gentilhomme. Quelquesuns riront de ces contre-temps, mais il les laissera rire; d'autres en feront des contes, et il leur permettra de conter; il dira toûjours qu'il marche aprés la maison regnante, et à force de le dire il sera crû.

C'est une grande simplicité que d'apporter à la cour la moindre roture et de n'y être pas gentilhomme.

L'on se couche à la cour, et l'on se leve sur l'interêt c'est ce que l'on digere le matin et le soir, le jour et la nuit; c'est ce qui fait que l'on

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pense, que l'on parle, que l'on se tait, que l'on agit; c'est dans cet esprit que l'on aborde les uns et que l'on neglige les autres, que l'on monte et que l'on descend; c'est sur cette regle que l'on mesure ses soins, ses complaisances, son estime, son indifference, son mépris; quelques pas que quelques-uns fassent par vertu vers la moderation et la sagesse, un premier mobile d'ambition les emmene avec les plus avares, les plus violens dans leurs desirs et les plus ambitieux : quel moyen de demeurer immobile où tout marche, où tout se remuë, et de ne pas courir où les autres courent? On croit même être responsable à soy-même de son élevation et de sa fortune; celuy qui ne l'a point faite à la cour est censé ne l'avoir pas dû faire, on n'en appelle pas cependant s'en éloignera-t-on avant d'en avoir tiré le moindre fruit, ou persistera-t-on à y demeurer sans graces et sans recompenses? Question si épineuse, si embarassée et d'une si penible decision qu'un nombre infini de courtisans vieillissent sur le oüy et sur le non, et meurent dans le doute.

Il n'y a rien à la cour de si méprisable et de si indigne qu'un homme qui ne peut contribuer en rien à nôtre fortune; je m'étonne qu'il ose se

montrer.

Celuy qui voit loin derriere soy un homme de son temps et de sa condition avec qui il est venu

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