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xlij DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

les austérités qui l'offensent et les petitesses orgueilleuses.

J'en ai dit assez, je pense, pour rappeler an lecteur combien de maux la superstition peut produire. Que tous les hommes éclairés se liguent donc avec moi pour l'anéantir; que les préjugés tombent; que l'erreur se dissipe; que le père ne cherche plus à retenir son fils dans un austère devoir, en trompant son cœur simple et facile : les yeux de l'esprit s'ouvrent avec l'âge; et l'on doit s'attendre à recevoir, de celui qu'on a trompé, imposture pour imposture. Conservons à notre siècle son beau nom de siècle de lumières; dévoilons la vérité; signalons le mensonge; renversons la superstition; et répétons à toute la terre que l'homme ne s'élève point à DIEU par la crainte, que le méchant, qui l'honore avec un sentiment d'effroi, ne peut se flatter de lui plaire, et qu'un père ne demande à ses enfans que leurs cœurs et leur amour.

Oderunt peccare boni, virtutis amore;
Oderunt peccare mali, formidine pænæ.
HORAT.

VISION

DE CYRANO-BERGERAC,

PROPRE A SERVIR D'INTRODUCTION

JE sortis hier à la promenade, pour dissiper les ridicules imaginations dont j'avais l'esprit rempli; et m'étant enfoncé dans un petit bois, après environ un quart d'heure de chemin, j'aperçus un manche à balai qui se vint mettre entre mes jambes à califourchon, et bon gré malgré que j'en eusse, je me sentis envolé par le vague de l'air.

Bientôt, sans me souvenir de la route de mon enlèvement, je me trouvai sur mes pieds, au milieu d'un désert, où ne se rencontrait aucun sentier; je repassai cent fois sur mes brisées cette solitude était pour moi un nouveau monde. Je résolus de pénétrer plus loin; mais sans apercevoir aucun obstacle, j'avais beau pousser contre l'air, mes efforts ne me faisaient rencontrer partout que l'impossibilité de passer outre. A la fin, fort harassé je tombai sur mes genoux ; et ce qui m'étonna davantage, ce fut d'avoir passé en un moment de midi à minuit. Je voyais les étoiles luire au ciel, avec un feu bluetant; la lune était en son plein, mais beaucoup plus

pâle qu'à l'ordinaire. Elle s'éclipsa trois fois, et trois fois dépassa son cercle. Les vents étaient paralysés; les fontaines étaient muettes; les oiseaux avaient oublié leur ramage; les poissons se croyaient enchassés dans du verre; tous les animaux n'avaient de mouvemens que ce qu'il leur en fallait pour trembler. L'horreur d'un silence effroyable régnait partout,et partout la nature semblait être en suspens de quelque grande aventure.

Je mêlais ma frayeur à celle dont la face de l'horison paraissait agitée, quand, au clair de lune, je vis sortir du fond d'une caverne, un grand et vénérable vieillard vêtu de blanc, le visage basané, les sourcils touffus et relevés, l'œil effrayant, la barbe renversée par-dessus les épaules; il avait sur la tête un chapeau de verveine, et sur le dos une ceinture, tissue de fougère de mai, faite en tresses. A l'endroit du cœur, était attachée sur sa robe une chauve-souris à demi-morte; et autour de son cou, un carcan chargé de différentes pierres précieuses, dont chacune portait le caractère de la planète qui la dominait.

sept

Ainsi mystérieusement habillé, portant à la main gauche un vase fait en triangle, plein de rosée, et à la droite une houssine de sureau en sève, dont le bout était ferré d'un mélange de tous les métaux, il baisa le pied de sa grotte; puis, après s'être déchaussé, arrachant en grommelant certains mots, du creux de sa poitrine, il s'approcha à reculons d'un

gros chêne, à quatre pas duquel il creusa trois cercles l'un dans l'autre : la nature, obéissant aux ordres du nécromancien, prenait d'elle-même, en frémissant, les figures qu'il voulait y tracer.

Il y grava les noms des intelligences, tant du siècle que de l'année, de la saison, du mois, de la semaine, du jour et de l'heure. Ensuite il posa son vase au milieu des cercles, le découvrit, mit le bout de sa baguette entre ses dents, se coucha, la face tournée vers l'orient, et s'endormit. Peu après, j'aperçus tomber dans le vase cinq grains de fougère. Il les prit tous, quand il fut éveillé ; en mit deux dans ses oreilles, un dans sa bouche, replongea le quatrième dans le et jeta le cinquième hors des cercles.

vase,

Mais à peine celui-là fut-il parti de sa main, que je le vis environné de plus d'un million d'animaux de mauvais augure, tant d'insectes que de parfaits. Il toucha de sa baguette un chat-huant, un renard et une taupe qui aussitôt entrèrent dans les cercles, en jetant un formidable cri. II leur fendit l'estomac, avec un couteau d'airain, puis leur ayant arraché le cœur, il les enveloppa, chacun dans trois feuilles de laurier, et les avala. Il sépara le foie qu'il épreignit dans un vase de figure hexagone: cela fini, il commença les fumigations; il mêla la rosée et le sang dans un bassin, il y trempa un gant de parchemin vierge qu'il mit à sa main droite, et, après quatre ou cinq hurlemens horribles, il fer

ma les yeux et commença les invocations. Il ne remuait presque point les lèvres; j'entendais néanmoins, dans sa gorge, un bruissement comme de plusieurs voix entremêlées. Il fut élevé de terre à la hauteur d'une palme, et de fois à autre il attachait attentivement la vue sur l'ongle de l'index de sa main gauche. Il avait le visage enflammé, et se tourmentait fort. Après plusieurs contorsions effroyables, il tomba en gémissant sur les genoux; mais aussitôt qu'il eut articulé trois paroles d'une certaine oraison, devenu plus fort qu'un homme, il soutint sans vaciller les monstrueuses secousses d'un vent épouvantable qui soufflait contre lui, tantôt par bouffées, tantôt par tourbillons; ce vent semblait tâcher à le faire sortir des cercles. Mais n'en ayant pu venir à bout, les trois ronds tournèrent sur lui.Ce prodige fut suivi d'une grêle, rouge comme du sang, et d'un torrent de feu qui se divisait en globes, dont chacun se fendait en éclairs, avec un grand coup de tonnerre.

Bientôt une lumière blanche et claire dissipa ces tristes météores. Tout au milieu parut un jeune homme, la jambe droite sur un aigle, la gauche sur un lynx, qui donna au magicien trois phioles,pleines de je ne sais quelles liqueurs. Le magicien lui présenta trois cheveux, l'un pris au-devant de sa tête, les deux autres aux tempes; il fut frappé sur l'épaule d'un petit bâton que tenait le fantôme, et puis tout disparut.

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