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plus grand pouvoir dont les hommes puissent être » revêtus. Demain vous ne serez plus rien. Ce n'est » donc ni l'intérêt, ni la flatterie, qui vous louent : » ce sont vos œuvres. Nous vous annonçons les béné>> dictions de la postérité qui commence aujourd'hui » pour vous! La liberté, » dit Pastoret, « avait » fui au delà des mers, ou s'était réfugiée dans les >> montagnes : vous avez relevé son trône abattu. Le despotisme avait effacé toutes les pages du livre » de la nature, vous avez rétabli le décalogue des >> hommes libres! >>

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XV.

Le roi, entouré de ses ministres, entra à trois heures dans l'Assemblée. De longs cris de Vive le roi! lui interdirent un moment la parole: « Mes» sieurs, » dit Louis XVI, « après l'achèvement de » la constitution vous avez déterminé pour aujour» d'hui la fin de vos travaux. Il eût été à désirer, » peut-être, que votre session se prolongeât encore » quelque temps, pour que vous pussiez vous-mê» mes essayer votre ouvrage. Mais vous avez voulu, » sans doute, marquer par là la différence qui doit >> exister entre les fonctions d'un corps constituant » et les législateurs ordinaires. J'emploierai tout ce » que vous m'avez confié de force à assurer à la con»stitution le respect et l'obéissance qui lui sont dus. >> Pour vous, Messieurs, qui, dans une longue et

TOME I.

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pénible carrière, avez montré un zèle infatigable » dans vos travaux, il vous reste un dernier devoir » à remplir lorsque vous serez dispersés sur la sur» face de l'empire : c'est d'éclairer vos concitoyens » sur l'esprit des lois que vous avez faites, d'épurer » et de réunir les opinions par l'exemple que vous » donnerez de l'amour de l'ordre et de la soumission >> aux lois. Soyez, en retournant dans vos foyers, les >> interprètes de mes sentiments auprès de vos con>> citoyens. Dites-leur bien que le roi sera toujours » leur premier et leur plus fidèle ami; qu'il a besoin » d'être aimé d'eux, qu'il ne peut être heureux » qu'avec eux et par eux. »

Le président répondit au roi : « L'Assemblée na» tionale, parvenue au terme de sa carrière, jouit en » ce moment du premier fruit de ses travaux. Con>> vaincue que le gouvernement qui convient le mieux » à la France est celui qui concilie les prérogatives >> respectables du trône avec les droits inaliénables » du peuple, elle a donné à l'État une constitution » qui garantit également la royauté et la liberté. Nos » successeurs, chargés du redoutable dépôt du salut » de l'empire, ne méconnaîtront ni leurs droits ni les >>> limites constitutionnelles. Et vous, sire, vous avez >> presque tout fait : en acceptant la constitution vous » avez fini la Révolution. »

Le roi sortit au bruit des acclamations. On eût dit que l'Assemblée nationale était pressée de déposer

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la responsabilité des événements qu'elle ne se sentait plus la force de maîtriser. « L'Assemblée nationale » constituante déclare, » dit Target, son président, « que sa mission est finie, et qu'elle termine en ce

>> moment ses séances. >>

Le peuple, qui se pressait en foule autour du Manége et qui voyait avec peine la Révolution abdiquer entre les mains du roi, insulta, à mesure qu'il les reconnaissait, les membres du côté droit, et même Barnave; ils recueillirent, dès le premier jour, l'ingratitude qu'ils avaient si souvent fomentée. Ils se séparèrent dans la tristesse et le découragement.

Quand Robespierre et Pétion sortirent, le peuple les couronna de feuilles de chêne et détela les chevaux de leurs voitures pour les ramener en triomphe. La puissance de ces deux hommes attestait déjà la faiblesse de la constitution et présageait sa chute. Un roi amnistié rentrait impuissant dans son palais. Des législateurs timides abdiquaient dans le trouble. Deux tribuns triomphants étaient soulevés par le peuple. Tout l'avenir était là. L'Assemblée constituante, commencée comme une insurrection de principes, finissait comme une sédition. Était-ce le tort de ces principes, était-ce la faute de l'Assemblée? Nous l'examinerons à la fin du dernier livre de ce volume, en jetant un regard d'ensemble sur ses actes. Nous renvoyons là ce jugement pour ne pas couper le récit.

LIVRE V.

État de l'Europe. — Les puissances commencent à s'émouvoir.

- L'armée

Conférences de Pilnitz.

Premiers

des princes français à Coblentz. bruits de guerre accueillis avec faveur par les constitutionnels, par les Girondins et par les Jacobins, à l'exception de Robespierre.

Son portrait.

Madame de Staël. Son influence dans le parti des constitutionnels. Le comte Louis de Narbonne. Les constitutionnels veulent en

gager le duc de Brunswick dans leur parti.

Il s'en défend.

I.

Pendant que la France respirait entre deux convulsions, et que la Révolution indécise ne savait si elle s'arrêterait dans la constitution qu'elle avait conquise, ou si elle s'en servirait comme d'une arme pour conquérir la république, l'Europe commençait à s'émouvoir et à conjurer. Égoïste et imprévoyante, elle n'avait vu dans les premiers symptômes de la France qu'une sorte de drame philosophique, joué à Paris sur la scène des notables, des états-généraux et de l'Assemblée constituante, entre le génie populaire représenté par Mirabeau, et le génie vaincu des

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