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de génie dont le regard perçant devine, avant toute démonstration, la vérité cherchée, il aperçoit tout d'abord le but de ses recherches, il y tend sans le perdre de vue un seul instant, et dès lors le scepticisme n'est plus qu'un obstacle qu'il s'agit de renverser. On croirait d'abord avoir affaire à un disciple fidèle de Montaigne; en réalité, on se trouve en présence d'un chrétien convaincu et fervent. Il possède déjà la vérité : les objections et les difficultés, loin de l'effrayer, ne font qu'animer son courage; il livre un combat où il est d'avance assuré de vaincre; plus la lutte sera vive et l'ennemi redoutable, plus le triomphe sera éclatant et complet.

On comprend aisément tout ce qu'une telle manœuvre a de périlleux et combien il est imprudent de laisser à ses adversaires des armes si dangereuses; aussi, lorsque, après la mort de Pascal, ses amis s'occupèrent de mettre en ordre ses manuscrits inachevés, leur embarras fut extrême; ils étaient surtout arrêtés par les hardiesses inattendues qui se révélaient à chaque pas. Ils hésitèrent d'abord à rien publier; puis ils essayèrent de complèter et de coordonner en corps d'ouvrage la suite des chapitres épars; mais, pour réussir, il n'eût fallu rien moins que le génie de l'auteur lui-même; ils durent donc y

renoncer et prirent enfin le parti de publier les Pensées en les modifiant, après y avoir fait un choix et en avoir supprimé tout ce qui leur paraissait inutile, informe et surtout téméraire. C'est ainsi qu'ils publièrent l'œuvre de Pascal, en la présentant au public sous la forme d'un livre de piété austère et rigide, comme l'étaient les doctrines de Port-Royal.

Cette mutilation arbitraire et maladroite explique pourquoi le livre des Pensées traversa le XVIIe siècle presque inaperçu ; on était d'ailleurs trop préoccupé des querelles jansénistes pour l'apprécier à son véritable point de vue; aussi, à part quelques grands esprits, parmi lesquels on peut citer La Bruyère et Mme de Sévigné, la plupart des contemporains n'y prêtérent qu'une médiocre attention. Au commencement du siècle suivant, le P. des Molets donna le signal d'un travail de restauration en publiant plusieurs morceaux inédits, tirés du manuscrit original, qui jetèrent un jour nouveau sur l'entreprise inachevée de Pascal. Puis vinrent les critiques de l'école philosophique, dont Voltaire était le chef, et les célèbres commentaires de Condorcet. Les incrédules du XVIIIe siècle ne pouvaient rester indifférents devant une œuvre chrétienne due à un si grand génie; il leur importait ou de revendiquer

Pascal pour un des leurs, ou de discréditer son livre et de ruiner son influence; ils entreprirent l'un et l'autre. Dans ses remarques sur les Pensées de Pascal, publiées en 1734, Voltaire releva avec habileté les tendances sceptiques accusées par un grand nombre de passages; quant au philosophe et au chrétien, fidèle à son système perfide de dénigrement et de calomnie, il ne cessait de répéter qu'à l'époque où Pascal écrivait les Pensées, sa raison était fortement ébranlée, et il allait jusqu'à le faire passer pour un halluciné. L'édition de Condorcet, publiée en 1776 avec des commentaires, était conçue dans le même esprit. Trois ans plus tard, en dehors de toute préoccupation philosophique ou religieuse, Bossut publiait les œuvres de Pascal et donnait la première édition vraiment sérieuse des Pensées; mais il ne faisait que se servir des travaux de ses devanciers, et laissait subsister la plupart des altérations de Port-Royal. Il était cependant facile de rétablir le véritable texte : car le manuscrit primitif, déposé à la Bibliothèque royale, se trouvait pour ainsi dire à la portée de toutes les mains, et il suffisait de le consulter pour rétablir l'œuvre dans toute sa pureté. M. Cousin entreprit cette utile recherche, il y a peu d'années, et c'est d'après ses indications et ses conseils que

M. Faugère publia, en 1844, l'édition définitive du livre des Pensées, celle qui doit désormais faire autorité.

IV

PASCAL JANSÉNISTE

Origines du jansénisme. - Doctrines de Saint-Cyran. — Es

prit de la maison de Port-Royal.

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Rapports de Pascal

Attaques des JanséPascal écrit les Lettres pro

avec les solitaires de Port-Royal. nistes contre les Jésuites. vinciales.

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- Succès extraordinaire de cette publication. Les Lettres provinciales sont conRésistance opiniâtre de Pascal.

Ses conséquences. damnées à Rome.

Les dernières années de Pascal furent profondément troublées par les querelles religieuses qui exerçaient alors, en France surtout, tant de ravages parmi les esprits. Mais avant de raconter la part qu'il prit aux luttes du jansénisme, il convient de rappeler en quelques mots les origines de cette secte dangereuse, « de cette hérésie déloyale, comme l'appelle un orateur célèbre',

1. Le P. Lacordaire.

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