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le courage de la première de ces résolutions, et ne voulurent pas non plus suivre la seconde. De longues conférences eurent lieu, à la suite desquelles on proposa d'adopter un biais et de se soumettre en faisant des réserves; mais Pascal, avec son caractère franc et absolu, ne put se prêter à ces accommodements, et il résolut de résister. Déjà sa sœur Jacqueline, à peine âgée de trente-six ans, venait de mourir de douleur en voyant, ce qui était à ses yeux la cause de la vérité, désertée par ses défenseurs naturels. « Je sais bien, avait-elle dit, que ce n'est pas à des filles à défendre la vérité, quoique l'on peut dire, par une triste rencontre, que, puisque les évêques ont des courages de filles, les filles doivent avoir des courages d'évêques. Mais si ce n'est pas à nous à défendre la vérité, c'est à nous à mourir pour la vérité. » De son côté, Pascal combattit avec une tenacité extrême; après une discussion dans laquelle il avait dépensé en vain toute l'énergie de son âme pour faire prévaloir son avis, il était tombé évanoui. « Quand j'ai vu, disait-il à Mme Périer sa sœur, toutes ces personnes-là à qui Dieu a fait connaître la vérité, et qui doivent en être les défenseurs, s'ébranler, je vous avoue que j'ai été saisi de douleur, que je n'ai pu la soutenir, et il a fallu succomber. » Quelle

étonnante opiniâtreté! et combien on doit déplorer qu'un aussi grand caractère ait été mis au service d'une aussi mauvaise cause.

Pascal a-t-il persévéré jusqu'à la fin dans ses sentiments jansénistes? Il n'est guère possible d'en douter, si l'on se rappelle ses paroles sur son lit de mort : « On me demande si je ne me repens pas d'avoir fait les Provinciales. Je réponds que, bien loin de m'en repentir, si j'avais à les faire présentement, je les ferais encore plus fortes. » C'est encore lui qui fait entendre cet appel désespéré de tous ceux que l'Eglise a frappés: « Si mes Lettres sont condamnées à Rome, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel.

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Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello. » Mais si Pascal a conservé jusqu'à la fin ses sentiments jansénistes, n'y a-t-il aucune différence à établir entre lui et ceux de ses partisans qui, plus versés que lui dans les questions théologiques, ne pouvaient prétexter d'une erreur involontaire? Et surtout en présence de cette mort au milieu de laquelle il invoque avec tant d'intances les secours de la religion, en protestant de la sincérité de sa foi, ne peut-on pas dire que cette sincérité, même dans l'erreur, lui aura servi d'excuse auprès de ce tribunal redoutable qu'il invoquait? C'est le secret de Dieu.

V

ROLE ET INFLUENCE DE PASCAL

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Sur la nature du rôle et de l'influence de Pascal. Son in. fluence comme écrivain. Il est un de ceux qui ont contribué à fixer la langue française. Son influence comme philosophe et comme moraliste. - Du cœur suivant Pascal. Rudesse de Pascal dans ses appréciations sur la nature humaine. Influence de Pascal comme géomèDu mélange de qualités et de défauts qu'on rencontre dans sa vie et dans ses écrits.

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Après avoir exposé la vie et les travaux de Pascal, essayons de caractériser son rôle et son influence.

Il est peu d'hommes qui, dans une courte carrière, aient jeté un si vif éclat et qui aient laissé après eux une trace plus profonde. A une époque fertile en grands génies, il a brillé dans les premiers rangs; du fond même de sa retraite, il a exercé sur ses contemporains une action puissante. Ajoutons que, de nos jours encore, l'in

fluence de Pascal n'a rien perdu de sa force, et, malgré les ombres qui planent sur sa mémoire, le temps n'a fait qu'accroître la gloire attachée à son nom. Combien d'hommes illustres dont les ouvrages ont vieilli et qui ne comptent plus que dans l'histoire! Pascal est du petit nombre de ceux auxquels il a été donné de se survivre à eux mêmes et de rester en possession de la postérité. A quoi faut-il l'attribuer? Pascal, nous l'avons vu, n'a laissé ni dans les sciences, ni dans la philosophie, des méthodes nouvelles, des découvertes essentielles; il n'a pas fondé d'école ni formé de disciples, et cependant il est peu de maîtres dont l'influence puisse être comparée à la sienne. Mais en y réfléchissant, il n'est pas difficile d'expliquer un résultat en apparence si extraordinaire.

La plupart des philosophes et des savants se contentent de parler à l'esprit; aussi leurs œuvres, même les plus considérables, ont toujours quelque chose de froid et d'abstrait; elles éclairent plutôt qu'elles n'échauffent, elles ne passionnent pas; on leur paye un juste tribut d'éloges et d'admiration, mais le cœur n'y est pas intéressé, l'éloge est fugitif et l'admiration reste stérile. Pascal s'adresse non-seulement à la raison, mais à l'âme et surtout au cœur, et il donne ainsi satisfaction à nos facultés les plus élevées. Ses ou

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