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manque à sa parole, manque à la justice, à parler | La définition la plus complète de la vertu, selon rigoureusement. Une personne qui promet sans avoir M. Dugald-Stewart, est la définition pythagoricienne : intention de tenir, est coupable à la fois d'injustice Is To Jevros. En effet, la vertu n'est pas la pré

et de tromperie. La véracité, selon M. Dugald-Stewart, dominance de telle ou telle vertu particulière, mais est le fond de l'honneur moderne. la disposition constante d'obéir au devoir; disposition L'auteur arrive aux devoirs envers nous-mêmes. qui devient moins pénible par l'habitude: ce qui Nos devoirs envers nous-mêmes nous imposent l'obli- d'abord était sacrifice finit par être satisfaction; gation de ne point négliger les moyens légitimes qui remarque qui justifie ou plutôt qui explique la maxime, peuvent procurer notre bonheur. Il s'agit d'établir en apparence si paradoxale, d'Aristote, que là où cette obligation, qui paraît étrange. Voici comme le il y a renoncement à soi-même, il n'y a pas de fait M. Dugald-Stewart. Le principe de l'amour-pro- vertu. pre, ou le désir du bonheur, ne peut être l'objet ni On applique, dit M. Dugald-Stewart, les expresde l'approbation ni du blâme; il est inséparable de la sions de juste et d'injuste, de vertu et de vice, tantôt nature de l'homme, considéré comme être raisonnable aux actions, tantôt aux intentions de là une confuet comme être sensible. Ce principe peut s'égarer, et sion dans le langage et les idées, qu'il cherche à disnous écarter ou du bonheur ou de la vertu ; or, même siper en distinguant le bien absolu du bien relatif. Le dans ce dernier cas, nous jugeons nous-mêmes, ou bien relatif consiste dans la bonté de l'intention de les autres jugent pour nous, que nous avons mérité l'agent, sans que l'action soit convenable: le bien d'être punis pour notre imprudence; alors le remords absolu est l'accord de la bonne intention et de l'action n'est pas seulement le regret d'avoir manqué le bon-convenable. C'est la bonté relative d'une action qui heur que nous espérions, il ne se rapporte pas seu- détermine le mérite moral d'un agent; c'est sa bonté lement à notre condition présente, mais à notre con- absolue qui constitue son utilité pour la société du duite passée. Voyez, sur la nature du remords, la genre humain. M. Dugald-Stewart remarque très-bien dissertation de Butler sur la nature de la vertu. Il suit qu'un sentiment sincère du devoir doit nous faire de là, dit M. Dugald-Stewart, que toute personne qui tendre à la bonté morale absolue; que la négligence à croit à des récompenses ou à des punitions futures, s'instruire, c'est-à-dire à éclairer ses intentions, est doit croire aussi que le crime d'une mauvaise action une négligence coupable; que, dans une circonstance est aggravé par l'imprudence avec laquelle on s'y est particulière, nous devons faire ce qui nous paraît précipité. alors notre devoir, mais que si nous nous trompons et En parlant du bonheur, il se défend de faire un manquons la bonté absolue, pour n'être pas coupables système pour l'atteindre, et indique à cet égard les de nous être trompés, nous pouvons l'être de ne pas opinions contradictoires des épicuriens, des stoïciens, avoir employé antérieurement tous les moyens de recdes péripatéticiens ; il renvoie, pour la doctrine stoïque, tifier, d'étendre et d'éclairer nos jugements. A l'appui à Ferguson, à Smith et à Harris, qui sont encore loin de cette distinction importante, l'auteur cite le rapport d'avoir pénétré la profondeur de cette doctrine. Il et la différence qui se trouvent entre les expressions considère le bonheur par rapport au tempérament, à grecques, xaxov et xaтópówμa, et entre les phrases l'imagination, aux opinions, aux habitudes. Il répand latines officium medium et officium perfectum, et les dans toutes ses recherches une foule d'observations expressions scolastiques de la vertu matérielle et de intéressantes, trop nombreuses pour trouver ici leur la vertu formelle. Il termine par indiquer les différentes place, trop délicates pour être ramenées à des prin- circonstances dans lesquelles le sentiment du devoir cipes généraux. Il entre dans une analyse rapide des a besoin d'être dirigé par la raison. Je termine moidifférents plaisirs, qu'il distingue en plaisirs de l'acti-même par recommander à ceux qui cultivent la phivité, plaisirs des sens, plaisirs de l'imagination, plai-losophie morale, l'étude et la méditation d'un ouvrage sirs de l'entendement, plaisirs du cœur; il montre toujours l'harmonie constante du bonheur et de la vertu, et termine par de sages réflexions sur la nature générale de la vertu, sur l'ambiguïté des mots vertu et rice, et l'usage de la raison en morale.

qui, sous des formes très-simples, cache souvent des vérités profondes, n'omet aucune vérité utile, contient une foule d'observations solides et ingénieuses, offre le modèle de la vraie méthode philosophique, et rend partout hommage à la raison et à la vertu.

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LEÇONS

DE PHILOSOPHIE,

OU

ESSAI SUR LES FACULTÉS DE L'AME,

PAR M. LÁROMIGUIÈRE,

PROFESSEUR de philosophie a LA FACULTÉ DES Lettres de l'académie de PARIS.

Depuis un siècle à peu près que la métaphysique de Locke, sur les ailes brillantes et légères de l'imagination de Voltaire, traversa le détroit et s'introduisit en France, elle y a régné sans contradiction et avec une autorité dont il n'y a pas d'exemple dans l'histoire entière de la philosophie. C'est un fait presque merveilleux que, depuis Condillac, il n'a paru parmi nous aucun ouvrage contraire à sa doctrine, qui ait produit quelque impression sur le public. Condillac régnait donc en paix; et sa domination, prolongée jusqu'à nos jours à travers des changements de toute espèce, paraissait à l'abri de tout danger et poursuivait son paisible cours. Les discussions avaient cessé : les disciples n'avaient plus qu'à développer les paroles du maître; la philosophie semblait achevée. Cependant les choses en sont venues insensiblement à ce point qu'il paraît tout à coup un ouvrage où l'auteur abandonne et combat même le système établi, sans choquer le public. Que dis-je? le public, jusqu'alors si prévenu en faveur de Condillac, accueille son adversaire, et ne paraît pas même éloigné d'embrasser la nouvelle direction. Ceci prouverait deux choses d'abord, qu'une révolution philosophique se fait sourdement dans quelques esprits; ensuite, que cette révolution est déjà préparée dans l'opinion publique. Or nous ne craignons pas d'avancer qu'une telle révolution, si elle n'est point une chimère, est un des faits les plus importants de l'époque actuelle.

Mais le fait est-il bien réel? L'esprit humain a-t-il ressaisi parmi nous le droit d'examen ? et M. Laromiguière, jadis si zélé, si scrupuleux disciple de Con

dillac, a-t-il vraiment abandonné sa doctrine? C'est ce qu'il s'agit de constater par une analyse exacte et approfondie des Leçons de philosophie.

Il y a deux hommes dans M. Laromiguière, l'ancien et le nouveau, le disciple et l'adversaire de Condillac. L'adversaire se montre souvent, et c'est là le phénomène que nous nous proposons de signaler; le disciple reparaît plus souvent encore, et c'est ce qui prouve précisément, selon nous, la réalité de la révolution que nous annonçons; car, si l'ouvrage de M. Laromiguière n'était qu'un nouveau système, sans rapport avec ceux qui l'ont précédé et avec celui de Condillac, qui est leur type commun, faute de s'appuyer sur le passé, il n'exercerait aucune influence sur l'avenir, et ne serait pour nous qu'un système de plus dans la multitude des systèmes, un ouvrage plus ou moins ingénieux, mais stérile, parce que cela seul est fécond qui est animé de l'esprit du siècle, qui se lie à ses besoins, à ses vœux, à sa tendance. S'il n'y avait aucun rapport entre Condillac et M. Laromiguière, quand même M. Laromiguière aurait pour lui la raison, il n'aurait pas pour lui le public, qui veut bien marcher, mais non pas courir ; qui veut bien permettre qu'on améliore ses idées, mais non pas qu'on les détruise brusquement: jamais le même individu n'a complétement changé ; la société ne change complétement que par les changements partiels et progressifs des diverses générations. Si la rupture de M. Laromiguière avec Condillac eût été violente, on pourrait accuser la passion ou le caprice, et ne voir là qu'un phénomène superficiel et passager; mais les

et comme Condillac et M. Laromiguière répètent souvent, ce que nous admettons volontiers, que la philosophie n'est qu'une méthode, nous insisterons. d'abord sur la nature et le caractère précis de la méthode suivie par Condillac et M. Laromiguière.

Nous commencerons par écarter la méthode d'enseignement, que Condillac et M. Laromiguière ont trop souvent confondue avec la méthode de découverte, pour nous occuper uniquement de celle-ci. Or, quant à la méthode de découverte, nos deux philosophes se ressemblent tellement, que l'on peut prendre à volonté l'un pour l'autre, et qu'en examinant la méthode de M. Laromiguière, on examine aussi celle de Condillac.

changements insensibles préparent les révolutions dura- | l'idée de la méthode plane sur toutes les autres idées, bles. Enfin, si l'auteur n'avait pas été un disciple de Condillac et ne s'en montrait pas toujours le plus ardent admirateur, il eût manqué à Condillac d'être abandonné par un des siens. Être attaqué n'est qu'un accident ordinaire, même à un système vainqueur; trouver des résistances est un accident inévitable pour un système nouveau qui se développe et qui marche à la victoire; gagner peu de terrain est l'effet de toute résistance opiniâtre, et n'est encore qu'un phénomène peu inquiétant : mais en perdre, mais reculer quand on a été si loin, mais tomber, ne fût-ce que d'une ligne, quand on est parvenu au faîte, ce sont là des présages tout autrement sinistres : en fait de système aussi, toute chute est ruine; reculer, c'est être vaincu ; perdre, c'est déjà périr. Ce qui caractérise l'ouvrage de M. Laromiguière, comme ce qui en fait l'importance, est donc précisément ce mélange, ou, pour ainsi dire, cette lutte de deux esprits opposés, de deux systèmes contraires; lutte d'autant plus intéressante que l'auteur n'en a pas le secret, d'autant plus sérieuse qu'elle est plus naïve. C'est le spectacle de cette lutte que nous voulons donner au public; elle est partout dans le livre de M. Laromiguière; elle est dans chaque grande division, dans chaque chapitre, dans chaque alinéa, dans chaque phrase: tant une situation est profonde lorsqu'elle est vraie!

L'idée de la méthode, dit M. Laromiguière (1re leçon, p. 48), quoique assez facile à saisir, n'est pourtant pas une idée simple; quand nous saurons ce que c'est qu'un principe et ce que c'est qu'un système, nous serons bien près de savoir ce que c'est que la méthode. ›

Maintenant, qu'est-ce qu'un principe et un système? Laissons parler M. Laromiguière :

Personne, dit-il (ibid, p. 50), n'ignore la ma«nière dont se fait le pain. On a du grain qu'on broie sous la meule; le grain ainsi broyé est imbibé

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d'eau; il prend ainsi de la consistance sous la main qui le pétrit; et bientôt l'action du feu le convertit

L'ouvrage de M. Laromiguière est la collection desen pain. Voilà quatre faits qui tiennent les uns aux leçons qu'il donna à la faculté des lettres de l'Académie de Paris, pendant les années 1811, 1812 et 1813. Les succès du professeur furent grands: ceux de l'écrivain y répondront; tel est l'effet d'un enseignement et d'un style qui conduisent toujours le lecteur ou l'auditeur de ce qu'il sait mieux à ce qu'il sait moins, on à ce qu'il ignore tout à fait.

Ces leçons se présentent sous le titre d'Essai sur les facultés de l'âme. Au fond, cet essai comprend toute la métaphysique; car l'auteur, considérant les facultés et dans leur nature et dans leurs produits, c'est-à-dire en elles-mêmes et dans les diverses idées dont leur développement progressif enrichit l'intelligence, embrasse tout ce que l'on peut dire de l'homme intellectuel; car, où s'arrête la portée de nos facultés, là seulement finit l'homme intellectuel. Mais jusqu'où « ne vont pas les facultés de l'homme? Et quelles ques-‹ tions peuvent échapper à la simplicité infinie du plan « de M. Laromiguière? L'analyse des facultés, considérées en elles-mêmes et dans leurs rapports les unes avec les autres, est l'objet du premier volume; le second traite de leurs produits, ou des idées. Nous nous proposons de les examiner en détail, montrant toujours en quoi l'auteur suit Condillac et en quoi il s'en écarte, dans le vaste champ qu'il parcourt après lui; et comme, en général, dans la philosophie,

autres, mais de telle manière que le quatrième est <une modification du troisième, comme le troisième est une modification du second, et comme le second est une modification du premier. Or, toutes les fois qu'une même substance prend ainsi plusieurs formes l'une après l'autre, on donne à la première le nom <de principe.›

Et ajoutons, pour compléter la pensée de l'auteur : A l'ensemble de ces formes qui s'engendrent l'une l'autre, on donne le nom de système.

Or la méthode qui systématise tous les éléments d'une science en les ramenant à un principe commun, à leur origine, cette méthode s'appelle d'un seul mot analyse.

«C'est l'analyse, dit M. Laromiguière (ibid., p. 58), qui, ramenant à l'unité les idées les plus diverses qu'elle-même nous a données, fait produire à la faiblesse les effets de la force; c'est l'analyse qui sans cesse ajoute à l'intelligence, ou plutôt l'intelligence est son ouvrage, et la méthode est trouvée. › La méthode est trouvée ! c'est ce qu'il s'agit d'examiner, en cherchant à se défendre de l'enthousiasme qui peut bien saisir le poëte en présence d'une grande image, d'une inspiration sublime, et même le métaphysicien le plus méthodique, à l'instant où il croit apercevoir une idéc féconde; mais qu'il ne faut pas

sition.

Condillac et M. Laromiguière font tout le contraire. Sans proscrire l'observation, ils insistent plutôt sur la composition, sur l'unité nécessaire à tout système. Pour ne point parler de Condillac, les passages de M. Laromiguière que nous avons cités plus haut, sont décisifs. La tendance à l'unité est telle dans les Leçons de philosophie, qu'indépendamment de tous les passages où le professeur la recommande, et où il la suit expli

commencer par partager soi-même, lorsqu'on veut | on peut encore, si on le veut, appeler méthode en gésavoir s'il est bien ou mal fondé, si réellement la mé-néral ces deux opérations, qui, au fond, constituent thode est trouvée. Et, selon nous, elle ne l'est pas ; deux méthodes, et qui jusqu'ici passaient pour deux ou, si elle se trouve dans la description qu'en vient de méthodes différentes. Les faits sont tout, les mots ne donner M. Laromiguière, elle s'y trouve si bien enve- sont rien; qu'on fasse des mots ce qu'on voudra ; loppée sous des éléments étrangers, qu'on a peine à mais que les faits restent intacts, ainsi que leurs cal'y reconnaître. En effet, pour systématiser une ractères. Quelque dénomination que l'on emploie, science, c'est-à-dire pour ramener une suite de phé- toujours est-il qu'unir et systématiser n'est pas décomnomènes à leur principe, à un phénomène élémentaire poser et observer; que ces deux procédés, sans qui engendre successivement tous les autres, il faut s'exclure, ne se suivent pas nécessairement ; que, pour saisir leurs rapports, le rapport de génération qui les atteindre à la vérité, l'observation est incomparablelie; et pour cela, il est clair qu'il faut commencer par ment plus utile que la recherche de l'unité; et que, examiner ces différents phénomènes séparément. Cette par conséquent, dans l'idée générale de méthode, la opération, c'est l'observation. Or l'observation peut décomposition, en fait et en droit, précède la compobien conduire à l'unité, mais quelquefois aussi elle n'y conduit pas; elle y conduit, si elle la trouve; elle la trouve, si l'unité existe : si l'unité n'existe pas, l'observation aura beau la chercher, elle ne la trouvera pas; elle n'y conduit donc pas nécessairement: observer est donc une chose, unir et systématiser en est une autre; ces deux opérations ne se rencontrent donc pas fortuitement, extérieurement pour ainsi dire, par l'effet de l'identité qui peut exister dans les choses observables. Alors nous ne ramenons pas les phéno-citement, il reste encore je ne sais quel esprit général mènes à l'unité; mais nous voyons l'unité dans les qui y aspire sans cesse, qui se produit dans les mots phénomènes, parce que les phénomènes sont identi- comme dans les idées, qui remplit et anime le livre ques. Si l'unité est une création de l'esprit, c'est une entier. Or, qui ne voit que cette tendance à l'unité, chimère avec laquelle l'observation et la vraie philoso- cette supériorité accordée à l'esprit de système sur phie n'ont rien à voir; si c'est une réalité, c'est un fait, l'esprit d'observation, doit être funeste à la vraie un fait d'observation, comme tout autre fait, comme science, laquelle repose sur les faits? Que dirait-on la diversité ou la ressemblance. L'observation, si elle d'un chimiste qui, dans des leçons sur la méthode, la est exacte, le trouve même sans le chercher; de telle réduirait à la recherche de l'unité, à la recherche d'un sorte qu'alors il n'y aurait pas même dans la méthode élément unique, simple, indécomposable, dont tous deux opérations, l'opération qui observe, et l'opéra- les autres ne fussent que des formes, et dont la chimie tion qui unit et systématise, mais une seule opération, entière ne fût que le développement? Un tel chimiste savoir l'observation, laquelle trouve ou ne trouve pas ne rappellerait-il pas le temps de Paracelse plutôt que l'unité. Dans ce cas, la méthode consisterait unique- le temps de Lavoisier? Celui-là, à coup sûr, ne troument dans l'observation; et dans ce cas encore, si verait pas la classification des corps simples; car où il l'on veut donner un nom grec à l'observation, à la y a unité, il n'y a pas lieu à classification: il ne méthode, qui n'est pas plus grecque que française, et trouverait pas un élément nouveau; car deux éléments qui appartient à la raison humaine, on peut lui donner simples, et tout élément est simple ou supposé tel, le nom d'analyse, cette expression marquant l'opé- deux éléments engendreraient, selon lui, deux sciences ration de l'esprit qui divise, qui décompose, c'est-à- tout à fait opposées. Que dirait-on du physiologiste qui dire qui tend à l'observation; car on n'observe, on recommanderait de chercher avant tout la fonction n'observe bien qu'en décomposant voilà pourquoi organique élémentaire? Que dirait-on du médecin la langue grecque oppose l'analyse à la synthèse, dont la méthode médicale consisterait à réduire toutes comme la langue française oppose la décomposition à les maladies à une seule, la goutte à la fièvre ou la la composition. Toutefois les définitions de mots étant libres, sauf l'inconvénient de confondre les idées par la confusion du langage convenu, on peut, si l'on veut, appeler analyse la réunion de l'opération intellectuelle qui décompose et de celle qui compose, de l'analyse et de la synthèse, comme les Grecs l'entendaient, et comme jusqu'ici l'entendait tout le monde :

fièvre à la goutte? Que dirait-on du physicien qui, au lieu d'ajouter la géométrie à l'expérience, prétendrait, à priori, construire la nature avec un x ou un y? N'est-il pas visible qu'aussitôt que l'esprit humain s'écarte de l'expérience, il s'écarte de la ligne droite de la science?

Ne serait-on donc pas fondé à dire à Condillac et à

son école 1o Sans prétendre que vous rejetez l'expé- du connu à l'inconnu, et à répandre ainsi sur toutes rience, certainement vous insistez plus sur l'unité les matières la lumière et l'agrément de là cette éléet l'esprit de système ; dès là, votre méthode, sans être absolument vicieuse, contient déjà un germe funeste que l'application développera nécessairement.

2° Quand même il serait vrai que, dans l'application, vous n'eussiez pas failli, le mérite en serait à vous, non pas à votre méthode; et notre remarque subsisterait toujours.

3° Quoi qu'il en soit de notre remarque, si elle pèche, assurément ce n'est pas par une excessive témérité, et ce n'est pas à vous d'accuser vos adversaires d'être des esprits ambitieux et chimériques. En effet, quelle ambition que celle de voir tout en un, et même de ne vouloir rien voir autrement! car non-seulement l'unité est pour vous un résultat, mais c'est une loi, c'est un précepte, une méthode. Quand donc vous rencontrez sous votre plume les noms de philosophes étrangers ou de philosophes anciens, les noms de Platon ou de Pythagore, des Alexandrins ou de certains scolastiques, de Leibnitz ou de Spinosa, et d'autres modernes plus récents dont la gloire est l'orgueil des grandes nations contemporaines, de grâce, moquez-vous moins de leurs prétentions, car les vôtres ne sont pas petites. Ces philosophes ambitieux, ces illuminés, comme vous les appelez (tom. I, p. 42; tom. II, p. 172—449 et passim) on ne sait pourquoi, peuvent-ils avoir été plus loin que vous? car encore une fois, qu'y a-t-il au-dessus et au delà de l'unité?

4o De plus, cette unité que vous cherchez, nous la souhaitons aussi; sans doute l'homme ne peut se reposer que dans l'unité : l'unité est la fin dernière de la science; mais nous croyons que l'observation en est la condition, et, tout en cherchant la fin de la science, nous nous pénétrons surtout du besoin d'accomplir ses conditions légitimes. Voyez donc qui, de vous ou de nous, se conforme le mieux à l'esprit des temps modernes, lequel n'est autre chose que la crainte de l'hypothèse, et la prédominance, quelquefois même excessive, de l'observation sur la spéculation.

gance continue dont Condillac a transmis, avec sa méthode générale, l'habitude systématique à son heureux imitateur, qui, par un travail plus profond encore, une étude plus assidue, semble y avoir ajouté plus de force et plus de charme. Comme le système de M. Laromiguière n'est qu'une génération progressive d'idées, sa langue n'est qu'une traduction harmonieuse. L'habile écrivain vous conduit, vous promène, pour ainsi dire, d'une forme à l'autre, d'une expression à une autre expression, avec un art aussi profond et aussi subtil que l'habile dialecticien vous fait passer d'un principe plus ou moins prouvé, mais enfin établi et convenu, à une conséquence immédiate qui elle-même engendre une conséquence nouvelle, d'où sort une suite de nouvelles conséquences toutes liées intimement l'une à l'autre, préparées et ménagées par des harmonies et des gradations qui, en se développant successivement sous vos yeux, vous charment sans trop vous surprendre, et vous éclairent sans vous éblouir. Malheureusement le talent d'exposition, qui se prête aussi bien à l'erreur qu'à la vérité, ne prouve rien pour ou contre un système.

Mais comment se fait-il que M. Laromiguière diffère, autant que nous l'avons annoncé, de Condillac, si leur méthode est la même ? C'est qu'ils l'appliquent diversement. Tous deux cherchent l'unité; mais Condillac la trouve dans une chose, M. Laromiguière dans une autre, et ces deux choses sont essentiellement opposées; de là, malgré l'identité de la méthode, la diversité des directions, qu'un reste d'habitude et des artifices de langage peuvent bien encore rapprocher sur certains points, mais sans pouvoir réellement les confondre; de là les différences et les ressemblances que nous avons annoncées, et qu'il nous reste à développer.

Pour saisir nettement les différences qui existent déjà et les ressemblances qui se trouvent encore entre le système de M. Laromiguière et celui de Condillac, Sans appliquer à M. Laromiguière ces paroles paci- il faut bien concevoir ce dernier système, et surtout fiques que nous n'adressons ici qu'au chef lui-même, l'enchaînement du principe et des conséquences. à Condillac, nous ne pouvons nous empêcher de Le principe de Condillac est la sensibilité; il y voit regretter que M. Laromiguière, qui, sur d'autres l'intelligence tout entière. Toutes les facultés de l'homme points, abandonne Condillac, l'ait, sur celui-là, si ne lui paraissent que le développement varié d'une prescrupuleusement suivi. Sa méthode est celle de Con-mière sensation. dillac; elle en a tous les inconvénients; elle en a aussi tous les avantages, parmi lesquels il faut mettre au premier rang le talent de l'exposition et du style. Si toutes les idées sont réductibles à l'unité, si l'unité est la loi de la pensée humaine, l'analogie est la loi du langage; aussi l'analogie est-elle le caractère éminent du style de Condillac et de M. Laromiguière. De là ce style heureux dont le secret consiste à aller sans cesse

A la première odeur, dit Condillac (Traité des Sensations, 1re part., chap. 2), la capacité de sentir est tout entière à l'impression qu'elle éprouve; voilà l'attention.

L'attention que nous donnons à un objet n'est, de la part de l'àme, que la sensation que cet objet fait sur nous. (Logique, 1re part., chap. 7.)

Une double attention s'appellera comparaison; elle

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