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douceur, de force et d'onction, de beaux mouvemens et de grandes idées, et en général cette élocution facile et naturelle, l'un des caractères distinctifs des siècles qui ont fait époque dans l'histoire des lettres?

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Celle où je m'arrête en ce moment présente une observation qu'il ne faut pas omettre : c'est la supériorité des Grecs sur les Latins. Ceux-ci nous offrent principalement comme écrivains et orateurs, dans ces premiers âges du christianisme, Tertullien, saint Ambroise, saint Cyprien et saint Augustin. Personne ne conteste au premier la vigueur des pensées et du raisonnement; mais personne aussi n'excuse la dureté africaine de son style, même dans ses deux ouvrages les plus célèbres, l'Apologie et les Prescriptions, dont les beautés frappantes sont mêlées d'affectation, d'obscurité et d'enflure. Saint Cyprien qui l'avait pris pour modèle, en a conservé le caractère, mais également affaibli dans les beautés et dans les défauts. Saint Ambroise a beaucoup plus de douceur et de pureté; mais il s'élève peu, et n'a pas comme eux cette foule de traits qui préparait pour la chaire tant de citations heureuses et brillantes. Saint Augustin est certainement le plus beau gé

nie de l'Église latine : il est impossible d'avoir plus d'esprit et d'imagination; mais on convient qu'il abuse de tous les deux. Son style nous rappelle Sénèque, comme celui de Grégoire, de Basile, de Chrysostôme rappelle Cicéron et Démosthènes, et c'est dire assez que les pères grecs ont la palme de l'éloquence.

A l'égard du paganisme, on trouve, vers le temps dont je parle, Libanius et Thémiste, distingués parmi les philosophes rhéteurs, mais qui avaient plus de littérature que de talent. Le plus glorieux titre du premier, c'est d'avoir eu deux disciples dont le nom éclipsa bientôt le sien, et ce sont ce même Grégoire et ce même Basile qui reçurent de leurs contemporains le nom de grand, et qui furent admirés des païens même. L'autre illustra sa plume et son caractère en se faisant, auprès de l'empereur arien, Valens, le défenseur des catholiques persécutés; et ce fut un païen qui eut la gloire de donner cette leçon de tolérance et cet exemple de courage, qui furent couronnés par le succès.

Après cet éclat passager que la religion seule rendit aux lettres, les irruptions des barbares depuis le cinquième siècle jusqu'au dixième,

étendent et épaississent de plus en plus dans notre occident les ténèbres de l'ignorance et du mauvais goût; et si dans ce long intervalle on aperçoit quelques hommes supérieurs aux autres par les dons de l'esprit; un Photius, qui fit du sien un usage si funeste; un Abeilard, fameux dans les écoles, et qui paya par ses malheurs sa réputation et ses fautes; surtout un saint Bernard, qui fut l'oracle de son temps, et dont les écrits sont encore cités dans le nôtre; aucun d'eux ne put relever les lettres dégradées et les arts corrompus. Constantinople en était encore le centre, même dans son abaissement; mais la scolastique et ses controverses, nées de cet esprit sophistique qui, dans tous les temps, fit plus ou moins partie du caractère des Grecs, avait acquis, en se joignant à la religion qu'elle corrompait, une importance mal entendue, qui décourageait les autres études chez tous les peuples qui avaient assis des trônes sur les débris de l'empire romain. Théodoric qui

fit

pour les lettres, en Italie, beaucoup plus qu'on ne pouvait attendre d'un roi goth, ne parvint pas à les relever. Charlemagne, comme lui, conquérant politique et législateur, mais fort supérieur à lui, et sans contredit le plus grand homme

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qui ait paru dans ce long intervalle qui a séparé la chute des deux empires, Charlemagne fit entrer les sciences et les arts dans le vaste plan de gouvernement dont il voulait faire la base d'une puissance qui ne put survivre à son génie. Il fonda l'université de Paris: mais ce ne fut que longtemps après lui qu'elle acquit une splendeur digne de son origine, et devint pour toutes les nations de l'Europe un modèle et un objet d'émulation.... Ici je m'arrête involontairement, les yeux fixés sur le passé, sur le présent et sur l'avenir. Quand je prononçai pour la première fois ce même discours, il y a quelques années, elle existait encore cette savante et respectable école, la plus ancienne du monde, la mère des sciences et des lettres : elle n'est plus! Vingt autres universités, dignes filles de cette illustre mère, honoraient et instruisaient la France: elles ne sont plus! Et depuis long-temps, toutes les fois que se rencontre sous ma plume quelqu'une de ces innombrables ruines dont nous sommes environnés, et que je considère d'un côté ce qu'on a détruit, et de l'autre ce qui en a pris la place, je me prosterne en idée, et je paye à ces tristes et vénérables souvenirs le tribut que leur doit tout

ce qui n'a pas renoncé à la raison humaine, tout ce qui a conservé des sentimens d'homme. Car, qu'y a-t-il aujourd'hui parmi nous de saint et de vénérable, si ce n'est des ruines; à commencer par les autels, qui sont des ruines; par les temples, où l'on adore Dieu sur des ruines; par les tombeaux, où l'on pleure les morts sur des ruines; par les asiles de la vertu, de l'instruction, de l'humanité où l'on ne marche que sur des ruines? Et je me dis en gémissant: Ici une race nouvelle et étrangère parmi les hommes, la race révolutionnaire, a passé; et que peut-il rester après son passage, si ce n'est le chaos renouvelé, et le génie du mal planant encore au-dessus du chaos, et s'applaudissant d'avoir tout détruit, comme autrefois le Créateur s'applaudissait d'avoir tout fait?

Hommes célèbres, et si dignement célèbres, puisque vous l'êtes surtout pour avoir été utiles; vous qui fûtes, de siècle en siècle, les instituteurs de la génération naissante, les maîtres et les modèles à la fois de la saine littérature, de la la pure morale et de la vraie religion qui en est la sanction et le soutien; ombres des Gerson, des Dumoulin, des Duval, des Rollin, des Hersan, des Gibert, des Coffin, des Grenan, des Le Beau, et

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