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le postillon du favori s'avisât de la demander, il appuyeroit sa demande, il le jugeroit digne de cette place, il le trouveroit capable d'observer et de calculer, de parler de parelies et de paralaxes. Si vous demandiez à Theodote s'il est auteur ou plagiaire, original ou copiste, je vous donnerois ses ouvrages et je vous dirois : « Lisez et jugez »; mais, s'il est devot ou courtisan, qui pourroit le décider sur le portrait que j'en viens de faire? Je prononcerois plus hardiment sur son étoile. Oüy, Theodote, j'ay observé le point de vôtre naissance : vous serez placé, et bientôt ; ne veillez plus, n'imprimez plus, le public vous demande quartier.

N'esperez plus de candeur, de franchise, d'équité, de bons offices, de services, de bienveillance, de generosité, de fermeté, dans un homme qui s'est depuis quelque temps livré à la cour et qui secrettement veut sa fortune. Le reconnoissez-vous à son visage, à ses entretiens? Il ne nomme plus chaque chose par son nom, il n'y a plus pour lui de fripons, de fourbes, de sots et d'impertinens celuy dont il luy échaperoit de dire ce qu'il en pense est celuy-là même qui, venant à le sçavoir, l'empêcheroit de cheminer. Pensant mal de tout le monde, il n'en dit de personne; ne voulant du bien qu'à luy seul, il veut persuader qu'il en veut à tous, afin que tous luy en fassent, ou que nul du moins ne luy soit contraire. Non con

tent de n'être pas sincere, il ne souffre pas que personne le soit; la verité blesse son oreille, il est froid et indifferent sur les observations que l'on fait sur la cour et sur le courtisan, et, parce qu'il les a entenduës, il s'en croit complice et responsable. Tyran de la société et martyr de son ambition, il a une triste circonspection dans sa conduite et dans ses discours, une raillerie innocente, mais froide et contrainte, un ris forcé, des caresses contrefaites, une conversation interrompue et des distractions. frequentes; il a une profusion, le diray-je? des torrens de loüanges, pour ce qu'a fait ou ce qu'a dit un homme placé et qui est en faveur, et pour tout autre une secheresse de pulmonique; il a des formules de complimens differens pour l'entrée et pour la sortie à l'égard de ceux qu'il visite ou dont il est visité, et il n'y a personne de ceux qui se payent de mines et de façons de parler qui ne sorte d'avec luy fort satisfait. Il vise également à se faire des patrons et des creatures; il est mediateur, confident, entremetteur : il veut gouverner, il a une ferveur de novice pour toutes les petites pratiques de cour; il sçait où il faut se placer pour être vû; il sçait vous embrasser, prendre part à vôtre joye, vous faire coup sur coup des questions empressées sur vôtre santé, sur vos affaires; et pendant que vous luy répondez il perd le fil de sa curiosité, vous interrompt, entame un autre sujet ;

ou, s'il survient quelqu'un à qui il doive un discours tout different, il sçait, en achevant de vous congratuler, luy faire un compliment de condoleance il pleure d'une œil, et il rit de l'autre. Se formant quelquefois sur les ministres ou sur le favori, il parle en public de choses frivoles, du vent, de la gelée; il se taît, au contraire, et fait le mysterieux sur ce qu'il sçait de plus important, et plus volontiers encore sur ce qu'il ne sçait point.

Il y a un païs où les joyes sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachez, mais réels. Qui croiroit que l'empressement pour les spectacles, que les éclats et les applaudissemens aux theatres de Moliere et d'Arlequin, les repas, la chasse, les balets, les carrouzels couvrissent tant d'inquietudes, de soins et de divers interêts, tant de craintes et d'esperances, des passions si vives et des affaires si serieuses?

La vie de la cour est un jeu serieux, mélancolique, qui applique; il faut arranger ses pieces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celuy de son adversaire, hazarder quelquefois et jouer de caprice; et aprés toutes ses réveries et toutes ses mesures on est échet, quelquefois mat; souvent, avec des pions qu'on ménage bien, on va à dame et l'on gagne la partie : le plus habile l'emporte, ou le plus heureux.

Les rouës, les ressorts, les mouvemens, sont

cachez, rien ne paroît d'une montre que son éguille, qui insensiblement s'avance et acheve son tour image du courtisan d'autant plus parfaite qu'après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d'où il est parti.

5 Les deux tiers de ma vie sont écoulez, pourquoy tant m'inquieter sur ce qui m'en reste? La plus brillante fortune ne mérite point ny le tourment que je me donne, ny les petitesses où je me surprens, ny les humiliations ny les hontes que j'essuye trente années détruiront ces colosses de puissance qu'on ne voyoit bien qu'à force de lever la tête; nous disparoîtrons, moy qui suis si peu de chose et ceux que je contemplois si avidement et de qui j'esperois toute ma grandeur : le meilleur de tous les biens, s'il y a des biens, c'est le repos, la retraite et un endroit qui soit son domaine. N** a pensé cela dans sa disgrace, et l'a oublié dans la prosperité.

Un noble, s'il vit chez luy dans sa province, il vit libre, mais sans appuy; s'il vit à la cour, il est protegé, mais il est esclave: cela se compense.

Xantippe, au fond de sa province, sous un vieux toît et dans un mauvais lit, a révé pendant la nuit qu'il voyoit le prince, qu'il luy parloit et qu'il en ressentoit une extrême joye : il a été triste à son réveil; il a conté son songe, et il a dit :

«

Quelles chimeres ne tombent point dans l'esprit des hommes pendant qu'ils dorment! » Xantippe a continué de vivre, il est venu à la cour, il a vû le prince, il luy a parlé, et il a été plus loin que son songe : il est favori.

Qui est plus esclave qu'un courtisan assidu, si ce n'est un courtisan plus assidu?

L'esclave n'a qu'un maître; l'ambitieux en a autant qu'il y a de gens utiles à sa fortune.

Mille gens à peine connus font la foule au lever pour être vûs du prince, qui n'en sçauroit voir mille à la fois, et, s'il ne voit aujourd'huy que ceux qu'il vit hier et qu'il verra demain, combien de malheureux!

De tous ceux qui s'empressent auprés des grands et qui leur font la cour, un petit nombre les honore dans le cœur, un grand nombre les recherche par des vûës d'ambition et d'interêt, un plus grand nombre par une ridicule vanité ou par une sotte impatience de se faire voir.

Il y a de certaines familles qui, par les loix du monde ou ce qu'on appelle de la bienseance, doivent être irreconciliables; les voilà réünies, et, où la religion a échoué quand elle a voulu l'entreprendre, l'interêt s'en jouë et le fait sans peine.

L'on parle d'une region où les vieillards sont galans, polis et civils; les jeunes gens, au contraire, durs, feroces, sans moeurs ny politesse : ils se

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