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trois veaux, trente-six moutons tués....; il nous en coûta nos épargnes de plus de dix ans. Qu'y faire? il me fallut renvoyer les conviés et m'en aller à Nantes querir d'autres papiers. Ma fiancée, qui avait peur que je ne revinsse pas, étant déjà embarrassée, en pensa mourir de tristesse et de regret de sa noce perdue. Nous empruntâmes à grosse usure, afin de faire une autre noce quand je fus de retour, et cette fois il nous maria. Mais le soir.... écoutez ceci : nous dansions gaîment sur la place; car le curé ne l'avait pas encore défendu. M. le maire envoie ses gens et ses chevaux caracoler tout au travers de nos contredanses. Son valet, qui est Italien, disait, en nous foulant aux pieds : Gente codarda e vile, soffrirai questo e peggio. Il prétend, ce valet, que notre nation est lâche et capable de tout endurer désormais, que ces choses chez lui ne se font point. Ils ont, dit-il, dans son pays, deux remèdes contre l'insolence de messieurs les maires, l'un appelé stilettata, l'autre scopiettata. Ce sont leurs garanties, bien meilleures, selon lui, que notre conseil d'état. Où scopettade manque, stilettade s'emploie, au moyen de quoi là le peuple se fait respecter. Sans cela, dit-il, le pays ne serait pas tenable. Pour moi, je ne sais ce qui en est, mais semblable recette chez nous n'étant point d'usage, il ne me reste qu'un parti, de vendre ma besace et déloger sans bruit. Si je le rencontrais seulement, je serais un homme perdu. Il me ferait remettre en prison comme ayant outragé le maire; il conte ce qu'il veut dans ses procès

verbaux. Les témoins au besoin ne lui manquent jamais; contre lui ne s'en trouve aucun. Déposer contre le maire en justice! qui oserait ?

Si vous parlez de ceci, monsieur, dans votre estimable journal, ne me nommez pas, je vous prie. Quelque part que je sois, il peut toujours m'atteindre. Un mot au maire du lieu, et me voilà coffré. Ces messieurs entre eux ne se refusent pas de pareils services.

Je suis, monsieur, etc.

Nota. En faveur de nos abonnés, de la ville de Paris surtout, qui ne savent pas ce que c'est qu'un maire de village, nous publions cette lettre avec les précautions requises toutefois pour assurer l'incognito à notre bon correspondant. Tout Paris s'imagine qu'aux champs on vit heureux du lait de ses brebis, en les menant paître sous la garde, non des chiens seulement, mais des lois. Par malheur, il n'y a de lois qu'à Paris. Il vaut mieux être là ennemi déclaré des ministres, des grands, qu'ici ne pas plaire à M. le maire.

LIVRET

DE PAUL-LOUIS, VIGNERON,

PENDANT SON SÉJOUR A PARIS,

EN, MARS 1823.

AVIS DU LIBRAIRE-ÉDITEUR.

Nous ne donnons que des extraits du Livret de PaulLouis, vigneron, dans lequel se trouvent beaucoup de choses intelligibles pour lui seul, d'autres trop hardies pour le temps, et qui pourraient lui faire de fâcheuses affaires. Nous avons supprimé ou adouci ces traits. Il faut respecter les puissances établies de Dieu sur la terre, et ne pas abuser de la liberté de la presse.

M. de Talleyrand, dans son discours au roi pour l'empêcher de faire la guerre, a dit : Sire, je suis vieux. C'était dire, vous êtes vieux; car ils sont du même âge. Le roi, choqué de cela, lui a répondu : Non, monsieur de Talleyrand, non, vous n'êtes point vieux; l'ambition ne vieillit pas. Talleyrand parle haut, et se dit responsable de la restauration.

Nous n'avons pas besoin de dire que cet avis est de Courier lui-même; il se trouve en tête de la première édition du Livret, nous l'avons conservé. (Note de l'éditeur.)

Ces mots vieillesse et mort sont dures à la vieille cour. Louis XI les abhorrait, celui de mort surtout, et, afin de ne le point entendre, il voulut que quand on le verrait à l'extrémité, on lui dit seulement parlez peu, pour l'avertir de sa situation. Mais ses gens oublièrent l'ordre, et lorsqu'il en vint là, lui dirent crument le mot, qu'il trouva bien amer. (Voir Philippe de Commines.)

- Marchangy, lorsqu'il croyait être député, se trouvant chez M. Peyronnet, examinait l'appartement, qui lui parut assez logeable; seulement il eût voulu le salon plus orné, l'antichambre plus vaste, afin d'y faire attendre et la cour et la ville, peu content d'ailleurs de l'escalier. Le Gascon, qui connut sa pensée, eut peur de cette ambition, et résolut de l'arrêter, comme il fit en laissant påraître les nullités de son élection, dont sans cela on n'eût dit mot.

Quatre gardes-du-corps ont battu le parterre au Gymnase dramatique. On dit que cela est contraire à l'ordonnance de Louis XIII, qui leur dé. fend de maltraiter ni frapper les sujets du roi sans raison. Mais il y avait une raison : c'est que le parterre ne veut point applaudir des couplets qui plaisent aux gardes-du-corps et leur promettent la victoire en Espagne, s'ils y font la guerre, ce qui n'est nullement vraisemblable.

- Près des Invalides, six Suisses ont assailli quelques bouchers. Ceux-ci ont tué deux Suisses et blessé tous les autres, qui se sont sauvés en laissant sabres et schakos. Les bouchers devraient

quelquefois aller au parterre, et les Suisses toujours se souvenir du 10 août.

~ Lebrun trouve dans mon Hérodote un peu trop de vieux français, quelques phrases trainantes. Béranger pense de même, sans blãmer cependant cette façon de traduire. On est content de la préface.

- Le boulevard est plein de caricatures, toutes contre le peuple. On le représente grossier, débauché, crapuleux, semblable à la cour, mais en laid. Afin de le corrompre, on le peint corrompu. L'adultère est le sujet ordinaire de ces estampes. C'est un mari avec sa femme sur un lit et le galant dessous, ou bien le galant dessus et le mari dessous. Des paroles expliquent cela. Dans une autre, le mari lorgnant par la serrure, voit les ébats de sa femme, scène des Variétés. Ce théâtre aura bientôt le privilége exclusif d'en représenter de pareilles. Il jouera seul les pièces qu'on appelle grivoises, c'est-à-dire sales, dégoûtantes, comme la Marchande de goujons. Les censeurs ont soin d'en ôter tout ce qui pourrait inspirer quelque sentiment généreux. La pièce est bonne, pourvu qu'il n'y soit point question de liberté, d'amour du pays; elle est excellente, s'il y a des rendez-vous de charmantes femmes avec de charmans militaires, qui battent leurs valets, chassent leurs créanciers, escroquent leurs parens; c'est le bel air qu'on recommande. Corrompre le peuple est l'affaire, la grande affaire maintenant. A l'église et dans les écoles, on lui enseigne l'hypocrisie, au théâtre l'ancien régime et

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