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taires, car on les retiendra; point de détachemens, car on les détruira; point de commissaires, car...... Apportez de quoi vivre; amenez des moutons, des vaches, des cochons, et puis n'oubliez pas de les bien escorter ainsi que vos fourgons. Pain, viande, fourrage et le reste, ayez provision de tout; car vous ne trouverez rien où vous passerez, si vous passez, et vous coucherez à l'air, quand vous vous coucherez; car nos maisons, si nous ne pouvons vous en écarter, nous savons qu'il vaut mieux les rebâtir que les racheter; cela est plus tôt fait, coûte moins. Ne vous rebutez pas d'ailleurs, si vous trouviez, dans cette façon de guerroyer, quelques inconvéniens. Il y a peu de plaisir à conquérir des gens qui ne veulent pas être conquis, et nous en savons des nouvelles. Rien ne dégoûte de ce métier comme d'avoir affaire aux classes inférieures. Mais ne perdez point courage; car si vous reculiez, s'il vous fallait retourner sans avoir fait la paix ni stipulé d'indemnités, alors, peu d'entre vous iraient conter à leurs enfans ce que c'est que la France en tirailleurs, n'ayant ni héros ni péquins.

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Apprenez, dit le prophète, apprenez grands de la terre; c'est-à-dire Messieurs du congrès, renoncez aux vieilles sottises. Instruisez-vous, arbitres du monde; c'est-à-dire, Excellences, regardez ce qui se passe, et faites-vous sages, s'il se peut. L'Espagne se moque de vous, et la France ne vous craint pas. Vos amis ont beau dire et faire, nous ne sommes pas disposés à nous gouverner par vos ordres; et ni eux, avec leurs sept hommes, ni vous avec vos sept

cent mille, ne nous faites la moindre peur ; partant, je ne vois nulle raison de changer notre allure pour vous plaire, et je conclus à rejeter toute loi venant d'eux ou de vous.

Voilà ce que j'aurais dit après le général Foy, si j'eusse pu, député indigne, lui succéder à la tribune.

LETTRES PARTICULIÈRES.

Ire LETTRE PARTICULIÈRE.

Tours, 18 octobre 1820.

J'ai reçu la vôtre du 12. Nos métayers sont des fripons qui vendent la poule au renard; leurs valets me semblent comme à vous les plus méchans drôles qu'on ait vus depuis bien du temps. Ils ont mis le feu aux granges, et maintenant, pour l'éteindre, ils appellent les voleurs. Que faire? sonner le tocsin? les secours sont à craindre presque autant que le feu. Croyez-moi; sans esclandre, à nɔus seuls, étouffons la flamme, s'il se peut. Après cela nous verrons; nous ferons un autre bail avec d'autres fripons; mais il faudra compter, il faudra faire une part à cette valetaille, puisqu'on ne peut s'en passer, et surtout point de pot de vin.

Voilà mon sentiment sur ce que vous nous mandez. En revanche, apprenez les nouvelles du pays. A Saumur il y a eu bataille, coups de fusil, mort d'homme; le tout à cause de Benjamin Constant. Cela se conte de deux façons.

Les uns disent que Benjamin, arrivant à Saumur

dans sa chaise de poste, avec madame sa femme, insulta sur la place toute la garnison qu'il trouva sous les armes, et particulièrement l'école d'équitation. Cela ne me surprend point; il a l'air ferrailleur, surtout en bonnet de nuit; car c'était le matin. Douze officiers se détachent, tous gentilshommes de nom, marchent à Benjamin, voulant se battre avec lui ; l'arrêtent, et d'abord, en gens déterminés, mettent l'épée à la main. L'autre mit ses lunettes pour voir ce que c'était. Ils lui demandaient raison. Je vois bien, leur dit-il, que c'est ce qui vous manque. Vous en avez besoin; mais je n'y puis que faire. Je vous recommanderai au bon docteur Pinel qui est de mes amis. Sur ces entrefaites arrive l'autorité, en grand costume, en écharpe, en habit brodé, qui intime l'ordre à Benjamin de vider le pays, de quitter sans délai une ville où sa présence mettait le trouble. Mais lui c'est moi, dit-il, qu'on trouble. Je ne trouble personne, et je m'en irai, messieurs, quand bon me semblera. Tandis qu'il contestait, refusant également de partir et de se battre, la garde nationale s'arme, vient sur le lieu, sans en être requise et proprio motu. On s'aborde, on se choque, on fait feu de part et d'autre. L'affaire a été chaude. Les gentilshommes seuls en ont eu l'honneur. Les officiers de fortune et les bas officiers ont refusé de donner, ayant peu d'envie, disaient-ils, de combattre avec la noblesse, et peu de chose à espérer d'elle. Voilà un des récits.

Mais notez en passant que les bas officiers n'aiment point la noblesse. C'est une étrange chose; car

enfin la noblesse ne leur dispute rien; pas un gentilhomme ne prétend être caporal ou sergent. La noblesse, au contraire, veut assurer ces places à ceux qui les occupent, fait tout ce qu'elle peut pour que les bas officiers ne cessent jamais de l'ètre et meurent bas officiers, comme jadis au bon temps. Eh bien ! avec tout cela, ils ne sont pas contens. Bref, les bas officiers, ou ceux qui l'ont été, qu'on appelle à présent officiers de fortune, s'accommodent mal avec les officiers de naissance, et ce n'est pas d'aujourd'hui.

De fait il m'en souvient; ce furent les bas officiers qui firent la révolution autrefois. Voilà pourquoi peut-être ils n'aiment point du tout ceux qui la veulent défaire, et ceci rend vraisemblable le dialogue suivant, qu'on donne pour authentique, entre un noble lieutenant de la garnison de Saumur et son sergent-major.

Prends ton briquet, Francisque, et allons assommer ce Benjamin Constant. - Allons, mon lieutenant. Mais qui est ce Benjamin? — C'est un coquin, un homme de la révolution. Allons, mon lieutenant, courons vite l'assommer. C'est donc un de ces gens qui disent que tout allait mal du temps de mon grand-père ? — Oui. · Oh le mauvais homme! et je gage qu'il dit que tout va mieux maintenant? Qui.-Oh le scélérat! Dites-moi, mon lieutenant; on va donc rétablir tout ce qui était jadis?— Assurément, mon cher. - Et ce Benjamin ne veut pas ?— Non, le coquin ne veut pas.—Et il veut qu'on maintienne ce qui est à présent? - Justement. - Quel

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