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montrent ingenuëment la grossiereté et la franchise, icy se cache une seve maligne et corrompuë sous l'écorce de la politesse; le peuple n'a gueres d'esprit, et les grands n'ont point d'ame; celuy-là a un bon fond et n'a point de dehors, ceux-cy n'ont que des dehors et qu'une simple superficie. Faut-il opter, je ne balance pas, je veux être peuple.

J Quelque profonds que soient les grands de la cour, et quelque art qu'ils ayent pour paroître ce qu'ils ne sont pas et pour ne point paroître ce qu'ils sont, ils ne peuvent cacher leur malignité, leur extrême pente à rire aux dépens d'autruy et à jetter un ridicule souvent où il n'y en peut avoir. Ces beaux talens se découvrent en eux du premier coup d'œil, admirables sans doute pour envelopper une duppe et rendre sot celuy qui l'est déja, mais encore plus propres à leur ôter tout le plaisir qu'ils pourroient tirer d'un homme d'esprit, qui sçauroit se tourner et se plier en mille manieres agreables et réjouissantes, si le dangereux caractere du courtisan ne l'engageoit pas à une fort grande retenuë: il luy propose un caractere serieux dans lequel il se retranche; et il fait si bien que les railleurs avec des intentions si mauvaises, manquent d'occasions de se joüer de luy.

Les aises de la vie, l'abondance, le calme d'une grande prosperité, font que les princes ont

de la joye de reste pour rire d'un nain, d'un singe, d'un imbecile et d'un mauvais conte. Les gens moins heureux ne rient qu'à propos.

Un grand aime la Champagne, abhorre la Brie, il s'enyvre de meilleur vin que l'homme du peuple : seule difference que la crapule laisse entre les conditions les plus disproportionnées, entre le seigneur et l'estafier.

Il semble d'abord qu'il entre dans les plaisirs des princes un peu de celuy d'incommoder les autres mais non, les princes ressemblent aux hommes; ils songent à eux-mêmes, suivent leur goût, leurs passions, leur commodité cela est naturel.

Il semble que la premiere regle des compagnies, des gens en place ou des puissans, est de donner à ceux qui dépendent d'eux pour le besoin. de leurs affaires toutes les traverses qu'ils en peuvent craindre.

Si un grand a quelque degré de bonheur sur les autres hommes, je ne devine pas lequel, si ce n'est peut-être de se trouver souvent dans le pouvoir et dans l'occasion de faire plaisir; et si elle naît, cette conjoncture, il semble qu'il doive s'en servir : si c'est en faveur d'un homme de bien, il doit apprehender qu'elle ne luy échape; mais, comme c'est une chose juste, il doit prévenir la sollicitation et n'être vû que pour être remercié; et,

si elle est facile, il ne doit pas même la luy faire valoir; s'il la luy refuse, je les plains tous deux.

Il y a des hommes nez inaccessibles, et ce sont précisément ceux de qui les autres ont besoin, de qui ils dépendent: ils ne sont jamais que sur un pied; mobiles comme le mercure, ils piroüettent, ils gesticulent, ils crient, ils s'agitent; semblables. à ces figures de carton qui servent de montre à une feste publique, ils jettent feu et flamme, tonnent et foudroyent; on n'en approche pas, jusqu'à ce que, venant à s'éteindre, ils tombent, et par leur chûte deviennent traitables, mais inutiles.

Le suisse, le valet de chambre, l'homme de livrée, s'ils n'ont plus d'esprit que ne porte leur condition, ne jugent plus d'eux-mêmes par leur premiere bassesse, mais par l'élevation et la fortune des gens qu'ils servent, et mettent tous ceux qui entrent par leur porte et montent leur escalier indifferemment au dessous d'eux et de leurs maîtres tant il est vray qu'on est destiné à souffrir des grands et de ce qui leur appartient.

Un homme en place doit aimer son prince, sal femme, ses enfans, et aprés eux les gens d'esprit; il les doit adopter, il doit s'en fournir et n'en jamais manquer; il ne sçauroit payer, je ne dis pas de trop de pensions et de bienfaits, mais de trop de familiarité et de caresses, les secours et les services qu'il en tire, même sans le sçavoir quels

petits bruits ne dissipent-ils pas? quelles histoires ne reduisent-ils pas à la fable et à la fiction? ne sçavent-ils pas justifier les mauvais succés par les bonnes intentions, prouver la bonté d'un dessein et la justesse des mesures par le bonheur des évenemens, s'élever contre la malignité et l'envie pour accorder à de bonnes entreprises de meilleurs motifs, donner des explications favorables à des apparences qui étoient mauvaises, détourner les petits défauts, ne montrer que les vertus et les mettre dans leur jour, semer en mille occasions des faits et des détails qui soient avantageux, et tourner le ris et la mocquerie contre ceux qui oseroient en douter ou avancer des faits contraires? Je sçay que les grands ont pour maxime de laisser parler et de continuer d'agir; mais je sçay aussi qu'il leur arrive en plusieurs rencontres que laisser dire les empêche de faire.

Sentir le mérite, et, quand il est une fois connu, le bien traiter, deux grandes démarches à faire tout de suite, et dont la plûpart des grands sont fort incapables.

Tu es grand, tu es puissant; ce n'est pas assez : fais que je t'estime, afin que je sois triste d'être. déchû de tes bonnes graces ou de n'avoir pu les acquerir.

Vous dites d'un grand ou d'un homme en place, qu'il est prévenant, officieux, qu'il aime à

faire plaisir, et vous le confirmez par un long détail de ce qu'il a fait en une affaire où il a sçû que vous preniez interêt; je vous entends, on va pour vous au devant de la sollicitation, vous avez du credit, vous étes connu du ministre, vous étes bien avec les puissances. Desiriez-vous que je sçûsse autre chose?

Quelqu'un vous dit : « Je me plains d'un tel; il est fier depuis son élevation, il me dédaigne, il ne me connoît plus. · Je n'ay pas, pour moy, lui répondez-vous, sujet de m'en plaindre; au contraire, je m'en louë fort, et il me semble même qu'il est assez civil. » Je crois encore vous entendre: vous voulez qu'on sçache qu'un homme en place a de l'attention pour vous, et qu'il vous démêle dans l'antichambre entre mille honnêtes gens de qui il détourne ses yeux de peur de tomber dans l'inconvenient de leur rendre le salut ou de leur sourire.

Se louer de quelqu'un, se loüer d'un grand, phrase délicate dans son origine, et qui signifie sans doute se loüer soy-même, en disant d'un grand tout le bien qu'il nous a fait ou qu'il n'a pas songé à nous faire.

On loue les grands pour marquer qu'on les voit de prés, rarement par estime ou par gratitude; on ne connoît pas souvent ceux que l'on louë; la vanité ou la legereté l'emportent quelquefois sur

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