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hymnes, sont encore des dialogues. Les détails ont | l'école d'Athènes, qui eut particulièrement cet honneur. une précision admirable, mais l'ensemble est plus Or Proclus est à la tête de cette école; cependant, je imposant que lumineux, et on y sent encore je ne sais dois dire pour la vérité, que ce n'est pas Proclus, mais quel souffle poétique qui rappelle la première époque Syrien, qui, chronologiquement, en est le vrai chef. et la manière orientale. Aristote est le premier qui Il est fàcheux que nous n'ayons conservé de Syrien chassa de la philosophie les mythes, les symboles, la qu'un seul ouvrage, car peut-être une partie de la poésie, tous les vestiges de l'Orient, et qui éleva la gloire de Proclus lui reviendrait; peut-être serait-ce science à cette pureté, à cette sévérité, à cette abs- à lui qu'il faudrait rapporter la fondation de la dernière traction dans les formes, que nous autres modernes école philosophique de l'antiquité mais la gloire du nous plaçons et devons placer avant tout; mais je prie disciple a éclipsé et couvert celle du maître; et Proclus, que l'on observe qu'Aristote, ayant enveloppé dans la comme Homère, a été si grand, qu'il a fait oublier même proscription avec les métaphores et les symboles ses devanciers, et concentré, pour ainsi dire, dans sa la partie supérieure du système de Platon, éluda par personne leurs services et leurs mérites. Quelques là la plus grande difficulté, et manqua aussi la vraie savants ont déjà soupçonné que plusieurs des ouvrages gloire de la forme scientifique. En effet, ce sont de Proclus, qui, au reste, ne sont pas venus jusqu'à surtout les idées transcendantes, c'est-à dire les idées nous, n'étaient guère que les cahiers de Syrien. Touqui dépassent les limites de l'expérience, qui, nous jours est-il que l'un ou l'autre est le chef d'une école étant données par intuition et placées au-dessous de nouvelle, sinon pour la doctrine, au moins pour la toute dialectique, semblent par là échapper à la science. forme; car il n'y a pas d'autre différence entre les deux Platon, les voyant, comme elles sont en effet, au-dessus périodes de l'éclectisme. Tout a ses degrés et ses de cette science, dont les objets sont ou des faits ou progrès; il a fallu à l'éclectisme plusieurs siècles pour des raisonnements, en prit un peu de dédain pour les arriver à sa forme la plus pure. L'idée de réunir les formes scientifiques, et Aristote, ne pouvant les y ré-membres épars de la philosophie grecque était si haute duire, les leur sacrifia. Ce que n'ont point fait ces deux et si vaste, qu'Ammonius y suffit à peine, et que ce grands hommes, il ne faut pas l'attendre de leurs suc- grand homme put seulement établir l'éclectisme dans cesseurs. Il ne nous reste rien des premiers stoïciens; l'esprit de quelques disciples, sans pouvoir le consacrer et il n'était pas difficile à Chrysippe de donner dans un lui-même par des monuments. Ammonius n'a rien style sévère des leçons de dialectique. La tâche d'Épi- écrit. Un serment mystérieux obligeait même ses discure était encore plus facile, et l'on ne peut guère ciples à ne rien écrire et à ne point révéler les pensées juger comment il l'a remplie, par les fragments in- du maître; et ce ne fut qu'après l'apostasie et l'indiscomplets de deux ou trois livres de son ouvrage sur la crétion d'Origène, que Plotin, à la fin du second siècle, nature, retrouvés récemment à Herculanum. Nous enseigna le néoplatonisme. Il l'enseigna, dis-je, mais n'avons rien de Pyrrhon; et encore une fois, ce n'est sans le rédiger; on n'a de lui que quelques réponses pas le scepticisme ou les résultats de l'expérience qu'il écrites aux éclaircissements que lui demandaient ses est malaisé d'exprimer avec précision et de plier à une auditeurs, et ce n'est pas lui, mais Porphyre, qui mit méthode rigoureuse; ce sont ces vastes et hautes spé-quelque ordre dans ses papiers, et les publia sous culations pour lesquelles les méthodes ne semblent pas la forme qu'ils ont aujourd'hui. Il ne faut donc y faites, et qui n'en sont pas moins des besoins réels chercher que d'admirables fragments et des idées et nécessaires de la nature humaine, qu'on ne détruit fondamentales. Le sublime des idées, et la tendance pas en les éludant, et qui, chassés par les préjugés d'une science incomplète et par les difficultés qu'ils opposent à l'esprit systématique, reviennent toujours avec la même force, se jouent de nos préjugés et de nos arrangements philosophiques, et renverseront les édifices les plus réguliers de la science humaine, tant qu'elle ne leur aura pas fait une place, et agrandi pour eux son enceinte et ses proportions.

platonicienne, prédominent dans Plotin; l'esprit d'Aristote, c'est-à-dire le génie de la forme, ne s'est point encore assez fortement uni à l'esprit de Platon, c'est-à-dire au génie de l'idée, dans ces premiers résultats des combinaisons alexandrines. Porphyre, venu après Plotin, n'a pas laissé de longs ouvrages; ses écrits sont des morceaux intéressants sur plusieurs points de philosophie, il brille par une sagacité et une La troisième époque, qui prétendit concilier tous pénétration particulière, et par la manière nette et les systèmes grecs en prenant Platon pour base, ren- fine avec laquelle il rend les idées les plus difficiles ; contra inévitablement la difficulté de l'alliance des mais c'est plutôt un talent d'expression que de méthode. idées transcendantes et de la méthode, et ne parvint | Jamblique est un prêtre, un prêtre inspiré ; il semble à la résoudre, avec plus ou moins de succès, qu'après avoir eu pour but plutôt de remettre en honneur les des efforts longtemps répétés; et, selon moi, ce fut vieilles réputations philosophiques, les traditions égypseulement le second âge de cette troisième époque, tiennes et pythagoriciennes, que d'exposer une doc

trinc. Sa parole est grave, sa manière éloquente, sa | de la forme d'Aristote, et qui ait uni la sévérité de la vue est profonde et calme; mais, outre qu'il ne paraît méthode à la grandeur des idées; c'est là pour moi l'idée pas versé dans certaines manières, et qu'il paraît plus que Proclus représente; et c'est depuis Proclus qu'elle érudit que philosophe, il avait des préventions trop commence à caractériser l'école d'Athènes, et les défavorables au péripatétisme pour s'assujettir à la philosophes qui la soutinrent pendant quelque temps, sévérité de sa marche. Syrien est le premier qui ait comme Damascius, et surtout Simplicius, si remarconsacré un ouvrage particulier à Aristote, et encore quable par l'union savante du péripatétisme et du c'est pour réfuter ses objections contre Platon. Cepen- stoïcisme, et par le mérite d'une exposition claire et dant peu à peu l'on sentait le besoin de sortir de ce régulière, qui rappelle la manière de Proclus. Mais les sublime un peu vague, qui accompagne les grandes idées idées morales du stoïcisme, et la doctrine dialectique platoniciennes, mystérieuses par leur nature et obscures et physique d'Aristote, se prêtaient assez facilement à en apparence, parce qu'elles sont intimeset immédiates, la méthode scientifique; la difficulté, mais aussi la et de leur donner une forme qui leur imprimât le carac- gloire, est de soumettre le platonisme à la sévérité de tère de science. Or, il me semble, si je n'ai pas pour la méthode, sans que l'un ou l'autre souffre de cette mon auteur la prédilection ordinaire aux commenta-alliance. Proclus n'en est pas certainement, et n'en teurs, il me semble que Proclus est le premier qui ait pouvait être le parfait modèle; mais enfin, il en est fait une combinaison heureuse des idées de Platon et le moins imparfait parmi les éclectiques alexandrins.

DU FAIT DE CONSCIENCE.

La philosophie est toute faite, car la pensée de ses éléments, et rechercher en elle les caractères et l'homme est là. tous les caractères sous lesquels elle se manifeste aujourd'hui aux regards de la conscience.

Il n'y a point et il ne peut y avoir de philosophie absolument fausse; car l'auteur d'une pareille philosophie aurait dû se placer hors de sa propre pensée, c'est-à-dire hors de l'humanité. Cette puissance n'a été donnée à aucun homme.

Quel peut donc être le tort de la philosophie? C'est de ne considérer qu'un côté de la pensée, et de la voir tout entière dans ce seul côté. Il n'y a pas de systèmes faux, mais beaucoup de systèmes incomplets, vrais en eux-mêmes, mais vicieux dans leur prétention de contenir en chacun d'eux l'absolue vérité qui ne se trouve que dans tous.

L'incomplet et, par conséquent, l'exclusif: voilà le vice unique de la philosophie, et encore il vaudrait mieux dire des philosophes; car la philosophie domine tous les systèmes. Amie de la réalité, elle en compose le tableau total des traits qu'elle emprunte à chaque système. Chaque système réfléchit en effet la réalité; mais, par malheur, il la réfléchit sous un seul angle.

Or, quand je descends dans la conscience et que j'y contemple paisiblement la vie intellectuelle, je suis frappé irrésistiblement de l'immédiate aperception de trois éléments, de trois éléments, dis-je, ni plus ni moins, qui s'y rencontrent tous et toujours, simultanés quoique distincts, constituant la pensée dans leur complexité nécessaire, et la détruisant par le défaut de l'un des trois. Dégageons ces trois éléments par l'analyse.

Ce que je sais le mieux, c'est-à-dire le plus immédiatement, c'est moi-même. Dans tout fait intellectuel, dans toute pensée, dans toute connaissance, je m'aperçois moi-même comme le sujet de ce fait, comme le sujet de la pensée ou de la connaissance, comme l'élément constitutif et fondamental de la conscience; car sans moi, tout est pour moi comme s'il n'était pas; sans le moi, le moi ne connaît rien, ne sent rien, ne se rappelle rien, n'abstrait rien, ne combine rien, ne raisonne sur rien. Il peut bien y Pour posséder la réalité tout entière, il faudrait avoir la matière d'une pensée, d'une sensation, d'un rester au centre. Pour établir la vie intellectuelle mu-jugement, d'un souvenir, d'un raisonnement; mais tilée par chaque système, il faudrait rentrer dans la le moi n'en sait rien et n'en peut rien savoir, s'il n'est conscience, et là, sans esprit systématique et exclu- pas. Le mot est donc l'élément nécessaire de toute sif, analyser la pensée dans ses éléments et dans tous | pensée.

Dira-t-on que le moi c'est la pensée même, c'est- est un acte libre qui produit des actes libres. Au sein à-dire la sensation, le jugement, etc., réunis dans une unité collective qu'on appelle Moi ? Mais je sens et je sais, certissimâ scientiâ et clamante conscientiâ, que le moi n'est pas seulement un lien logique et verbal, inventé pour exprimer l'union de mes pensées, mais quelque chose de réel qui les unit et en forme une chaine continue, en tant qu'il est dans chacune d'elles. Je sens et je sais fort bien encore que le moi n'est pas plus une circonstance, un degré d'une pensée particulière, qu'il n'est le lien verbal de plusieurs pensées. Je sais qu'il n'est pas vrai que la sensation ou le souvenir, ou le désir, dans un certain degré de vivacité, deviennent moi, mais que c'est moi qui constitue la sensation ou le désir en m'ajoutant à un certain mouvement, à de certaines affections sensibles qui ne s'intellectualisent en quelque sorte, et ne deviennent pour moi sensation ou désir qu'autant que j'en prends connaissance.

de l'activité spontanée du moi, et de cette autre activité dont nous n'avons point parlé encore, qui ne vient pas du Mor, qui fait effort au contraire pour agir sur lui et l'envelopper dans son action fatale; la réflexion, au milieu de ce monde de forces qui la combattent et qui l'entraînent, s'arrête, et, selon une expression célèbre, se pose elle-même. La réflexion ou le moi libre, est un point d'arrêt dans l'infini. Fichte l'appelle un choc contre l'activité infinie. Le MOI, dit ce grand homme, se pose lui-même dans une détermination libre; ce point de vue est celui de la réflexion; le moi se pose parce qu'il le veut, et c'est vraiment à lui-même, à sa détermination libre, qu'il doit son existence propre. La détermination qui accompagne et caractérise la réflexion, est une détermination précédée ou mêlée d'une négation. Pour que je pose le moi, comme dit Fichte, il faut que je le distingue explicitement du NON-Mor; or, toute disLe Moi se manifeste en deux circonstances remar- tinction implique une limitation, une négation. Mais quables. Pour qu'il soit à ses propres yeux il faut qu'il est-il vrai que nous débutions par une négation? et agisse; son action est la condition nécessaire de son n'y a-t-il rien avant la réflexion et le fait à la descripaperception; mais cette action s'accomplit d'abord tion duquel Fichte a pour jamais attaché son nom? sans que le moi prévoie son résultat et y consente; Toutes nos recherches sur nous-mêmes sont réfléou elle s'accomplit parce que le moi y consent, et qu'il en connait les conséquences. L'action spontanée et l'action réfléchie ou volontaire sont les deux actions intérieures que me découvre la conscience; on ne peut négliger l'une ou l'autre de ces actions, sans mutiler une des deux parties de cette force intérieure qui est le moi. Le Moi est l'apparition de l'esprit à lui-même, par son activité redoublée en elle-même et retournant à elle-même, c'est-à-dire dans la conscience. La conscience n'est pas une faculté qui aperçoit d'un côté ce qui se passe de l'autre ; il n'y a pas une scène isolée où se passent les événements de la vie intellectuelle, et vis-à-vis, quelqu'un dans le parterre qui les contemple; ici, pour ainsi dire, le parterre est sur la scène; la conscience de la vie est la vie même, car il n'y a vraiment de vie qu'autant qu'elle se manifeste et s'aperçoit. La réflexion est éminemment libre. La spontanéité n'est pas non plus aveugle ni fatale; seulement elle n'est pas précédée de la réflexion. Le mot est une force continue dans son exercice, et qui tantôt marche en avant, tantôt rentre en elle-même et s'y constitue un nouveau point de départ, un point d'appui pour son développement ultérieur. La vie est une action, et la vie n'est bien à nous qu'autant que l'action nous appartient, et que nous nous l'approprions par la liberté ; la liberté est le plus haut degré de la vie, et la liberté n'appartient qu'à la réflexion, car il n'y a pas de liberté sans choix, sans comparaison et délibération, c'est-à-dire sans réflexion. La réflexion, mère de la liberté et fille de la liberté,

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chies, et notre sort est de chercher le point de vue spontané, par la réflexion, c'est-à-dire de le détruire en le cherchant. Cependant, en s'examinant en paix, il n'est pas impossible de saisir le spontané sous le réfléchi. Dans l'instant même de la réflexion, on sent sous cette activité qui rentre en elle-même, une activité qui a dû se déployer d'abord sans se réfléchir. Chose fatale à la psychologie, mais inévitable! l'action primitive se redouble sans doute dans la conscience, mais elle s'y redouble faiblement et obscurement; et si nous voulons éclaircir ces ténèbres, convertir la conscience obscure en une conscience claire et distincte, nous ne le pouvons que par la réflexion, c'està-dire par un point de vue distinctif et des jugements mêlés de négation, c'est-à-dire encore une fois que nous ne pouvons éclairer le point de vue spontané qu'en le détruisant. Il faudrait sentir le moi se déployant lui-même, sans aucune impulsion extérieure, agissant par sa propre vertu, mais agissant sans s'être commandé d'agir, ne se déterminant point encore, mais déterminant ses actes ou ses pensées, se trouvant sans s'être cherché, s'apercevant sans se poser, en un mot spontané, mais non pas volontaire et libre. Hic labor.

Le Moi est l'élément de toute connaissance; mais la connaissance ne repose point uniquement sur le Mor, sans quoi il faudrait dire avec Fichte qu'elle n'est qu'un développement du mo1. Mais lorsqu'on se replie sur la conscience, on y trouve inévitablement un élément différent du moi, des phénomènes que le

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MOI n'a point faits, et qui introduisent dans le monde | ble; et cependant ce n'est pas le Non-moi qui manque intérieur de la conscience la multiplicité extérieure à l'aperception; mais bien la force intérieure par dont ils sont les représentants. Je parle de la sensation, qui ne serait pas sans un Moi qui l'aperçoive, mais qui non plus n'est pas fille du MOI, mais du monde extérieur. Je m'explique.

laquelle le moi se constitue lui-même, et peut alors apercevoir; il n'y a plus ni plaisir ni peine, parce qu'il n'y a plus aperception. Ainsi, privilége et grandeur de la liberté ! où elle manque, s'éteint l'intelligence; et où meurt l'intelligence, là expire la sensibilité. Je ne dis pas que la connaissance soit libre, mais je veux dire qu'un être libre peut seul connaître; comme je ne confonds pas l'intelligence avec la sensibilité; mais

Il est certain que le moi prend connaissance de certains phénomènes qui lui appartiennent, qu'il constitue, qu'il pose lui-même; ainsi les volitions, les déterminations du moi, sont l'objet du mor dans la conscience; il y a même des sensations appelées volon-je prétends qu'il faut être intelligent pour sentir, puistaires, parce qu'elles sont le produit de la liberté hu- qu'à parler rigoureusement, ne pas connaître qu'on maine s'affectant elle-même alors l'objet n'est pas sent, ce n'est pas sentir. distinct du sujet, si le NON-MOI est un effet du MOI. Résumons-nous. Le Moi est libre, c'est là son fonds; Dans ce cas il y a bien contraste dans la conscience, sur ce fonds se dessinent mille scènes variées que la mais il n'y a pas opposition; car ce contraste c'est le liberté se donne à elle-même. Mais il y a aussi un ordre MOI lui-même qui l'établit, et la diversité n'est que le de phénomènes involontaires qui limitent la liberté de déploiement varié de l'unité individuelle. Mais non- l'homme, la combattent, quelquefois la surmontent : seulement le moi produit ces phénomènes, mais il en c'est là le véritable NON-MOI, que le moi ne s'oppose trouve qu'il reconnaît n'avoir pas faits, par exemple pas à lui-même, c'est-à-dire ne pose pas lui-même, ses affections involontaires. Dans ce cas le NON-MOI comme l'a prétendu Fichte, mais que le moi trouve apparaît au moi non-seulement comme distinct, mais opposé à lui-même. Le rapport du Moi au NON-MOI comme étranger; ce n'est plus le moi qui pose le NON- est un rapport d'opposition réciproque ; c'est un vériMOI, ce n'est pas non plus le NON-MOI qui pose le moi, table combat. Or, comme le moi combat en même le Moi n'étant jamais posé que par lui-même, mais le temps qu'il est combattu, et qu'aussitôt qu'il cesse NON-MOI pose, détermine, cause une affection du MoI. de combattre il cesse d'être ; et comme combattre est Lorsqu'on me presse le bras, le moi aperçoit la sen- la condition nécessaire pour le moi de savoir qu'il est sation qu'il éprouve comme un effet indépendant de combattu, il s'ensuit que la passivité suppose la lilui et de sa détermination; c'est là toute la passivité berté, et que l'état de pure passivité n'est jamais dans du moi. A proprement parler, le moi n'est jamais, ou la conscience. L'opposition du mor et du Non-moi condu moins ne se sait jamais passif, car il ne se connaît stitue la conscience; la conscience est le théâtre de qu'autant qu'il s'aperçoit, et apercevoir c'est déjà agir. ce combat perpétuel de la vie intellectuelle et morale, De plus le moi agit sans cesse tant qu'il est; nous comme la vie physiologique n'est autre chose que la agissons et nous voulons dans la sensation même la lutte de la force intérieure, du principe vital, contre · sensation n'est pas un acte du moi, mais la sensation les forces extérieures ou les principes de destruction. n'est sentie, n'est sensation que parce que le moi qui La santé est la victoire de la force intérieure; ses déen prend connaissance est déjà constitué, et il ne l'est faites sont les maladies; sa fuite et sa destruction est que par l'action et la volition. Si le mot était passif, la mort. Notre constitution physique est telle que le il faudrait un autre moi actif pour prendre connais- principe vital ou la force intérieure, seule contre toutes sance de la passion du premier Mor: il y aurait deux les autres forces, s'épuise bientôt dans la résistance; MOI, ce qui est absurde; le moi est un être indivisible, et après avoir rendu un combat plus ou moins long, et son indivisibilité est celle même de sa volonté et de mais toujours court et plus composé de défaites que son activité. Mais au milieu de cette activité continue de victoires, succombe et abandonne le corps à toutes surviennent des affections extérieures que le moi aper-les forces ennemies qui l'envahissent, le partagent, çoit involontairement, qu'il est contraint de subir, il le décomposent, et le font rentrer dans les lois de la est vrai, mais dans lesquelles il agit, il veut encore, nature universelle dont elles sont les agents. Si du puisqu'il les juge, les apprécie, les distingue de soi,monde physique nous entrons dans le monde moral, y résiste, ou y cède, et même en leur cédant déter-nous trouverons qu'ici la nature extérieure attaque mine jusqu'où il veut leur céder. Toute affection le mot de mille manières plus redoutables les unes que n'éteint pas la liberté, mais la limite, selon qu'elle est les autres, par le corps intime au Moi, par ses peines, plus ou moins vive; quand l'affection trop violente et surtout par ses joies, par toutes les passions, filles des trop vaste accable la liberté, alors il n'y a plus d'aper- circonstances et de ce vaste univers qui nous enviception du moi, ni même du NON-MOI; car il n'y a ronne. Pour se défendre le moi n'a que lui-même, plus de moi, ni par conséquent d'aperception possi- comme Médée. Mais le mot est intelligent et libre;

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DIVISION.

CLASSIFICATION.

1. Il faut traiter l'actuel avant le primitif, car en Toutes les questions métaphysiques sont renfermées commençant par le primitif, on pourrait bien n'obtenir dans les trois suivantes :

1° Quels sont les caractères actuels des connaissances humaines dans l'intelligence développée?

2o Quelle est leur origine?

3° Quelle est leur légitimité?

qu'un faux primitif, qui ne rendrait qu'un actuel hypothétique, dont la légitimité serait seulement celle d'une hypothèse.

2o Il faut traiter la question de l'état actuel et primitif de nos connaissances avant celle de leur légiti

Les questions de l'état actuel et de l'état primitif mité; car les premières questions appartiennent au des connaissances humaines les considèrent dans l'es-système subjectif, et la seconde au système objectif, et prit humain, dans le sujet où elles résident, c'est-à-l'on ne peut connaître l'objectif avant le subjectif. dire sous un point de vue subjectif. Toutes nos connaissances subjectives étant des faits La question de la légitimité des connaissances hu- de conscience, des phénomènes, on appelle psychomaines les considère relativement à leur objet, c'est-logie ou phénoménologie, la science du subjectif, prià-dire sous un point de vue objectif.

(1) Ici devrait se placer l'analyse de la raison comme distincte de la sensation et de la volonté, qui ne sont que les conditions extérieure et intérieure de l'aperception, tandis que la raison en est le fondement direct. La raison constitue le savoir en soi, et comme il y a du savoir dans tout acte de la conscience (conscientia seu scientia cum), il s'ensuit que la raison constitue la conscience ellemême, et que c'est à elle que la conscience emprunte toute lumière. La raison constitue donc la conscience, et de plus elle lui apporte, outre la possibilité de toute connaissance, et en particulier de la connaissance du MOI, du NON-MOI, et de leur rapport, elle lui apporte, dis-je, une connaissance nouvelle, sui generis, la connaissance ou la conception de l'infini, de la substance, de l'être, de la pensée absolue, source et principe de toute existence

mitif et actuel.

et de toute pensée. Or ces trois éléments de la pensée réunis, composent la philosophie entière, qui ne peut se passer d'aucun d'eux. Mais les philosophes ont constamment mutilé l'un ou l'autre élément, réduisant sans cesse ou la substance et le MOI au NON-MOI, érigé en fait unique et fondamental, ou la substance et le NON-MOI au Mo, transformé en MOI absolu, comme si ces deux mots n'étaient pas incompatibles, ou enfin le NON-MOI et le Moi à la substance, devenue alors une substance tout à fait abstraite, une substance qui n'est pas une cause, abime stérile où tout va s'engloutir, et d'où rien ne peut sortir, éternité sans temps, espace sans dimensions, infini sans forme, force absolue qui ne peut pas même passer à l'acte, puissance sans énergie, unité sans nombre, existence sans réalité.

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