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L'amour-propre vient ensuite. Si la constitution | devoir qui est commun à tous les hommes, et qui se de l'homme, dit M. Dugald-Stewart, n'était com- produit, dès la première période de l'existence, dans ‹ posée que des principes précédents, elle différerait l'enfance même de la raison, avant que l'homme soit peu de celle des animaux ; mais la raison met entre capable de s'élever à la notion générale du bonheur. l'homme et l'animal une différence essentielle. On a prétendu que les lois de la morale sont l'ouL'animal est incapable de prévoir les conséquences vrage des philosophes et des politiques, qui les ont de ses actions; autant que nous en pouvons juger, répandues de bonne heure dans l'espèce humaine, et il cède toujours à l'impulsion du moment mais que ces lois ne paraissent naturelles qu'à la faveur de l'homme est capable d'embrasser d'une seule vue l'éducation, qui les enracine d'abord dans tous les ses divers principes d'actions, et de se faire un cœurs; on invoque, en témoignage de cette doctrine, plan de conduite. Or tout plan de conduite suppose la diversité des opinions morales qui partagent les le pouvoir de résister à un principe d'action parti- peuples, et celle des jugements moraux dans des cas culier. Cette force de résister est l'amour-propre. semblables. Mais d'abord le pouvoir si vanté de l'édu‹ Ce qui distingue encore, en général, l'homme de cation a ses limites. Ensuite, comment l'éducation l'animal, c'est que l'homme est capable de mettre à met-elle tant de variété parmi les caractères humains? profit l'expérience du passé, de fuir les plaisirs C'est par l'association des idées. Or l'association des dont il connaît les suites fàcheuses, et de se résigner idées présuppose elle-même l'existence de sentiments

‹ à quelques maux présents, dans l'espérance de primitifs, avec lesquels les circonstances extérieures grands avantages futurs; en un mot, l'homme est capable de se former la notion générale du bonheur, et de délibérer sur les moyens les plus sûrs pour y parvenir; l'idée même du bonheur implique ‹ que le bonheur est un objet désirable par lui-même, et par conséquent l'amour-propre est un principe 1 d'action très-différent de ceux que nous avons considérés jusqu'ici. Ceux-ci pouvaient venir de dispositions naturelles arbitraires; voilà pourquoi on les appelle principes ou penchants innés mais le désir du bonheur appartient nécessairement à toute créa<ture raisonnable, et on peut l'appeler principe raisonnable d'action. Le germe de cette remarque sité d'opinions sur d'autres sujets; 3o la différence de ingénieuse et profonde se trouve dans Price.

doivent nécessairement se combiner pour agir sur l'homme, et lui imprimer des formes accidentelles. L'éducation diversifie les applications d'un principe, mais elle ne peut créer le principe. Les faits historiques que l'on allègue pour prouver que nos sentiments moraux sont des sentiments factices se trouvent faux à l'examen, ou conduisent même à des conclusions entièrement opposées à celles qu'on en prétend tirer; et quant à la diversité de nos jugements moraux, on peut l'expliquer sans détruire les distinctions morales. M. Dugald-Stewart la rapporte à trois causes générales : 1o la diversité de civilisation; 2o la diver

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l'importance morale que présente la même action en

Nous arrivons maintenant à cette classe de phéno-visagée sous des points de vue différents. mènes qui constituent spécialement la moralité de l'homme, et que, pour raison, l'auteur rapporte à un principe particulier, qu'il appelle le principe moral par excellence. Voici les considérations, c'est-à-dire les faits, qui séparent le principe moral de tous les autres principes aux yeux de M. Dugald-Stewart.

Enfin, la doctrine qui réduit le devoir à l'intérêt mène immédiatement et inévitablement à cette conséquence, que le motif des actions humaines est au fond le même ; que ce qu'on appelle vice et vertu, bien et mal, mérite et démérite, tout cela part du même principe. Or c'est un fait, que la nature humaine envi1° Il y a dans toutes les langues humaines deux sagée dans un pareil système excite en nous une protermes qui correspondent à ceux de devoir et d'in-fonde mélancolie; et comment expliquer le fait incontérêt, lesquels ont une signification tout à fait dis- testable de cette impression pénible autrement que par tincte.

2o Le spectacle du bonheur et celui de la vertu excitent en nous des impressions qu'il est impossible de confondre.

un sentiment naturel du bien moral qui se révolte en nous? S'il est vrai qu'il n'y ait aucune distinction réelle entre la vertu et le vice, pourquoi y a-t-il des caractères que nous estimons et d'autres que nous méprisons? Pourquoi l'orgueil et l'intérêt nous paraissent-ils des motifs de conduite moins honorables que le patriotisme, l'amitié, et un attachement désinté

3° Quoique le devoir et l'intérêt bien entendu s'accordent généralement, et qu'après tout, même icibas, la vertu soit la vraie sagesse, ce n'est pas là une vérité qui se présente immédiatement à tous les ressé à ce que nous croyons notre devoir ? Pourquoi hommes. Elle est le fruit d'une longue expérience de la vie, et ne se découvre que très-tard à la réflexion. On ne peut donc ramener à cette connaissance tardive et assez rare de l'utilité de la vertu le sentiment du

l'espèce humaine nous plait-elle plus dans un système que dans un autre ? C'est l'artifice ordinaire de certains moralistes de confondre le fait et le droit, et de substituer sans cesse une satire du vice et de la folie

à une analyse philosophique de nos principes naturels. | de toute circonstance externe, en rapporta l'origine à Mais quand on admettrait la vérité de leur peinture, la raison, qui la découvre, selon lui, dans la nature la tristesse et le mécontentement qu'elle laisse dans l'âme démontreraient assez que nous sommes faits pour aimer et admirer le beau moral, et que cet amour et cette admiration sont des lois originelles de la nature humaine.

même des choses. La théorie générale de Locke conduisait à placer l'origine des distinctions morales dans les idées du juste et de l'injuste. Si ce ne sont point des idées simples et irréductibles, mais des idées complexes et déduites, comme le prétend Locke, il faut L'extrême simplicité de ces considérations n'en bien qu'elles soient le développement plus ou moins diminue point la solidité et la force. Pour les déve- éloigné d'un principe étranger qu'il s'agit de détermiloppements dont elles auraient besoin, et qui leur ner. L'Essai sur l'entendement humain ayant introduit manquent ici nécessairement, nous renvoyons le lec-dans la philosophie une précision de langage jusqu'alors teur aux grands ouvrages de morale qui ont paru en inconnue, on était porté à rejeter l'opinion de CudEurope dans ces derniers temps, et qui tous, com- worth, parce qu'elle était enveloppée dans des termes posés dans des vues si diverses par des hommes d'un vagues et obscurs. D'un autre côté, on repoussait les esprit très-indépendant, étrangers l'un à l'autre, ou conséquences de la théorie de Locke, qui détruisait adversaires déclarés, se rencontrent pourtant sur ce la réalité et l'immutabilité des distinctions morales. point, que la vertu n'est point l'égoïsme. Qu'il nous Afin donc de concilier Cudworth et Locke, quelques soit permis d'en indiquer deux : l'un qui appartient à philosophes, Wollaston et d'autres, placèrent la vertu la France, et que pour cette raison nous nous faisons dans une conduite conforme à la vérité ou à la conveun devoir de tirer de l'injuste oubli où il est tombé,nance des choses. Cette théorie de la conformité rapc'est une lettre de M. Turgot à M. de Condorcet, sur pelle celle de Locke sur le jugement, qui n'est, selon le livre d'Helvétius; l'autre est la Critique de la raison lui, qu'une comparaison, une perception d'un rapport pratique de Kant, ouvrage que nous ne craignons pas de convenance ou disconvenance entre deux idées : de signaler comme le monument le plus imposant et or l'idée qui résulte de la comparaison de deux idées le plus solide que le génie philosophique ait jamais ne peut être une idée simple; ainsi l'idée du bien et élevé à la vraie vertu, à la vertu désintéressée. du mal moral n'est plus une idée simple, originelle, primitive, ce qui satisfait la théorie de Locke; et cependant, comme cette idée est l'expression d'un rapport aperçu par la raison selon les dernières théories, et, conséquemment, comme cette idée est vraie de toute vérité, la vérité n'étant et ne pouvant être qu'une perception de rapports, il s'ensuit que la vérité des idées morales est sauvée, et que l'esprit de la morale de Cudworth se trouve réconcilié avec l'esprit de la psychologie de Locke. Hutcheson a trèsbien montré que l'idée qui résulte de la perception Pour résoudre cette question il faut analyser exac- d'un rapport entre deux idées, peut se résoudre dans tement l'état de notre âme, lorsque nous sommes l'une ou l'autre de ces idées; que le procédé qui la spectateurs d'une bonne ou d'une mauvaise action faite découvre, c'est-à-dire qui perçoit le rapport, est un par nous-mêmes. Nous avons alors, selon M. Dugald-procédé ultérieur qui distingue et classe les idées preStewart, la conscience de trois choses distinctes: mières, lesquelles sont fournies par les sens externes 1o la perception absolue d'une action comme juste ou injuste en soi; 2o un sentiment de plaisir ou de peine qui varie dans ses degrés selon la délicatesse de notre sensibilité morale; 3° une perception du mérite ou du démérite de l'agent.

S'il est facile de reconnaître que le principe moral est indépendant de l'amour-propre, il l'est beaucoup moins de déterminer la nature de ce principe, et de bien voir si ce que nous avons appelé indifféremment jusqu'ici sentiment ou notion du devoir est un sentiment ou une notion; si la loi morale est fondée sur la raison ou sur cette partie secrète de notre nature qu'on appelle sensibilité morale; si enfin la connaissance du bien et du mal est un instinct du cœur ou un jugement intellectuel.

ou internes; c'est donc là, et dans les sens internes, selon Hutcheson, qu'il faut chercher les notions premières du bien et du mal, comme celles du beau. De là la théorie du sens moral. Or comme les sens externes ou internes ne donnent et ne peuvent donner rien d'absolu, les notions du bien et du mal, dans la théorie de Hutcheson, ne sont, par rapport à leur sens, que ce qu'une saveur est par rapport au sien. Dès lors les distinctions morales relatives à notre sensibilité interne, et soumises par là à toutes ses variétés et ses inconstances, deviennent arbitraires, différentes chez les différents hommes et dans le même homme;

Avant d'exposer son opinion particulière sur la perception du juste et de l'injuste, M. Dugald-Stewart commence par une revue ingénieuse et profonde des principales opinions philosophiques qui ont tour à tour régné en Angleterre sur la nature de la justice. Hobbes la fondait sur les lois positives et les coutumes de chaque pays; Cudworth, qui le réfuta très-solidement, et rétablit la justice dans son indépendance absolue et si l'on soutient avec Burke, dans sa dissertation sur

le goût, que la sensibilité est la même chez tous les Il est impossible, dit-il, de voir ou de faire une hommes en état de santé et de raison, on ne peut nier bonne action sans avoir la conscience d'une affection toutefois que ces perceptions ne soient purement per- bienveillante envers l'agent; et comme toutes nos sonnelles et relatives, et conséquemment qu'elles ne affections bienveillantes sont agréables, toute bonne peuvent fonder des vérités immuables et éternelles. action est une source de plaisir pour l'auteur et pour C'est pour éviter ces conséquences, qui découlent le spectateur. En outre, les sentiments agréables de la théorie de Hutcheson, que Price a fait revivre d'ordre, de paix, d'utilité universelle, s'associent par la doctrine de Cudworth, et qu'il a érigé la raison en la suite à l'idée générale d'une conduite vertueuse; et. une faculté spéciale, de laquelle dérivent des idées c'est ce cortège de sentiments agréables qui constitue simples. Cette théorie est très-différente de celle de ce que les moralistes ont appelé la beauté de la vertu. Locke, qui place les idées morales sous l'empire de la Le sentiment qui dérive de la contemplation de la comparaison, et de cette comparaison quelquefois ap- beauté morale étant infiniment plus délicat et plus pelée comparaison discursive ou raisonnement, la- exquis que celui de la beauté physique, quelques phiquelle, comme l'a montré le docteur Hutcheson, tire losophes ont avancé que la beauté physique n'est autre des conséquences, mais ne fournit point de principes. chose qu'une application et en quelque sorte un reflet La raison de Price ne travaille pas sur des principes de la beauté morale, et que les formes des objets maétrangers; elle-même suggère des idées simples qui tériels ne nous plaisent que par l'entremise des idées deviennent les principes du raisonnement. Elle n'agit morales qu'elles éveillent en nous. C'était la doctrine pas consécutivement, mais primitivement, et ses favorite de l'école de Socrate. Quelque opinion que l'on produits sont des rapports immuables et éternels. adopte sur cette question spéculative, on ne peut nier M. Dugald-Stewart ne s'éloigne point de cette opinion; que la justice et la vertu ne soient le spectacle le plus il ne voit aucun inconvénient à appeler raison en gé-touchant pour le cœur de l'homme, et que leur beauté néral notre nature intellectuelle, et à lui rapporter n'efface toutes les beautés de l'univers matériel. immédiatement ces notions simples et primordiales, Non-seulement les actions vertueuses sont accom

qui ne dérivent ni de l'opération des sens, ni de dé-pagnées d'un sentiment agréable, elles sont encore ductions rationnelles, mais qui se développent d'elles-inséparables du sentiment du mérite de l'agent, c'estmêmes dans l'exercice de nos facultés intellectuelles. à-dire qu'il nous est impossible de ne pas croire que C'est à la raison ainsi considérée qu'on peut rapporter l'agent vertueux mérite l'amour et l'estime, et qu'il le principe de causalité, et plusieurs autres qui ne sont est digne de récompense: nous sentons que c'est un le fruit ni du raisonnement ni de l'exercice des sens. devoir pour nous de le faire connaître, d'appeler sur Peu importe, dit M. Dugald-Stewart, de quelle lui la faveur et le respect; et si nous négligeons de le expression particulière on désigne cette faculté qui faire, nous sentons que nous commettons une injustice. perçoit le juste et l'injuste, pourvu qu'on admette ce Au contraire, lorsque nous sommes témoins d'un trait fait psychologique incontestable, que nous percevons d'égoïsme, et, en général, d'une action criminelle, les notions du juste et de l'injuste immédiatement et qu'elle tombe sur d'autres ou sur nous, nous avons de intuitivement, sans les déduire d'aucune autre notion la peine à retenir l'emportement naturel qui nous ou principe, et que ces notions simples nous paraissaisit, et à ne pas punir le coupable. Nous-mêmes, sent revêtues du caractère de la nécessité et de l'im- quand nous avons bien fait, nous sentons que nous mutabilité, comme les notions fondamentales des avons des titres légitimes à l'estime de nos semblables; mathématiques. L'immutabilité des distinctions morales n'a pas été seulement mise en question par les moralistes sceptiques, mais par quelques philosophes, qui, pour glorifier la Divinité, ont prétendu que le devoir n'était devoir que parce qu'il était ordonné par elle, ne voyant pas que ce qu'ils ajoutent à la puissance de la Divinité, ils le retranchent à sa justice, qui n'a plus de base si les distinctions morales ne sont point immuables et éternelles.

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et quand cette estime nous manque, nous croyons que nous sommes approuvés par le témoin invisible de toutes nos actions; nous anticipons les récompenses dont nous nous jugeons dignes, et nos regards se portent vers l'avenir avec confiance et espérance. Il ne faut pas confondre les remords qui accompagnent le crime avec les sentiments désagréables qui en sont inséparables. Le remords, qui implique pour le coupable le sentiment du démérite, est la terreur d'un châtiment futur. Le sentiment du mérite et du démérite est une preuve de la liaison que Dieu a établie entre la vertu et le bonheur; mais l'homme sage et vertueux ne doit pas attendre en sa faveur des interventions miraculeuses: il sait qu'une récompense lui est due; et quand elle lui échappe ici-bas, il recon

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La troisième partie du phénomène moral, consi

naît l'effet des lois générales de l'univers, il se soumet| sans murmure à l'ordre des choses, songe à l'avenir dérée exclusivement, a donné naissance à cette école et se console. C'est une erreur du vulgaire de croire que la bonne ou mauvaise fortune est attachée sur la terre au crime et à la vertu ; mais cette erreur naturelle et universelle est une preuve frappante de la liaison qui existe dans l'esprit humain entre les notions de bien et de mal et celles de mérite et de démérite.

de philosophes qui, convaincus du mérite absolu des actions vertueuses, et les trouvant mal appréciées par les hommes, se réfugient dans l'espoir d'une autre vie, et s'appliquent à mériter d'avance les récompenses futures de la justice divine. La troisième partie du fait moral en est la partie religieuse. On voit de suite que la morale religieuse présuppose la morale de la justice qu'elle accompagne, mais qu'elle ne constitue point. La religion est le complément et non la base de la justice. La justice même est plus indépendante de la religion que la religion de la justice, la partie intégrante du fait moral étant la loi absolue du devoir; celle-ci existe, ou du moins pourrait exister sans les circonstances qui l'accompagnent, mais les circonstances ne sont rien sans elle. Comme il y a des philosophes qui ont placé trop exclusivement la morale dans la religion, il y en a aussi qui ont trop séparé la religion de la morale, et qui, sans ôter à la vertu sa base, l'ont dépouillée de ses hautes perspectives, et l'ont involontairement affaiblie en la mutilant. La justice, ses jouissances et ses mérites, voilà la morale tout entière. Les trois parties du fait moral existent très-réellement, puisqu'on les retrouve isolément dans le cœur de tous les hommes et dans les livres des philosophes. Les âmes religieuses démontrent que le sentiment religieux est un fait incontestable. L'enthousiasme de la beauté morale démontre que la beauté morale n'est point une chimère; et l'àpre attachement de certains caractères à la loi absoluc du devoir, sans regard aux jouissances externes ou internes qu'elle procure, ni même à l'approbation et aux récompenses divines, cet attachement désintéressé prouve l'existence de la loi absolue du devoir. La psychologie morale, qui n'a aucune vue systématique, qui constate ce qui est et tout ce qui est, recueille ces trois phénomènes, les décrit avec les caractères qui leur sont propres, marque leurs rapports et leur harmonie, parce que cette harmonie est elle-même un fait; et le phénomène moral, ainsi analysé, rapproche tous les hommes vertueux en expliquant les différences de sentiment et de principes qui les séparent, et concilie toutes les doctrines morales dans le centre commun d'un sage éclectisme, où chacune d'elles rencontre son complément et sa perfection.

Tels sont les trois phénomènes distincts dont se compose le phénomène moral, selon M. DugaldStewart; j'ajoute que c'est pour ne l'avoir point embrassé dans toutes ses parties, et pour avoir considéré une de ces parties exclusivement à toutes les autres, que les philosophes ont été si longtemps divisés sur le principe constitutif de la morale. Comme il y a trois parties dans le fait moral, de même il y a trois systèmes qui correspondent à ces trois phénomènes. Le stoïcisme et le kantisme, ne considérant que la perception absolue du juste et de l'injuste, la loi immuable et éternelle du bien et du mal, négligent les deux circonstances qui accompagnent la notion du devoir, et se renferment dans cette inflexibilité morale qui n'est ni exagérée ni fausse, comme on l'a répété trop souvent, mais qui ne rend point compte du cœur humain tout entier. Le seul défaut de la morale de Zénon et de Kant est d'être exclusive; mais elle est très-vraie dans ce qu'elle admet, et si elle ne reproduit pas toutes les parties du fait moral, elle établit admirablement la partie fondamentale de ce fait, sans laquelle les deux autres ne peuvent avoir lieu. D'un autre côté, les disciples de Socrate, Platon, Shaftesbury, Rousseau, Mendelsohn, frappés de ce phénomène singulier de bonheur attaché à l'exercice de la justice, se sont plus occupés du beau que du sublime en morale. Mais cette école, qui se recommande par un enthousiasme si noble et si pur, ne l'établit pas toujours assez rigoureusement, et tombe quelquefois dans la déclamation. On a fait contre la morale de cette école, qu'on peut appeler la morale du sentiment, une objection assez spécieuse, qui tend à la ramener, par un détour, à la morale de l'intérêt. Chercher les plaisirs de la vertu, a-t-on dit, c'est encore chercher le plaisir ; c'est l'amour-propre sous une autre forme, un égoïsme un peu plus délicat, le raffinement et la perfection de l'épicurisme. C'est toujours l'intérêt, mais l'intérêt bien entendu. Voici ma réponse: Sans doute le bonheur le plus pur, la Après avoir décrit le principe moral, l'obligation volupté la plus exquise, sont attachés à l'exercice de qu'il implique et les trois faits qu'il comprend, M. Dula vertu, mais de la vertu désintéressée; c'est là ce gald-Stewart passe à quelques autres principes partiqu'il faut bien saisir et la vertu n'est plus désinté- culiers, qui concourent avec le principe moral, et ressée quand on ne la pratique point pour elle-même, facilitent son action. Les principes les plus importants mais pour ses résultats, qui nous échappent alors; de cette espèce sont : 1o le regard à l'opinion, ou la de sorte que le moyen infaillible de manquer les plaisirs décence; 2o la sympathie; 3o le sentiment du ridicule; de la vertu, c'est de les rechercher immédiatement. 4o le goût; 5o l'amour-propre. L'auteur revient sur ce

dernier principe, qui, dans l'économie morale, sert | l'action, dont elle nous manifeste le caractère obligaà la vertu. Nous ne suivrons pas l'auteur dans les dé-toire. Quand la loi est accomplie, le principe du mérite veloppements intéressants auxquels il se livre sur cha- et du démérite intervient, qui apprécie les efforts et cun de ces principes: son objet spécial est de montrer les sacrifices de l'agent moral, et lui distribue à proque ces principes accessoires secondent le principe portion le blame ou l'éloge; de sorte que tous les demoral, mais ne peuvent le constituer; et cette impos-voirs, quoique également obligatoires en eux-mêmes, sibilité a été suffisamment démontrée d'avance par l'analyse fidèle et complète de la perception morale. M. Dugald-Stewart termine la première partie de son ouvrage par quelques mots sur la liberté, qui se trouvent dans tous les livres de métaphysique. Je ne les répéterai point ici : l'auteur avoue lui-même qu'il indique son opinion sans la prouver; et je ne crois pas qu'elle ait besoin de preuve; car si la liberté n'est pas sentie irrésistiblement, c'est une chimère à laquelle aucun argument ne pourra donner de la réalité.

Suivons maintenant M. Stewart dans l'analyse de nos devoirs particuliers, c'est-à-dire dans les détails qui composent la seconde partie de son ouvrage.

n'ayant pas toujours imposé à la passion ou à l'amourpropre les mêmes sacrifices, ont plus ou moins mérité ou démérité. La loi qui oblige un homme riche à rendre à son ami malheureux les soins qu'il en reçut jadis est la même que celle qui oblige le citoyen à se déchirer les entrailles quand la patrie a parlé, qui envoie Régulus mourir à Carthage, et qui expose le sein de d'Assas aux baïonnettes de l'ennemi. Ces devoirs sont égaux, puisqu'ils sont devoirs; mais leur accomplissement n'est pas également méritoire. Pour avoir méconnu le principe du mérite et du démérite, le stoïcisme s'est ruiné lui-même, et cette haute morale n'a été qu'un système philosophique, quand elle eût pu devenir une Le principe moral obligatoire établi, M. Dugald- des formes de l'humanité. Kant aurait dû méditer plus Stewart recherche quels sont les différents objets aux-longtemps l'exemple de Zénon et les résultats de sa quels il s'applique. Il entre dans l'examen de nos doctrine. Moins forte, mais plus prudente que le pordevoirs particuliers; et d'abord il écarte les systèmes tique et le criticisme, l'école écossaise, en reconnaisqui tirent tous les devoirs d'un devoir unique, soit sant la loi du devoir, ne rejette point celle du mérite l'amour-propre, soit la bienveillance; il attribue ces ou du démérite; peut-être trop peu absolue pour l'esdifférents systèmes à la manie de l'unité, et montre prit humain, cette sage école se contente de prévenir qu'en voulant ramener tous les devoirs à un seul, on les écarts systématiques et de repousser les fausses est contraint d'en défigurer un grand nombre pour les théories, sans atteindre toujours à leur véritable racine. soumettre au principe unique, et de détruire ceux qui Ici, comme ailleurs, M. Dugald-Stewart, sans assigner résistent à ces transformations systématiques; mais il l'origine philosophique des systèmes qui font dériver n'atteint pas le vrai principe du mal, qui est et plus les devoirs d'un devoir unique, condamne ces tentaprofond et plus funeste. La plupart des philosophes tives ambitieuses, et adopte la division ordinaire, qui ayant rejeté ou négligé la notion absolue du devoir, et classe les devoirs par rapport à leurs objets les plus n'ayant pu voir, par conséquent, que tous les devoirs importants, savoir : Dieu, les autres et nous-mêmes. particuliers sont également obligatoires par leur rap- Avant d'examiner les devoirs de l'homme envers port immédiat au devoir absolu, ont cherché à trans-Dieu, M. Dugald-Stewart établit d'abord l'existence porter l'obligation des uns aux autres, en en faisant une de Dieu. C'est ici la théologie naturelle de l'école écoschaine rattachée à un devoir spécial, qui engendre et saise. qui soutient tous les autres. Mais les devoirs sont égaux, quoiqu'ils soient différents; ils ont la même autorité, puisqu'ils obligent immédiatement et par eux-mêmes; et c'est l'abus de cette vérité qui avait produit le principe stoïque, que les fautes sont égales parce que les devoirs sont égaux. En effet, toutes les fautes sont également des fautes, c'est-à-dire des infractions à la loi absolue du devoir, contenue tout entière dans chaque devoir particulier; mais toutes les fautes ne déméritent pas également, comme toutes les vertus ne sont pas également méritoires. La loi du devoir n'admet ni plus ni moins en présence de telle ou telle action; elle éclaire et elle oblige; elle ne s'occupe ni des difficultés, ni des moyens, ni des suites; elle ne calcule point avec Hume emploie constamment une méthode fautive nous, elle nous commande; parce qu'elle n'a pas, à en elle-même, et dangereuse par ses conséquences. Au proprement parler, de rapport avec nous, mais avec lieu de constater d'abord, en observateur sévère, quels

Du milieu des preuves diverses employées pour établir l'existence de Dieu, M. Dugald-Stewart, après Reid, dégage les deux arguments ou principes sur lesquels elle repose, savoir le principe de causalité et celui des causes finales. Une fois que ces principes sont établis et leur autorité absolue démontrée, la religion naturelle est hors de péril. Il s'agit donc d'établir solidement le principe de causalité et celui des causes finales.

Hume est le premier qui, en réduisant la notion de cause à l'idée de succession, a détruit l'autorité du principe de causalité, et, par là, ébranlé toutes les existences qui reposent sur ce principe.

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