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dans les abbayes et les vieux châteaux des deux rives du Rhin. Les lettres qu'il écrivait alors à sa mèrè sont enveloppées, confuses, soigneusement silencieuses sur les af faires; un sentiment triste et peu confiant dans l'avenir y domine. Mais à la manière dont le jeune officier d'artillerie parle de ses études et de ses livres, on voit déjà sa carrière et ses systèmes d'écrivain tout-à-fait tracés: J'aime, dit-il, à relire les livres que j'ai déjà lus nom«bre de fois, et par là j'acquiers une érudition moins étendue, mais plus solide. Je n'aurai jamais une grande «< connaissance de l'histoire, qui exige bien plus de lectures; mais j'y gagnerai autre chose qui vaut mieux selon << moi. » C'est ainsi que Courier a étudié toute sa vie; tel a été aussi presque invariablement son peu de goût pour l'histoire. Il ne l'a jamais lue pour le fond des événemens, mais pour les ornemens dont les grands écrivains de l'antiquité l'ont parée. Bonaparte, tout jeune, avait deviné la politique et la guerre dans Plutarque. Conrier, lieutenant d'artillerie, faisait ses délices du même historien; mais il le prenait comme artiste, comme ingénieux conteur. La vie d'Annibal ne le ravissait que comme Peau-d'Ane conté eût ravi La Fontaine. It a toujours persisté. dans cette préférence qui semble d'un esprit peu étendu et, cependant, en s'abandonnant à elle, il a su de l'histoire tout ce qu'il lui en fallait pour être un écrivain politique de premier ordre. Il a beaucoup cité, beaucoup pris en témoignage l'histoire de tous les temps, et toujours avec un sens qui n'appartenait qu'à lui, avec une raison, une force, une sûreté de coup toujours terrassantes pour l'abus vivant qu'il voulait accabler.

En 1795 on voit Courier, toujours officier subalterne

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dans l'artillerie, quitter subitement l'armée devant Mayence et rentrer en France sans autorisation du gouVernement. La misère, les privations, les travaux sans compensation de gloire et de succès à ce blocus de Mayence étaient bien faits pour rebuter un aussi tiède champion de la révolution que l'était Courier. A propos de cette campagne il a depuis écrit : « J'y pensai geler, et « jamais je ne fus si près d'une cristallisation complète. Mais il paraît qu'il eut pour abandonner son parti un motif sinon plus naturel, au moins plus honorable. Son père venait de mourir, et la nécessité toute filiale de voler auprès de sa mère malade et désespérée, lui avait fait oublier le devoir qui l'attachait à ses canons. A la suite de cette escapade il alla s'enfermer dans une petite campagne aux environs d'Alby, où il se mit à traduire avec une admirable sécurité la harangue Pro Ligario, tandis qu'on le réclamait de l'armée comme déserteur, et que peutêtre il courait grand risque d'être traité comme tel. Des amis plus prudens que lui s'employaient pendant ce temps pour le mettre à couvert des poursuites qu'il avait encourues. Ils y réussirent, mais la note resta, et probablement elle a beaucoup aidé Courier dans la suite de sa carrière à se maintenir dans son philosophique éloignement des hauts grades. Vinrent les belles années de 1796 et 1797 qui assurèrent le triomphe de la révolution. Pendant que, sous Bonaparte, en Italie, la victoire faisait sortir des rangs une multitude d'hommes nouveaux dont les noms ne cessaient plus d'occuper la renommée, Conrier comptait des boulets et inspectait des affûts dans l'intérieur, service qui pouvait passer pour une disgrace dans de telles circonstances. Mais Courier s'arrangeait de

tout. Il avait alors vingt-trois ans. Ses premières années au sortir de l'école de Châlons avaient été attristées par le sombre régime imposé aux armées sous la Convention. Entrer dans le monde au temps de la terreur avec l'amour de l'indépendance et des libres jouissances de l'esprit, c'était avoir bien mal rencontré; aussi Courier donna-t-il vivement dans la réaction des mœurs nationales que la première période du Directoire vit éclater contre les vertus décrétées par la Convention, réaction plus emportée dans le midi que partout ailleurs. On se ruait en fêtes, en danses, en festins, en plaisirs de toutes sortes. Hommes et femmes éprouvaient à se retrouver ensemble comme amis, comme parens, comme gens du même cercle, non plus comme citoyens et citoyennes, un plaisir qui n'était pas lui-même sans inconvénient pour la paix intérieure des familles. Notre philosophe apprit à danser avec la plus sérieuse application, et courut les bals, les spectacles, les sociétés. Sa gaieté, sa verve comique, qui n'étaient pas encore tournées à la satire, à l'humorisme, le firent rechercher des femmes, qu'il idolâtrait. Il plut et plut si bien, qu'un beau matin il lui fallut quitter Toulouse pour échapper comme son père au ressentiment d'une famille outragée. Sa société en hommes était très-nombreuse; il affectionnait surtout un Polonais, fort savant et grand amateur d'antiquités. Il passait des journées entières en tête-à-tête avec lui, soit dans une chambre, soit en suivant les allées qui bordent le canal du Midi. Ce qu'étaient ces conversations on peut s'en faire une idée en lisant les lettres, malheureusement peu nombreuses, adressées d'Italie par Courier à M. Chlewaski (1).

(1) OEuvres complètes. Sautelet et compagnie.

En passant à Lyon (en 1798) pour se rendre en Italie, où on l'envoyait prendre le commandement d'une compa. gnie d'artillerie, Courier écrivait à M. Chlewaski: » Lec

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tures, voyages, spectacles, bals, auteurs, femmes, Pa«ris, Lyon, les Alpes, l'Italie, voilà l'Odyssée que je « vous garde. Mes lettres vous pleuvront une page pour une ligne. » Il ne tint parole qu'en partie. En général, plus on voit et moins on écrit, plus les impressions sont vives, accumulées, pressantes, moins on est tenté de les vouloir rendre. Et puis il s'en fallut de beaucoup que cette Italie que Courier avait toujours désirée, lui vint fournir les riantes peintures auxquelles son imagination s'était sans doute préparée. A peine il eut passé les Alpes, que l'état d'oppression, d'avilissement et de misère dans lequel était le pays, affligèrent son ame d'artiste. Il traversa la belle et triste Péninsule, et de Milan jusqu'à Tarente il eut le même spectacle. Il vit le trop sévère régime imposé par Bonaparte à sa conquête, menaçant déjà de tomber en ruines et rendu insupportable par l'avidité, et l'ignorante et brutale morgue des hommes qu'il avait fallu employer à ces gouvernemens improvisés Il vit l'élite de la société italienne rampant bassement sous les agens français, faisant sa cour à nos soldats parvenus, bien qu'en les sachant apprécier ce qu'ils valaient, et toute cette race abàtardie s'épuisant en démonstrations républicaines, méprisée de ses maîtres, et se laissaut dépouiller, mettre à nu par des commis, des valets d'armée, des fournisseurs qui, prévoyant nos prochains revers, se faisaient auprès des généraux un mérite d'emporter tout ce qui ne se pouvait détruire. On ne saurait nier que ce ne fût là l'état de l'Italie après le premier dé

part de Bonaparte, et que les plus honteux désordres, le plus effréné pillage n'y déshonorassent, avec impunité, la domination française. La guerre qui s'était déclarée entre les commissaires du gouvernement et les commandans militaires, avait rendu toute discipline, toute administration régulière impossible, et il n'y avait si bas agent qui ne se crût autorisé à imiter Bonaparte faisant payer en chefs-d'œuvre la rançon des villes d'Italie. Courier ne sera point compté parmi les détracteurs de notre révolution, pour avoir écrit sous l'impression d'un pareil specta cle ces éloquentes protestations auxquelles il n'a manqué, pour émouvoir toute l'Europe éclairée et la soulever contre les déprédateurs de l'Italie, que d'être rendues publiques dans le temps. «< Dites, écrivait-il à son ami Chlewaski, dites à ceux qui veulent voir Rome, qu'ils se hâtent, car chaque jour le fer du soldat et la serre des « agens français flétrissent ses beautés naturelles et la dé

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pouillent de sa parure. Permis à vous, Monsieur, qui êtes « accoutumé au langage naturel et noble de l'antiquité, << de trouver ces expressions trop fleuries, ou même trop fardées; mais je n'en sais point d'assez tristes pour vous peindre l'état de délabrement, de misère et d'opprobre « où est tombée cette pauvre Rome que vous avez vue si « pompeuse, et de laquelle à présent on détruit jusqu'aux ruines. On s'y rendait autrefois, comme vous savez, de « tous les pays du monde. Combien d'étrangers qui n'y <«< étaient venus que pour un hiver, y ont passé toute leur << vie? Maintenant il n'y reste plus que ceux qui n'ont pu fuir, ou qui, le poignard à la main, cherchent encore « dans les haillons d'un peuple mourant de faim quelque

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pièce échappée à tant d'extorsions et de rapines....... Les

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