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roses, Marion; tu me les apporteras à la grotte. Que ne suis-je à ta place, petite héroïne, et toi à la mienne! mais ce serait te faire un triste présent. Va, mon enfant, laisse-moi.

Elles se séparèrent; Marion se dirigea vers le parterre des rosiers, et la Reine alla s'asseoir à l'entrée de sa grotte favorite, auprès de la petite source.

Les feuilles jaunies tombées des arbres couvraient la terre et obstruaient le cours du ruisseau. Les oiseaux 10 étaient muets, et les pâles rayons du soleil d'automne faisaient briller çà et là quelques fleurs tardives et décolorées. Le murmure de la petite cascade qui arrose l'intérieur de la grotte retentissait seul dans le bosquet.

Marie-Antoinette se rappelait le temps où elle avait 15 tracé ces jardins charmants, celui, plus heureux encore, où elle guidait les premiers pas de ses enfants sur les gazons de Trianon. C'était là qu'elle avait joui de tous les plaisirs délicats que donnent les arts et l'amitié, là que, jeune, brillante, adorée, elle recevait son frère l'em20 pereur Joseph au milieu des fêtes...

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En quelques instants sa pensée revit ces années de bonheur, et le présent et l'avenir lui apparurent sous un aspect si sombre que la malheureuse princesse se sentit défaillir.

Effrayée d'être seule, elle appela Marion, mais, au lieu de la jeune fille, un garçon de la chambre, comme on les appelait, parut, une lettre à la main.

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-M. de Saint-Priest envoie ceci à votre Majesté, ré30 pondit le valet, qui tremblait de tous ses membres. Marie-Antoinette rompit le cachet et pâlit en lisant ces deux lignes du ministre :

"La Reine est priée de revenir au château.

Elle y

trouvera le Roi. Les sections de Paris sont en chemin pour venir à Versailles."

Faites atteler, dit la Reine, et prévenez Mme de Tourzel que nous partons.

Le garçon s'inclina, partit, et, une fois hors de vue, 5 se mit à courir à toutes jambes vers le petit château. La Reine le suivit. Elle rencontra Marion chargée de

roses.

- Donne-m'en une seule, dit la Reine; ce sera peutêtre la dernière que j'emporterai de mon cher Trianon. 10 Ma pauvre Marion, j'ai le pressentiment que je ne te verrai plus.

-Ne parlez pas ainsi, madame! s'écria Marion, vous reviendrez demain. Prenez ce bouquet pour Madame Royale, je vous en supplie.

Donne-moi une seule rose, dit la Reine; une seule, je le veux.

Marion, tout en pleurs, en choisit une au hasard. C'était une rose rouge.

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La Reine la considéra un instant et ses larmes cou-20 lèrent.

-Flos martyrum! dit-elle. Dieu m'indique la voie où je vais marcher. Adieu, Trianon, adieu pour toujours! Elle prit la rose, donna sa main à baiser à Marion, et partit.

C'était bien au martyre qu'elle allait !

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JULIE LAVERGNE.

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MA NORMANDIE.

QUAND tout renaît à l'espérance,
Et que l'hiver fuit loin de nous;
Sous le beau ciel de notre France,
Quand le soleil revient plus doux ;
Quand la nature est reverdie,
Quand l'hirondelle est de retour,
Je vais revoir ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour.

J'ai vu les champs de l'Helvétie
Et ses chalets et ses glaciers.
J'ai vu le ciel de l'Italie

Et Venise et ses gondoliers;
En saluant chaque patrie,
Je me disais: "Aucun séjour
N'est plus beau que ma Normandie,
C'est le pays qui m'a donné le jour."

Il est un âge dans la vie
Où chaque rêve doit finir,
Un âge où l'âme recueillie
A besoin de se souvenir;
Lorsque ma muse refroidie
Aura fini ses chants d'amour,
J'irai revoir ma Normandie,

C'est le pays qui m'a donné le jour.

FRÉDÉRIC BÉRAT. (183–)

MORT DE LOUIS XVI.

APRÈS la journée du 10 août, la famille royale avait été enfermée au Temple, sombre forteresse dont la grande tour lui servit de prison. Le roi occupait un étage; la reine, Madame Élisabeth, le jeune dauphin et sa sœur en occupaient un autre. Ils se réunissaient pendant le jour. 5 A neuf heures, on déjeunait dans la chambre du roi. dix, le roi travaillait avec son fils, la reine avec sa fille. A une heure, si le temps le permettait, toute la famille descendait au jardin. La promenade finissait à deux heures. Alors le dîner était servi. Le roi prenait 10 ensuite quelque repos. Après son sommeil, on faisait une lecture en commun. Enfin, venait le souper, puis la séparation, toujours douloureuse, parce que l'adieu de chaque soir pouvait être le dernier. Toute relation avec le dehors était sévèrement interdite. Un seul domes- 15 tique, Cléry, faisait le service de l'intérieur de la prison, sans en sortir jamais; et les prisonniers ne pouvaient apprendre que ce qu'il leur était douloureux de connaître, comme la mort de leurs plus fidèles serviteurs ou les victoires de la république, qui leur ôtaient toute espé-20 rance. Telle fut, durant cinq mois, sous une surveillance pénible, souvent outrageante, l'existence de la famille royale au Temple. Louis XVI, plus fait pour la vie privée que pour le trône, montra, dans cette captivité, un calme et des vertus qui souvent attendrirent les plus 25 farouches geôliers.

La constitution déclarait le roi inviolable et n'autorisait d'autre peine contre lui que la déchéance. Or la déchéance était déjà prononcée; le droit légal était donc épuisé contre Louis. Mais la situation était extrême : 30

l'Angleterre menaçait; les Autrichiens allaient faire de plus grands efforts et une coalition de l'Europe entière était imminente. Il y a aussi comme une ivresse de péril; les esprits qu'une moralité inflexible ne retient pas 5 s'exaltent et se perdent en face du danger. Danton pro

nonça dans l'Assemblée ces sinistres paroles: "Jetonsleur en défi une tête de roi," et la Convention, se faisant accusatrice et juge, cita le roi à comparaître par-devant elle (3 décembre 1792). Le vénérable Malesherbes, pour 10 couronner une belle vie par une belle action, demanda et` obtint l'honneur de défendre son ancien maître. Un jeune avocat, de Sèze, porta la parole: "Je cherche en vous des juges, s'écria-t-il, et je ne vois que des accusateurs." Saint-Just et Robespierre acceptaient la question 15 ainsi posée. Ils ne s'inquiétaient pas de savoir si les

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accusations contre le roi étaient fausses ou vraies; ils demandaient tout haut sa mort comme une mesure de salut public. Les Girondins ne firent que de timides efforts pour le sauver.

Quatre questions avaient été successivement soumises au vote: 1° Louis est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et d'attentat contre la sûreté générale ? Oui, à l'unanimité; 2° Y aura-t-il appel au peuple? 276 oui sur 745 votants; 3° Quelle peine sera infligée ? 387 25 voix pour la mort sans condition, 338 pour la détention ou la mort avec condition, 28 absents ou non votants; 4° Y aura-t-il sursis à l'exécution? 310 oui contre 380 non. La Convention ordonna l'exécution dans les vingtquatre heures; et le 21 janvier 1793, Louis XVI, avec 30 un courage et une résignation chrétienne que la postérité admire, monta sur l'échafaud. Il voulut adresser quelques mots à la foule: un roulement de tambours étouffa sa voix !

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