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en silence de sa véracité. J'ai connu, dans un village des Ardennes, deux hommes, maintenant bien portans, qui ont boité plus d'un an, pour se faire guérir à l'attouchement du saintsuaire. Et en avouant la supercherie, ils se faisaient passer pour impies, ingrats et endiablés, sans persuader ceux qui les écoutaient, de l'impuissance des reliques, et sans gåter, le moins du monde, la réputation du miracle. Que devons-nous penser des anciens prodiges, quand de nos jours on rejette la vérité, pour s'en tenir au mensonge.

Que des peuples ignorans aient été imbus d'erreurs grossières; que les Américains aient pris les Espagnols pour des démons; que les Krudner, les Adam-Muller, les Glintz, prophétisent dans les hameaux du Nord; qu'ils publient leurs visions extravagantes; que, de leur plein pouvoir, ils annoncent aux villageois effrayés la colère d'un DIEU qu'ils ne peuvent comprendre: il n'y a rien là qui doive bien étonner. Mais nous, que nous croupissions encore dans la superstition, quand nous pouvons en sortir, que nous recherchions les ténèbres, comme le hibou, quand nous pouvons, comme l'aigle, regarder le soleil : voilà ce qui passe toute imagination. Je sais qu'il se trouve en

France un petit nombre d'hommes, qui ont secoué le joug des préjugés et de l'erreur ; mais combien en peut-on compter? un sur dix mille. Car on ne doit pas regarder comme tels ces prétendus esprits forts, qui ne croient à rien, et qui croient à tout; ces sophistes à la mode, qui méprisent toutes les religions, qui foulent / aux pieds la morale, et qui frémissent quand quelque railleur leur parle d'évoquer le diable; ces tristes épicuriens, qui voudraient n'avoir point d'âme, qui cherchent à se persuader qu'il n'y a point de DIEU, et qui parlent de leur destinée, qui se plaignent de leur étoile, qui consultent, avec une confiance sans bornes, la sibylle du faubourg Saint-Germain, qui se troublent, s'ils perdent trois gouttes de sang par le nez, ou s'ils se voient treize à la même table, ou s'il se trouve dans leur chambre trois flambeaux allumés. (1)

(1) Hobbes, l'honneur de l'Angleterre et l'un des plus célèbres écrivains de son siècle, Hobbes, que la liberté de sa philosophie, la nouveauté et la hardiesse de quelques-unes de ses propositions, firent passer pour athée, ce même Hobbes, dit l'auteur de sa vie, avait une peur effroyable des fantômes, de ces fantômes dont il a nié l'existence; et sa crainte était telle qu'il n'osait demeurer seul, quoiqu'il fût bien persuadé, disait-il, qu'il n'y a point de substance détachée de la matière.

Le plus grand nombre croit aux prodiges, parce qu'on néglige de s'éclairer, qu'on refuse de retourner sur ses pas, et qu'on ne veut point avouer qu'on a été dans l'erreur. Et quand on cherche à les en tirer, quand on leur demande ce que signifie tel ou tel prodige, les admirateurs du merveilleux vous répondent qu'on détruit, en les expliquant, les choses incompréhensibles (1).... Mais la raison se révolte contre ce qu'elle ne comprend point, et on ne croit véritablement, que quand on est persuadé.

Avant de prononcer qu'un fait est digne ou indigne de notre croyance, disoit Diderot, il faut avoir égard aux circonstances, au cours ordinaire des choses, à la nature des hommes, au nombre de cas où de pareils événemens ont été démontrés faux, à l'utilité, au but, à l'intérêt, aux passions, à l'impossibilité physique, aux monumens, à l'histoire, aux témoins, à leur caractère, en un mot, à tout ce qui peut entrer dans le calcul de la probabilité.

Et quels sont les faits que les livres de prodiges nous donnent à croire? Par qui ont-ils

(1) Quod tanto impendio absconditur, etiam solummodò demonstrare, destruere est.

TERTULLIAN.

été rapportés ? Dans quels temps? Pour quel but?... Tous ces faits sont absurdes, impossibles, hors de la nature, racontés sur le témoignage des insensés, des visionnaires, et des bonnes femmes, par des auteurs ignorans, imbus de préjugés, ou trop ou trop faibles pour lutter contre le torrent des opinions; ces faits sont écrits, pour la plupart, dans les siècles de barbarie, et souvent pour les plus vils motifs du fanatisme, ou de l'esprit de domination pour épouvanter les âmes et soumettre les peuples par la terreur.

Mais le fanatisme se flattait vainement de rendre l'homme vertueux, en le faisant trembler. Toutes les nations superstitieuses n'ont été que des hordes de barbares, et les temps de la superstition sont aussi ceux des crimes. Qu'on prêche le DIEU de clémence à un Tartare, qu'on l'instruise d'exemples, qu'on adoucisse ses mœurs, on en fera peut-être un homme. Mais si on lui annonce un DIEU cruel, ou une vaine idole, qui échange ses faveurs pour des cérémonies ridicules, sa barbarie ne fera que changer de nom. Marmontel n'a rien imaginé d'invraisemblable, en faisant adorer Barthélemy de las Casas aux adorateurs du tigre.

On offre à l'homme une divinité terrible, implacable, qui punit de supplices éternels un moment de faiblesse!.... Que les prosélytes de cette idée monstrueuse examinent leur conscience: ils n'y trouveront que la crainte. C'est dans des cœurs plus nobles, que le DIEU SOUverainement bon reçoit un culte d'amour (1). Le remords croit prévenir sa justice, en élevant des monastères, avec les dépouilles de la veuve et les sueurs de l'indigent, en se déguisant sous un habit sacré, en achetant des pardons : DIEU ne demande pas des mains pleines, mais des mains pures. DIEU pardonne à un repentir sincère : ïl méprise les coups de fouets des moines,

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(1) Il y a encore sur les opinions qu'on se fait de la Divinité une foule de choses inconcevables. Tout le monde sait que, le jour de l'Annonciation (25 mars ), l'église célèbre les vêpres, immédiatement après la messe : la moitié des chrétiens explique cette coutume, en disant que Diɛu a abandonné au diable tous les enfans qui naissent ce jour-là, entre les deux offices.... On reproche aux chrétiens des siècles barbares la persuasion où ils étaient, que DIEU ne pouvait leur envoyer qu'une mort naturelle, s'ils avaient vu par hasard une image de saint Christophe (*); et des chrétiens modernes récitent, pendant un an et un jour, les oralsons de sainte Brigitte, pour apprendre, par révélation, le moment précis de leur mort..... etc.

(*) Christophorum videas, posteà tutus eas.

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