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oculaire et composée avec beaucoup de modération, est le premier des écrits qu'il convient de consulter; cependant, comme les circonstances au milieu desquelles elle a été publiée, ne laissaient pas à son auteur toute la liberté nécessaire pour une appréciation entièrement impartiale, il sera utile de la compléter en recourant aux autres documents que l'histoire nous a conservés. Les lettres et les récits des contemporains de Pascal nous ont transmis à son sujet une foule de renseignements précieux, et d'ailleurs ses propres ouvrages permettent de l'étudier et de le suivre, pour ainsi dire, pas à pas dans les principales phases de sa carrière.

Blaise Pascal naquit à Clermont, le 19 juin 1623. Son père, Étienne Pascal, était président de la cour des aides en Auvergne. Devenu veuf de bonne heure, il vint résider à Paris avec sa famille qui se composait de son fils et de deux filles, Gilberte et Jacqueline. L'éducation de son fils unique fut désormais l'objet essentiel de ses soins. Partant de ce principe, « qu'il faut toujours tenir un enfant au-dessus de son ouvrage, » il ne voulut point lui apprendre le latin avant l'âge de douze ans, et, en attendant, il s'appliqua à orner son esprit des connaissances générales les plus propres à en préparer le développement.

Mais, dès cette époque, une circonstance, souvent rappelée, vint jeter une première lueur sur les destinées scientifiques de Pascal. Dans la société de son père, on parlait souvent de mathématiques; la curiosité du jeune écolier fut ainsi éveillée, et, quoiqu'on lui refusât, comme supérieurs à son âge, les livres de science, il se prit à réfléchir et, « sur cette simple ouverture que la mathématique donnait des moyens de faire des figures infailliblement justes, il se mit à rêver sur cela à ses heures de récréation; et, étant seul dans une salle où il avait accoutumé de se divertir, il prenait du charbon et faisait des figures sur des carreaux, cherchant des moyens de faire, par exemple, un cercle parfaitement rond, un triangle dont les côtés et les angles fussent égaux, et autres choses semblables. Il trouvait tout cela lui seul; ensuite il cherchait les proportions des figures entre elles. » C'est ainsi que, par une suite continue de déductions, il en était arrivé par ses propres forces, et en se servant, comme il le disait, de barres et de ronds, à démontrer la trente-deuxième proposition d'Euclide, dont l'objet est d'établir que la somme des trois angles d'un triangle est toujours égale à deux angles droits. « Comme il en était là-dessus, dit Mme Périer, mon père entra dans le lieu

T. II.

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où il était, sans que mon frère l'entendît; il le trouva si fort appliqué qu'il fut longtemps sans s'apercevoir de sa venue. On ne peut dire lequel fut le plus surpris, ou le fils de voir le père, à cause de la défense expresse qu'il lui en avait faite; ou le père de voir son fils au milieu de toutes ces choses. Mais la surprise du père fut bien plus grande, lorsque, lui ayant demandé ce qu'il faisait, il lui dit qu'il cherchait telle chose, qui était la trente-deuxième proposition du premier livre d'Euclide. Mon père lui demanda ce qui l'avait fait penser à chercher cela; il dit que c'était qu'il avait trouvé telle autre chose; et sur cela, lui ayant fait encore la même question, il lui dit encore quelques démonstrations qu'il avait faites; et enfin, en rétrogradant et s'expliquant toujours par les noms de rond et de barre, il en vint à ses définitions et à ses axio-. mes. » Sans aller jusqu'à partager entièrement l'admiration exagérée à laquelle ce récit a donné lieu, on doit reconnaître cependant qu'il n'existe peut-être pas, dans l'histoire des sciences, un exemple d'une aptitude aussi précoce pour les mathématiques.

Le père de Pascal, qui avait ajourné jusqu'alors les études scientifiques, ne crut pas devoir résister plus longtemps à une vocation aussi pro

noncée, et il s'empressa de mettre entre les. mains de son fils toutes les ressources capables de développer ses dispositions naturelles. Les résultats ne se firent pas attendre, et Pascal, tout jeune encore, se trouva bientôt en état de prendre part aux travaux des sociétés savantes de son temps.

A seize ans, il composait un traité des sections coniques; deux ans plus tard, il imaginait et faisait construire une ingénieuse machine qui est restée célèbre sous le nom de machine arithmétique et dont l'objet était de réduire à des opérations purement mécaniques les calculs les plus compliqués sur les nombres.

Ce n'étaient là, du reste, que des essais, car bientôt Pascal publia sur la physique, la géométrie et le calcul des probabilités une foule de travaux qui lui assurent un rang éminent parmi les savants. Il n'est même pas douteux qu'il n'eût rendu à la science bien d'autres services, si les forces de son génie n'avaient pris tout à coup une autre direction. Il est très remarquable, en effet, que, dès l'âge de vingt-quatre ans, Pascal avait produit ses principales découvertes; à partir de ce moment, il s'occupera bien encore de quelques recherches, et on le verra, sur la fin de sa vie, jeter un dernier et vif éclat, dans le fa

meux problème de la Roulette, mais ce sera plutôt par occasion que par suite d'un dessein réfléchi. La vie de Pascal devait être désormais consacrée à la philosophie et à la religion.

Son éducation première avait été essentiellement chrétienne; son père lui avait inspiré de bonne heure, pour les choses saintes, un respect profond qui ne s'est jamais démenti; toutefois, jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans, sa conduite n'avait rien présenté d'extraordinaire; sa foi était plutôt calme et simple qu'ardente et passionnée, comme elle le fut plus tard. Des ouvrages de dévotion, qui lui tombèrent entre les mains, opérèrent ce changement. Le caractère âpre et sévère de ces livres, d'origine janséniste, se trouva dans une conformité parfaite avec les dispositions naturelles de son esprit ; aussi, dès le premier abord, il fut séduit et convaincu. Dès lors, les sciences lui deviennent complètement indifférentes; l'étude et la pratique de la religion lui apparaissent comme la seule chose vraiment utile et nécessaire; il en fait son unique occupation et s'y livre avec toute l'ardeur d'un néophyte. Ce zèle éprouvera sans doute, par la suite, quelques vicissitudes et nous verrons bientôt Pascal, oubliant les premiers élans de sa ferveur, rechercher, pour un temps, la vie mon

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