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plus lumineux que son éclat, c'est sa chaleur, c'est sa communicabilité pénétrante, c'est l'attrait qu'il ressent et qu'il inspire en Europe. Le génie de l'Espagne de Charles-Quint est fier et aventureux; le génie de l'Allemagne est profond et austère, le génie de l'Angleterre est habile et superbe; celui de la France est aimant, et c'est là sa force. Séductible lui-même, il séduit facilement les peuples. Les autres grandes individualités du monde des nations n'ont que leur génie. La France, pour second génie, a son cœur; elle le prodigue dans ses pensées, dans ses écrits comme dans ses actes nationaux. Quand la Providence veut qu'une idée embrase le monde, elle l'allume dans l'âme d'un Français. Cette qualité communicative du caractère de cette race, cette attraction française, non encore altérée par l'ambition de la conquête, était alors le signe précurseur du siècle. Il semble qu'un instinct providentiel tournait toute l'attention de l'Europe vers cette seule partie de l'horizon, comme si le mouvement et la lumière n'avaient pu sortir que de là. Le seul point véritablement sonore du continent, c'était Paris. Les plus petites choses y faisaient un grand bruit. La littérature était le véhicule de l'influence française; la monarchie intellectuelle ayait ses livres, son théâtre, ses écrits, avant d'avoir ses héros. Conquérante par l'intelligence, son imprimerie était son armée.

IX.

Les partis qui divisaient le pays après la mort de Mirabeau se décomposaient ainsi : hors de l'Assemblée, la cour et les Jacobins; dans l'Assemblée, le côté droit, le côté gauche; et entre ces deux partis extrêmes, l'un fanatique d'innovations, l'autre fanatique de résistance, un parti intermédiaire. Il se composait de ce que les deux autres avaient d'hommes de bien et de paix; leur foi molle et indécise entre la Révolution et la conservation aurait voulu que l'une conquît sans violences et que l'autre concédât sans ressentiment. C'étaient les philosophes de la Révolution. Mais ce n'était pas l'heure de la philosophie, c'était l'heure de la victoire. Les deux idées en présence voulaient des combattants et non des juges elles écrasaient ces hommes en s'entrechoquant. Dénombrons les principaux chefs de ces divers partis et faisons-les connaître avant de les voir agir.

Le roi Louis XVI n'avait alors que trente-sept ans; ses traits étaient ceux de sa race, un peu alourdis par le sang allemand de sa mère, princesse de la maison de Saxe. De beaux yeux bleus largement ouverts plus limpides qu'éblouissants, un front arrondi fuyant en arrière, un nez romain mais dont les narines molles et lourdes altéraient un peu l'é

nergie de la forme aquiline, une bouche souriante et gracieuse dans l'expression, des lèvres épaisses mais bien découpées, une peau fine, une carnation riche et colorée quoiqu'un peu flasque, la taille courte, le corps gras, l'attitude timide, la marche incertaine; au repos un balancement inquiet du corps portant alternativement sur une hanche et sur l'autre sans avancer, soit que ce mouvement fùt contracté en lui par cette habitude d'impatience qui saisit les princes forcés à donner de longues audiences, soit que ce fût le signe physique du perpétuel balancement d'un esprit indécis; dans la personne une expression de bonhomie peu royale qui prêtait autant au premier coup d'œil à la moquerie qu'à la vénération, et que ses ennemis travestirent avec une perversité impie pour montrer au peuple dans les traits du prince le symbole des vices qu'ils voulaient immoler dans la royauté; en tout quelque ressemblance avec la physionomie impériale des derniers césars à l'époque de la décadence des choses et des races la douceur d'Antonin dans l'obésité de Vespasien; voilà l'homme.

X.

Ce jeune prince avait été élevé dans une séquestration complète de la cour de son aïeul. Cette atmosphère qui avait infecté tout le siècle de Louis XV

TOME I.

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n'avait pas atteint son héritier. Pendant que Louis XV changeait sa cour en lieu suspect, son petit-fils, élevé dans un coin du palais de Meudon par des maîtres pieux et éclairés, grandissait dans le respect de son rang, dans la terreur du trône et dans un amour religieux du peuple qu'il était appelé à gouverner. L'âme de Fénelon semblait avoir traversé deux générations de rois, dans ce palais où il avait élevé le duc de Bourgogne, pour inspirer encore l'éducation de son descendant. Ce qui était le plus près du vice couronné sur le trône était peut-être ce qu'il y avait de plus pur en France. Si le siècle n'eût pas été aussi dissolu que le roi, il aurait tourné là son amour. Il en était venu jusqu'à ce point de corruption où la pureté paraît un ridicule, et où on réserve le mépris pour la pudeur.

Marié à seize ans à une fille de Marie-Thérèse d'Autriche, le jeune prince avait continué jusqu'à son avénement au trône cette vie de recueillement domestique, d'étude et d'isolement. Une paix honteuse assoupissait l'Europe. La guerre, cet exercice des princes, n'avait pu le former au contact des hommes et à l'habitude du commandement. Les - champs de bataille, qui sont le théâtre de ces grands acteurs, ne l'avaient jamais exposé aux regards de son peuple. Aucun prestige, excepté celui de sa naissance, ne jaillissait de lui. L'horreur qu'on avait pour son aïeul fit seule sa popularité. Il eut l'es

time de son peuple, jamais sa faveur. Probe et instruit, il appela à lui la probité et les lumières dans la personne de Turgot. Mais, avec le sentiment philosophique de la nécessité des réformes, le prince n'avait que l'âme du réformateur : il n'en avait ni le génie ni l'audace; ses hommes d'État, pas plus que lui. Ils soulevaient toutes les questions sans les déplacer; ils accumulaient les tempêtes sans leur donner une impulsion. Les tempêtes devaient finir par se tourner contre eux. De M. de Maurepas à M. Turgot, de M. Turgot à M. de Calonne, de M. de Calonne à M. Necker, de M. Necker à M. de Malesherbes, il flottait d'un intrigant à un honnête homme, et d'un banquier à un philosophe; l'esprit de système et de charlatanisme suppléait mal à l'esprit de gouvernement. Dieu, qui avait donné beaucoup d'hommes de bruit à ce règne, lui avait refusé un homme d'État; tout était promesses et déception. La cour criait, l'impatience saisissait la nation, les oscillations devenaient convulsives: Assemblée des notables, États-généraux, Assemblée nationale, tout avait éclaté entre les mains du roi; une révolution était sortie de ses bonnes intentions plus ardente et plus irritée que si elle était sortie de ses vices. Aujourd'hui le roi avait cette révolution en face dans l'Assemblée nationale; dans ses conseils aucun homme capable, non pas seulement de lui résister, mais de la comprendre. Les hommes vraiment forts aimaient

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