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" monumens de Rome ne sont guère mieux traités que le peuple.................. Je pleure encore un joli Hermès enfant,

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que j'avais vu dans son entier, vêtu et encapuchonné

d'une peau de lion, et portant sur son épaule une petite « massue. C'était, comme vous voyez, un Cupidon déro« bant les armes d'Hercule; morceau d'un travail exquis, « et grec, si je ne me trompe. Il n'en reste que la base, « sur laquelle j'ai écrit avec un crayon: Lugete, Veneres, Cupidinesque, et les morceaux dispersés qui feraient mourir de douleur Mengs et Winckelmann, s'ils avaient « eu le malheur de vivre assez long-temps pour voir ce « spectacle. Tout ce qui était aux Chartreux, à la Villa « Albani, chez les Farnèse, les Honesti, au muséum « Clémenti, au Capitole, est emporté, pillé, perdu ou « vendu. Des soldats, qui sont entrés dans la bibliothèque « du Vatican, ont détruit entre autres raretés, le fameux Térence du Bembo, manuscrit des plus estimés, pour << avoir quelques dorures dont il était orné. Vénus de la « Villa Borghèse a été blessée à la main par quelque des«cendant de Diomède, et l'Hermaphrodite, immane nefas! a un pied brisé........

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Qu'on juge de l'effet qu'eussent produit à Paris, en 1798, dans certains cercles où l'on se croyait la mission de rallumer parmi nous le flambeau demi-éteint de l'intelligence, beaucoup de passages de ce genre, expression si vive, si touchante et si gracieuse encore de ce qu'éprouvait dans un coin de l'Italie, confondu parmi les dévastateurs de cette infortunée patrie des arts, un jeune officier, amateur exquis de l'antiquité, savant inécrivain déjà parfait. Car ces premières lettres d'Italie ont toute la verve, toute l'originalité qu'on

connu

TOME I.

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trouve dans les plus célèbres écrits de l'âge mûr de Courier. Elles sont avec cela d'un goût irréprochable : nulle affectation, nulle manière ne s'y fait sentir, chacune d'elles est un petit chef-d'œuvre d'élégance et de pureté de langage, de convenance de ton, d'éloquence même, toutes les fois que la matière le comporte, comme lorsqu'elles peignent l'avilissement du caractère italien, et sondent si énergiquement, dix ans avant que personne y pensât, la plaie de notre révolution, l'esprit d'envahissement et de destruction plus noblement appelé l'esprit militaire. Et cependant celui qui, dans sa droiture naturelle, jugeait si bien d'illustres pillages, sur lesquels la France n'a ouvert les yeux que lorsque, vaincue, on la paya de représailles, l'homme qui, seul peut-être dans nos armées, écrivait et pensait ainsi, était exposé chaque jour de sa vie à périr obscurément sous le poignard italien, victime privée de la haine qu'inspiraient les Français. Il y songeait à peine, disant gaiement que pour voir l'Italie il fallait bien se faire conquérant, qu'on n'y pouvait avancer un pas sans une armée, et que, puisqu'à la faveur de son harnais, il avait à souhait un pays admirable, l'antique, la nature, les ruines de Rome, les tombeaux de la grande Grèce, c'était le moins qu'il ne sût pas toujours où il serait ni s'il serait le lendemain. On ne saurait conter après lui les périlleuses rencontres auxquelles ses excursions d'antiquaire, bien plus que son service d'officier d'artillerie, l'exposèrent tant de fois parmi les montagnards du midi de l'Italie. Portant un sabre et des pistolets comme on porte un chapeau et une chemise, il était toujours à la découverte en curieux, point en héros. Facile à prendre et à désarmer, il se tirait

d'affaire par sa présence d'esprit, son grand usage de la langue italienne, ou par le sacrifice d'une partie de son bagage; et le lendemain il allait affronter les brigands sans plus de précaution, sans plus de crainte, surtout sans désir de vengeance. Ces malheureux Calabrais lui paraissaient tout-à-fait dans leur droit quand ils nous assassinaient en embuscade, et il ne pouvait sans horreur les voir massacrer au nom du droit des gens par nos professeurs de tactique.

Ce débonnaire et nonchalant mépris du danger était chose plus rare aux armées que la bouillante valeur qui emportait des redoutes. C'était une bravoure à part, Courier la portait dans l'esprit, non dans le sang, et comme elle n'allait point sans quelque mélange d'insubordination, elle ne devait guère plus sûrement le mener au bâton de maréchal que le Pamphlet des Pamphlets à l'Académie. Aussi n'avançait-il qu'en science, et n'était-il récompensé que par la science des dangers qu'il était venu chercher. Il aimait à raconter qu'un jour les douze ou quinze volumes qu'il portait toujours avec lui, ayant été enlevés par les hussards de Wurmser, l'officier-commandant le détachement les lui avait renvoyés avec une lettre fort aimable. Cette politesse extrêmement remarquable de la part d'un ennemi dans une guerre qui se faisait sans courtoisie, souvent même saus humanité, lui paraissait une exception très flatteuse et faite uniquement pour lui, car nul autre n'eût été capable de la mériter par la perte d'un pareil bagage. Moins heureux dans sa prédilection de savant pour le séjour de Rome, Courier faillit y être mis en pièces lorsque les Français furent obligés de l'abandonner. Il faisait partie de la division que

Macdonald, en marchant vers la Trébia, avait laissée dans Rome. Cette division capitula, et dut être embarquée et transportée en France. Courier voulut dire un dernier adieu à la bibliothèque du Vatican, il y oublia l'heure marquée pour le départ de la division, et lorsqu'il en sortit il n'y avait déjà plus un seul Français dans Rome. C'était le soir; on le reconnut à la clarté d'une lampe allumée devant une madone. On cria sur lui au giaccobino; un coup de fusil tiré sur lui tua une femme et, à la faveur du tumulte que cela causa, il parvint à gagner le palais d'un noble romain qui l'aimait et qui l'aida à fuir. Voilà comme il quitta Rome et l'Italie pour la première fois.

A cette époque, certains départemens de la France ne valaient guère mieux que l'Italie pour les militaires républicains. Courier, débarqué à Marseille et se rendant à Paris, fut encore traité comme giaccobino par les honnêtes gens qui pillaient les voitures publiques sur les grandes routes, au nom de la religion et de la légitimité. Il perdit argent, papiers, effets, et arriva à Paris ainsi dépouillé, de plus atteint d'un crachement de sang qui l'a tourmenté toute sa vie. Bientôt éclata la révolution qui mit aux mains de Bonaparte la dietature militaire. Courier ne s'était point mêlé jusque-là de politique d'une manière active. Il ne s'était point déclaré avec les militaires contre les avocats, ni avec ceux-ci contre les traîneurs de sabres. Il resta donc sous le consulat ce qu'il avait été sous le directoire, bornant son ambition à rechercher la société du petit nombre de savans que la révolution avait laissés s'occupant obscurément d'antiquités et de philologie. Riche d'observations, le goût formé,

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apprécié déjà des érudits qu'il avait rencontrés en Italie, il fut accueilli, encouragé. Il eut pour amis Akerblad, Millin, Clavier, Sainte-Croix, Boissonnade, qui certes ne devinèrent point son avenir, mais qui donnèrent à ses essais l'attention qu'ils méritaient. Ce ne fut guère que pour obtenir les suffrages d'un petit cercle d'amis et de connaisseurs qu'il composa, de 1800 à 1802, divers Opuscules, long-temps ignorés d'ailleurs : l'Éloge d'Hélène, ouvrage nouveau, comme il le dit quelque part, donné sous un titre ancien et comme une simple traduction d'Isocrate, le Voyage de Ménélas à Troye pour redemander Hélène, composition d'un autre genre, dans łaquelle il semblait s'être proposé d'effacer l'auteur de Télémaque, comme imitateur de la narration antique ; enfin un article sur l'édition de l'Athénée de Schweighauser, le morceau de critique le plus habilement déduit, et certainement le plus élégamment écrit qui ait paru dans le magasin encyclopédique de Millin. Sans les Pamphlets, qui ont fait la célébrité de Courier, on saurait à peine aujourd'hui l'existence de ces opuscules. On est étonné aujourd'hui de ne les trouver guère inférieurs aux publications qui ont suivi. C'est que le grand art de style qu'on ne se lasse point d'admirer dans Courier, n'a pas été moins en tui un don naturel que le produit des études de toute sa vie.

Le consulat approchait de sa fin, et avec lui la paix conquise sur les champs de bataille de Marengo et de Hohenlinden. Courier fut désigné pour aller commander comme chef d'escadron l'artillerie d'un des corps qui occupaient l'Italie, redevenue française. Les travaux qu'il avait entrepris, les relations qu'il s'était faites pendant

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