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Le printemps avait quinze fois orné de fleurs et de verdure les bosquets du petit Trianon, et l'automne de 1789 commençait à effeuiller leur couronne. Le temps des fêtes était passé. La Révolution avait commencé 10 son œuvre l'anxiété, la misère, l'effroi régnaient dans toute la France. Les frères du Roi avaient déjà passé la frontière: on émigrait en foule et le vide se faisait autour des royales victimes.

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Rien, en apparence, ne semblait changé dans les habi- 15 tudes de la famille royale. Louis XVI chassait trois fois la semaine, Madame Élisabeth allait tous les jours à Montreuil, et la Reine se promenait encore à Trianon. Mais elle y allait presque toujours seule la solitude est douce à qui doit cacher ses larmes. La Reine était loin 20 de partager les illusions et la sécurité de Louis XVI, et, depuis le jour où elle l'avait vu revenir de l'Hôtel de Ville de Paris, portant à son chapeau la cocarde tricolore, ce signe de servitude envers l'émeute, Marie-Antoinette entrevoyait l'abîme.

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Le 5 octobre, le Roi était allé chasser dans les bois de Meudon. La Reine vint à Trianon et voulut s'y promener seule. Laissant ses enfants à Mme de Tourzel, MarieAntoinette s'éloigna du château et dirigea ses pas du 5 côté du village. Elle n'avait plus cette démarche légère, cette grâce aérienne qui charmaient jadis tous les regards. Belle, elle l'était encore, elle le fut jusqu'à la fin, mais les roses de son doux visage avaient disparu, et ses yeux cernés, son front pâle et sa démarche lente et 10 incertaine trahissaient les angoisses de son cœur.

Elle s'assit près du lac, sous un saule qui la cachait presque entièrement, et regarda de loin la jolie laiterie, la tour de Marlborough, la maison du Bailly, toutes ces gracieuses demeures, témoins des fêtes des premières 15 années de son règne. Depuis quelques mois Marie-Antoinette y avait installé de pauvres familles, espérant ainsi se faire pardonner par l'opinion publique ce que l'on osait appeler ses profusions. Ces nouveaux hôtes avaient déjà changé l'aspect du hameau de la Reine. 20 Au lieu de fleurs, du linge, des vêtements s'étalaient aux fenêtres des chaumières, et, sur le seuil, pêle-mêle avec des poules, des chiens et des chats, quelques enfants malpropres se traînaient en jouant.

Des femmes désœuvrées causaient d'un air inquiet 25 sous le porche de la maison du Bailly, et, bien que l'éloignement empêchât la Reine d'entendre leurs paroles, il était évident que le sujet de leur entretien était triste. Un petit garçon s'approcha du groupe des femmes et se mit à chanter d'une voix perçante. Sa mère s'élanca 30 vers lui, le frappa rudement, et, l'entraînant de force, l'enferma dans l'étable.

Mais la Reine avait entendu et reconnu l'infâme chanson, et elle se hâta de rentrer dans le bois sans avoir été aperçue.

Mon Dieu !

se dit-elle, faut-il que les refrains ignobles dont mes ennemis font retentir les rues de Paris, soient répétés ici, et par les enfants des pauvres que je nourris! Ce petit enfant ne sort pas de Trianon; qui donc lui apprend à m'insulter ainsi ?

En passant près du moulin, elle rencontra Marion, la jeune et belle fille d'un des jardiniers. Marion la salua en silence, mais ses yeux rencontrant ceux de la Reine, elle ne put se contenir et s'écria :

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-Oh! madame, vous pleurez! et, fondant en larmes, 10 la bonne fille se jeta à genoux devant la Reine.

Marie-Antoinette la releva avec bonté et lui dit:

Ce n'est rien, Marion, mais j'ai entendu un des enfants du village chanter une si vilaine chanson que le cœur m'a manqué. N'est-ce pas horrible que les enfants 15 eux-mêmes soient pervertis et insultent leurs souverains? Où irai-je, si à Trianon même je dois entendre de pareilles infamies?

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Madame, dit Marion, si vous vouliez punir les coupables, rien ne serait plus aisé; mais vous ne savez que 20 pardonner, et l'impunité encourage les méchants. Ah! si j'étais Reine!

-Eh bien, achève! dit Marie-Antoinette, souriant à travers ses larmes de l'air fier qu'avait pris Marion. Que ferais-tu, mon enfant ?

-Si j'étais Reine, je ne pardonnerais qu'au repentir. Je défendrais mon honneur, je punirais par le feu, la corde et la roue tout crime de lèse-majesté, parce que celui qui insulte le Roi déshonore la nation; si j'étais Reine...

Si tu étais Reine, ma fille, tu serais comme moi la première sujette du Roi, et tu imiterais sa clémence, son amour pour le peuple. Va me cueillir quelques

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