Page images
PDF
EPUB

J'aime mieux labourer et mener bien ma charrue, que d'être ici lieutenant mal mené par les nobles. Adieu, bonhomme Paul; la retraite m'appelle. Au revoir, mon bonhomme. — Au revoir, mon ami.

A quatre pas de là, je trouve le seigneur du fief de Haubert, et je lui dis: Mon gentilhomme, vous n'aurez jamais ces gens-là. Pourquoi, s'il vous

plaît ?

-

C'est qu'ils ont tâté de l'avancement. Vous

voulez toutes les places, mais surtout vous voulez toutes les places d'officier, et vous avez raison; car sans cela point de noblesse. Eux veulent avancer. Le marquis aura beau faire, c'est une fantaisie qu'il ne leur ôtera pas. Je ne vois guère moyen de vous accommoder. M. Quatremère de Quincy, bourgeois de Paris, vous accordera ce que vous voudrez: priviléges, pensions, traitemens, et la restitution, et la substitution, et la grande propriété. Vous le gagnerez aisément en l'appelant mon cher ami, et lui serrant la main quelquefois. Mais les soldats ne se paient point de cette monnaie. Pour lui, l'ancien régime est une chose admirable, c'est le temps des belles manières; mais, pour les soldats, c'est le temps des coups de baton. Vous ne les ferez pas aisément consentir à rétrograder jusque-là. Puis le public est pour eux. On sait qu'un bon soldat est un bon officier et un bon général, tant qu'il ne se fait point gentilhomme. On ne le savait pas autefois. En un mot comme en cent, vous n'aurez jamais en ce pays une armée à vous. Nous aurons les gendarmes et le procureur du roi.

P. S. M. le Tissier, le dernier de nos députés (j'entends dernier nommé), nous assure, par une circulaire, qu'il a de la vertu plus que nous ne croyons. Il n'acceptera, nous dit-il, ni places, ni titres, ni argent. Beau sacrifice! car sans doute on ne manquera pas de lui tout offrir. Ses talens ora toires, ses rares connaissances, sa grande réputation vont lui donner une influence prodigieuse sur l'assemblée des députés de la nation. Les ministres tenteront tout pour s'acquérir un homme comme M. le Tissier; mais leurs avances seront perdues; ils n'acceptera rien, dit-il, quand on voudrait le faire gentilhomme et le mettre à la garde-robe.

On va ici couper le cou à un pauvre diable pour tentative d'homicide. Il se plaint, et dit à ses juges; Supposons qu'en effet j'aie voulu tuer un homme. Vous connaissez des gens qui ont tenté de faire tuer la moitié de la France par les puissances étrangères. Ils voulaient de l'argent, et moi aussi. Le cas est tout pareil. Vous n'avez contre moi que des preuves douteuses; vous avez leurs notes secrètes signées d'eux; vous me coupez le cou, et vous leur faites la révérence.

Je lis avec grand plaisir les Mémoires de Montluc. C'est un homme admirable, il raconte des choses! par exemple, celle-ci : Un jour, il avait pris quinze cents huguenots, et ne sachant qu'en faire, il écrit à la cour. Le roi lui mande de les bien traiter. La reine lui fait dire de les tuer. Le roi, qui alors négociait avec leur parti, se flattait d'un accommodement. Mais la reine-mère ne voulait point d'accom

modement. Voilà le bon maréchal en peine entre deux ordres si contraires. Enfin il se décide. Je crus, dit-il, ne pouvoir faillir en obéissant à la reine. Je tuai mes huguenots, et fis bien; car le traité manqua, la guerre continua et la reine me sut gré de tout. Ce livre est plein de traits pareils. Mais, pour en entendre le fin, il faut savoir l'histoire du temps. Il y avait en France alors deux gouvernemens.

Est-il donc vrai que les notes secrètes ne savent plus où s'adresser, et que tout se brouille là-bas. Leurs excellences européennes veulent, dit-on, se couper la gorge; l'Anglais défie l'Allemand. Celui-ci, plus rusé, lui joue d'un tour de diplomate, gagne le postillon de milord, qui verse sa Grace dans un trou, pensant bien lui rompre le cou. Mais l'Anglais roule jusqu'au fond sans s'éveiller, et cuve son vin; puis, sorti de là, demande raison. Voilà les contes qu'on nous fait, et nous écoutons tout cela. Que vous êtes heureux à Paris de savoir ce qui se passe, et de voir les choses de près, surtout la garde-robe et Rapp dans ses fonctions! C'est là ce que je vous envie.

A MESSIEURS

DU CONSEIL DE PRÉFECTURE

A TOURS.

(1820.)

MESSIEURS,

Je paie dans ce département 1,314 francs d'impôts, et ne puis obtenir d'être inscrit sur la liste des électeurs. A la préfecture, on me dit que mon domicile est à Paris, que je ne dois pas voter ici, et l'on me renvoie à l'art. 104 du Code civil, ainsi conçu : « Le domicile est au lieu du principal établissement. Le changement de domicile s'opérera par le fait d'une habitation réelle dans un autre lieu, joint à l'intention d'y fixer son principal établis

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

« sement.

"

"

[ocr errors]

La preuve de l'intention résultera d'une déclaration expresse faite, tant à la municipalité du lieu que l'on quittera qu'à celle du lieu où l'on aura transféré son domicile. »

Cette déclaration, je ne l'ai faite nulle part, ni à Paris, ni ailleurs; mon principal établissement est la maison de mon père, à Luynes; là est le champ que je cultive, et dont je vis avec ma famille; là, mon toit paternel, la cendre de mes pères, l'héritage qu'ils m'ont transmis et que je n'ai quitté que quand il a fallu le défendre à la frontière. N'ayant rempli, en aucun lieu, aucune des formalités qui constituent, suivant la loi, le changement de domicile, je suis à cet égard comme si jamais je n'eusse bougé de ma maison de Luynes. C'est l'opinion des gens de loi que j'ai consultés là-dessus, et j'en ai consulté plusieurs qui, de contraire avis en tout le reste (car ils suivent différens partis dans nos malheureuses dissensions), sur ce point seul n'ont qu'une voix. En résumé voici ce qu'ils disent:

Mon domicile de droit est, selon le Code, à Luynes. Mon domicile de fait à Véretz, où j'ai, depuis deux ans, maison, femme et enfans. Ces deux communes étant dans le même arrondissement du département d'Indre-et-Loire, mon domicile est, de toute façon, dans ce département, où je dois voter comme électeur. Si je nommais les jurisconsultes de qui je tiens cette décision, vous seriez étonnés, messieurs, vous admireriez, j'en suis sûr, qu'entre des hommes de sentimens si opposés, surtout en matière d'élections, il ait pu se trouver un point sur lequel tous fussent d'accord, et c'est ce qui donne d'autant plus de poids à leur avis.

Mais que dire après cela d'une note qu'on me produit comme pièce convaincante, et d'une auto

« PreviousContinue »