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Voilà Perceval en bon chemin. Secrétaire de la guerre! cela s'appelle tirer son épingle du jeu. C'est un babile garçon; il n'en demeurera pas là: tant vaut l'homme, tant vaut la députation. Les sols n'attrapent rien; quelques-uns y mettent du leur. Il n'ose, dit-on, revenir ici de peur de la sérénade. Quelle faiblesse ! je me moquerais et de la sérénade et de mes commettans. Bellart n'en est pas mort à Brest. Un autre de nos députés, M. Gouin Moisan, est ici un peu fâché, à ce qu'on dit, de n'avoir pu encore rien tirer des ministres, ni pour lui, ni pour sa famille. Ce M. Gouin Moisan est un honnête marchand que la noblesse méprise, et qui vote avec elle, sans qu'elle le méprise moins, comme vous pensez bien. Pour les services par lui rendus au parti gentilhomme, il voudrait qu'on le fît noble ; il se contenterait du titre de baron. La noblesse française n'a point de baron Gouin, et s'en passe volontiers; mais Gouin ne se passe pas de noblesse. Depuis trois ans entiers, il se lève, il s'assied avcc le côté droit, dans l'espérance d'un parchemin. Quand on peut à ce prix rendre les gens heureux, il faut avoir le cœur bien ministériel pour les laisser languir. Le service des nobles est dur et profite peu; on leur sacrifie tout; on renie ses amis, ses œuvres ses paroles; on abjure le vrai; toujours dire et se dédire, parler contre son sens ; combattre l'évidence et mentir sans tromper ; je ne m'étonne pas que de Serre en soit malade. Renoncer à toute espèce de bonne foi, d'approbation de soi-même et d'autrui ; affronter le haro, l'indignation publique! pour qui? pour des

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ingrats qui vous paient d'un cordon et disent: Le sieur Lainé, le nommé de Villèle, un certain Donnadieu. Eh! bonjour, mon ami, votre père fait-il toujours de bons souliers? Cà, vous dînerez chez moi, quand je n'aurai personne. Voilà la récompense. Va, pour telles gens, va trahir ton mandat, et livre à l'étranger ta patrie et tes dieux. Ainsi parle un vilain dégoûté de bien penser; mais la moindre faveur d'un coup-d'œil caressant le rengage comme Sosie, et fait taire la conscience, la patrie et le mandat.

Nous en allons faire de nouveaux, je dis des dé.. putés, Dieu sait quels, blancs ou noirs, mais bonnes gens, à coup sûr. En attendant ce jour, on rit de la querelle de Paul et du préfet; c'est affaire d'élections. Paul veut être électeur; le préfet ne veut pas qu'il le soit, et lui fait la plus plaisante chicane....... Paul n'a pas de domicile, dit le préfet, attendu qu'il a été soldat; il a femme et enfant dans ce département, cultive son héritage, habite la maison de son père et de son grand-père, paie treize cents francs d'impôts: tout cela n'y fait rien. Il a été soldat pendant seize ans, rebelle aux puissances étrangères, aux cabinets de l'Europe; il a quitté le pays. Que ne restaît-il chez lui? ou s'il eût émigré.... C'est un mauvais sujet, un vagabond, indigne d'être même électeur. Cette bouffonnerie réjouit toute la ville, et le département, et le bonhomme Paul, qui, labourant son champ, se moque des cabinets, Adieu, portez-vous bien; que tout ceci soit entre nous.

(1) Voir la requête au conseil de préfecture, qui suit.

IIme LETTRE PARTICULIÈRE.

Tours, 28 novembre 1820.

Vous êtes babillard, et vous montrez mes lettres, ou bien vous les perdez ; elles vont de main en main. et tombent dans les journaux. Le mal serait petit si je ne vous mandais que les nouvelles du PontNeuf; mais de cette façon tout le monde sait nos affaires. Et croyez-vous, je vous prie, moi qui ai toujours fui la mauvaise compagnie, que je prenne plaisir à me voir dans la Gazette?

Notre vigne n'est point si chétive qu'on le voudrait bien faire croire. Les vieilles souches, à vrai dire, sont pourries jusqu'au cœur, et le fruit n'en vaut guère; mais un jeune plant s'élève, qui va prendre le dessus et couvrir tout bientôt. Laissez-le croître avec cette vigueur, cette sève, seulement cinq ɔu six ans encore, et vous m'en direz des nouvelles.

Si vous me promettiez de tenir votre langue, je vous conterais.. mais non ; car vous iriez tout dire et je suis averti; je vous conterais nos élections, comment tout cela s'est passé, la messe du SaintEsprit, le noble pair et son urne, le club des gen

tilshommes, l'embarras du préfet, et d'autres choses non moins utiles à savoir qu'agréables; mais quoi ? vous ne pouvez rien taire; un peu de discrétion est bien rare aujourd'hui. Les gens crèveraient plutôt que de ne point jaser, et vous tout le premier. Vous ne saurez rien cette fois; pas un mot, nulle nouvelle; pour vous punir, je veux ne vous rien dire, si je puis.

Oui, par ma foi, c'était une chose curieuse à voir. Figurez-vous, sur une estrade, un homme tout brillant de crachats, devant lui une table, et sur la table une urne. Si vous me demandez ce que c'est que cette urne; cela m'avait tout l'air d'une boîte de sapin. L'homme, c'était le président, comte Villemanzy, noble pair, dont le père n'était ni pair ni noble, mais procureur fiscal, ou quelque chose d'approchant. Je note ceci pour vous qui aimez la nouvelle noblesse. Jadis Larochefoucault était de votre avis, il la voulait toute neuve; neuve elle se vendait alors; elle valait mieux. La vieille ne se vendait pas. Pour moi ce m'est tout un, l'ancienne, la nouvelle, la Tremouille ou Godin, Rohan ou Ravigot, j'en donne le choix pour une épingle.

Il tira de sa poche une longue écriture (c'est le président que je dis), et lut: Le roi tout seul pouvait faire les lois; il en avait le droit et la pleine puissance ; mais, par un rare exemple de bonté paternelle, il veut bien prendre notre avis. Je n'entendis pas le reste; on cria vive le roi, les princes, les princesses et le duc de Bordeaux. Puis le président se lève. Nous étions au parterre quelque deux cent cinquante, choisis par

le préfet pour en choisir d'autres qui doivent lui demander des comptes. Le président debout nous donna des billets sur lesquels chacun de nous devait écrire deux noms; mais il fallait jurer d'abord. Nous jurâmes tous. Nous levâmes la main de la meilleure grace du monde et en gens exercés; puis, nos billets remplis, le président les reprenait avec le doigt index et le pouce seulement, ses manchettes retroussées, les remettait dans la boîte d'où nous vimes sortir un ultra-royaliste et un ministériel.

Sans être son compère, j'avais parié pour cela et deviné d'abord ce qui devait sortir de la boite ou de l'urne, par un raisonnement tout simple, et le voici : Nous étions trois sortes de gens appelés là par le préfet; gens de droite, aisés à compter; gens de gauche, aussi peu nombreux, et gens du milieu à foison, qui, se tournant d'un côté, font le gain de la partie, et se tournent toujours du côté où l'on mange. Or, en arrivant, je sus que tous ceux de la droite dînaient chez le préfet, ou chez l'homme aux crachats avec ceux du milieu, et que ceux de la gauche ne dinaient nulle part. J'en conclus aussitôt que leur affaire était faite; qu'ils perdraient la partie, et paieraient le diner dont ils ne mangeaient pas ; je ne me suis point trompé.

de

J'étais là le plus petit des grands propriétaires, ne sachant où me placer parmi tant d'honnêtes gens qui payaient plus que moi, quand je trouvai, vinez qui? Cadet Roussel, vieille connaissance, à qui je dis, en l'abordant : Qu'as - tu Cadet? puis je

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