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APPENDICE.

Puisque je me suis hasardé à publier les deux pro- | depuis se sont bien modifiées, mais qui nous intéresgrammes de mes leçons à l'école normale pendant sent encore par les efforts qu'elles nous ont coûté, et les années 1817 et 1818, j'irai jusqu'au bout, et je les recherches sincères, animées et persévérantes demande la permission de donner ici une idée des travaux intérieurs de l'école normale en philosophie depuis 1815 jusqu'en 1820, pendant cette trop courte période où, dans une obscurité profonde, maître et élèves, également faibles, mais pleins de zèle, nous nous occupâmes sans relâche de la réforme des études philosophiques.

dont elles sont le résultat. C'est sous cette discipline austère et en même temps exempte de tout mécanisme étroit, que nous nous sommes tous formés; et, en vérité, si je ne m'abuse, plusieurs de mes amis me doivent quelque affection pour mes sévérités d'alors, pour leur avoir si souvent fait recommencer leurs compositions imparfaites, exigé plus de précision dans les détails ou plus de liaison dans l'ensemble, surtout pour avoir essayé de leur inculquer profondément l'esprit de la méthode philosophique, ce sens psychologique, cet art de l'observation intérieure sans lequel l'homme reste inconnu à l'homme, et la philosophie n'est qu'un assemblage de conceptions mortes et de formules arbitraires plus ou moins ingénieuses, hardies, étendues, mais toujours sans réalité. Pour moi, je reconnais de mon côté que l'exigeante ardeur de la conférence m'a été souvent utile, et j'aime à consigner ici l'expression de mes regrets pour cette époque si tranquille et si studieuse de ma vie.

L'enseignement de l'école normale comprenait trois années, après lesquelles les élèves étaient envoyés en province pour occuper les chaires vacantes. Maitre des conférences philosophiques de la troisième année, j'avais à les préparer à l'importante mission qui les attendait. Tous les élèves de troisième année suivaient mon cours, mais il était particulièrement destiné au petit nombre de ceux qui se vouaient à la carrière philosophique. C'étaient ceux-là qui portaient le poids des travaux de la conférence; c'étaient eux aussi qui en faisaient tout l'intérêt. Ils assistaient à mes leçons de la faculté des lettres où ils pouvaient recueillir des idées plus générales, respirer le grand air de la pu- Chaque année, vers Pâques, le conseil royal de blicité et y puiser le mouvement et la vie. Dans l'in-l'instruction publique envoyait quelques-uns de ses térieur de l'école, l'enseignement était plus didactique membres pour examiner les études des différentes et plus serré; le cours portait le nom de conférences années de l'école. Les examens de la conférence de et le méritait, car chaque leçon donnait matière à une philosophie de troisième année étaient ordinairement rédaction sur laquelle s'ouvrait une polémique à la-présidés par le chef de l'instruction publique, à cette quelle tout le monde prenait part. Formés à la méthode philosophique, les élèves s'en servaient avec le professeur comme avec eux-mêmes; ils doutaient, résistaient, argumentaient avec une entière liberté, et par là s'exerçaient à cet esprit d'indépendance et de critique qui, j'espère, portera ses fruits. Une confiance vraiment fraternelle unissait le professeur et les élèves si les élèves se permettaient de discuter l'enseignement qu'ils recevaient, le professeur aussi s'autorisait de ses devoirs, de ses intentions et de son amitié pour être sévère. Nous aimons tous aujourd'hui à nous rappeler ce temps de mémoire chérie où, ignorant le monde et ignorés de lui, ensevelis dans la méditation des problèmes éternels de l'esprit humain, nous passions notre vie à en essayer des solutions qui

:

époque, M. Royer-Collard, qui, comme philosophe et comme homme d'État, prenait un double intérêt à nos travaux, et ne dédaignait point d'amener ses plus illustres amis dans la salle modeste de nos conférences. Plus d'une fois notre humble enceinte a vu reunies autour de M. Royer-Collard toutes les lumières du conseil royal de l'instruction publique, du conseil d'État et de l'Institut, MM. de Serre, Camille Jordan, Cuvier, Maine de Biran, de Gérando, Ampère, et M. l'abbé Frayssinous, qui nous honorait aussi de ses objections et de ses conseils. Ces examens encourageaient puissamment le professeur et les élèves, et leur fournissaient des inspirations et des directions utiles. Ils se faisaient sur un programme donné par le professeur.

Le recueil de ces programmes, et des thèses qui s'y rattachent, ne serait peut-être pas sans quelque intérêt pour l'histoire de la philosophie en France,

de 1815 à 1820.

A la fin de l'année les meilleurs élèves présentaient L'année 1817 amena dans mon auditoire une foule pour le doctorat des thèses philosophiques empruntées de jeunes gens pleins d'ardeur et de mérite, excités ordinairement à l'enseignement de l'année. Ces thèses par les succès de leurs devanciers; il se fit un assez étaient le complément et le couronnement de nos tra- grand nombre de thèses sur la notion du temps, sur la vaux. Soutenues publiquement à la faculté des lettres, faculté morale, sur le principe du mérite et du déméelles portaient au grand jour l'enseignement de l'école, rite, sur l'intérêt personnel, comme principe de morale. et provoquaient une polémique où plusieurs élèves de La meilleure de toutes fut celle de M. Fribault, sur la l'école normale parurent avec le plus grand succès. métaphysique de la géométrie. M. Fribault était sans contredit le premier élève de cette conférence. Trèsinstruit en physique et en mathématiques, il songeait surtout à appliquer la méthode philosophique à tout ce qui regarde le monde extérieur; mais il ne fit que En repassant dans ma mémoire les travaux de ces les premiers pas dans cette route difficile, et mourut cinq années, et pour ainsi dire les différentes géné- au bout de quelques années, à la fleur de l'âge, au rations d'élèves que chaque année amenait à mes milieu des succès toujours croissants de son enseigneleçons, je rencontre d'abord cette première confé- ment s'il eût vécu, il eût été un des plus utiles rence de 1815 et 1816 où furent jetés dans l'école défenseurs de la vraie méthode philosophique. Sa thèse les fondements de la réforme philosophique et les étant la seule chose qu'il ait laissée, nous la donnesemences des idées nouvelles. C'était la première | rons ici pour qu'il reste au moins un souvenir, quelque année de notre enseignement, la plus faible par le faible qu'il soit, d'un des élèves les plus distingués professeur, la plus forte par les élèves. Au premier de l'école normale. rang, soit aux examens, soit aux thèses, se distinguèrent trois jeunes gens qui dès lors excitèrent la plus vive attente; plus tard, comme professeurs, ils la remplirent dignement, et ils la rempliront encore comme écrivains. Ce sont MM. Beautain, Jouffroy et Damiron.

A côté de l'école normale, dans l'auditoire de la faculté étaient aussi des jeunes gens qui, au-dessous des élèves de l'école par leur âge et leur instruction, et suivant encore les cours de philosophie des colléges, essayaient en même temps de profiter de l'enseignement plus élevé et plus difficile de la faculté. Depuis, ces jeunes gens ont fait des hommes qui rivalisent avec les meilleurs élèves de l'école, par l'étendue de leurs connaissances et de leur intelligence en toutes choses et par leur excellente direction. Tout jeunes alors, mais déjà passionnés pour la philosophie, ils se distinguaient dans les concours des colléges et remportaient toutes les palmes académiques. Ce sont MM. Ampère, Ch. Paravey, Fr. Carré, E. Burnouf, G. Farcy, Alletz, et plusieurs autres qui déjà se font honoralement connaître.

M. Beautain présenta pour le doctorat une thèse sur le Phénoménisme et le Réalisme car alors nous étions singulièrement tourmentés de la difficulté et du besoin d'arriver légitimement à quelque chose de réel et de substantiel, au milieu de ce monde mobile de phénomènes extérieurs et intérieurs. M. Jouffroy choisit pour sujet de thèse le principe de causalité, et M. Damiron le principe des substances. On voit que ce n'étaient pas les graves problèmes qui nous manquaient. Nos solutions n'avaient peut-être pas une grande portée; mais elles se distinguaient, je crois, par une assez grande rigueur de méthode; mon enseignement était alors plus critique que dogmatique. Exclusivement occupé d'introduire dans la métaphysique la méthode des sciences naturelles, je ne dépassais guère les limites de la psychologie; et au-ou maîtres de conférences à l'école normale, nos jourd'hui même je suis loin de me repentir de cette circonspection; car, avant tout, c'est l'esprit qu'il faut féconder, et ce qui féconde l'esprit c'est la méthode. Avec la méthode on ne fait point de secte, mais on peut communiquer un mouvement utile.

Je m'aperçois que j'ai été plus long que je ne l'avais voulu, et que je me suis laissé aller avec le public à des confidences et à des détails de famille dont il m'aurait volontiers dispensé. Mais qui n'aime à parler des temps heureux de sa vie? Et pour nous, élèves

jours heureux sont ceux de nos obscurs travaux à notre école bien-aimée. Là se faisait un peu de bien en silence. Puisse-t-il n'avoir pas péri avec l'école, et la rappeler quelquefois aux amis des lettres et de la philosophie !

DISSERTATION

SUR

LA METAPHYSIQUE DE LA GÉOMÉTRIE,

PAR M. VINCENT-AUGUSTIN FRIBAULT.

Toutes les sciences sont l'ouvrage de l'esprit hu- | trie. Il faut distinguer deux sortes de principes géomain travaillant sur certaines données, à l'aide de métriques qui ont été trop souvent confondus, les certains principes, suivant certaines méthodes, avec uns improductifs, les autres productifs; les uns destelle ou telle de ses facultés et de leurs lois; examiner quels on ne tire aucun résultat, mais sans lesquels les données que peut supposer une science, les prin- tout résultat serait impossible à obtenir; les autres, cipes sur lesquels elle repose, les méthodes qu'elle au contraire, qui renferment en eux toute la géomésuit, les facultés et les lois de l'esprit qui peuvent concourir à sa formation, c'est faire sa métaphysique. Cela posé, il me sera facile de déterminer tout ce que peut et doit comprendre une dissertation sur la métaphysique de la géométrie.

trie; les premiers sont les axiomes; les seconds sont les définitions. Qu'on passe en revue tous les théorèmes de la géométrie, on se convaincra facilement que les axiomes et les définitions jouent toujours le rôle que nous venons d'indiquer ici; on verra que la géométrie, quoique sans les axiomes elle ne puisse exister, n'est pas cependant bornée aux axiomes; on verra en même temps que le géomètre, quoiqu'il ne puisse rien tirer des axiomes, ne pourrait, sans eux, obtenir aucun résultat ; on verra enfin que la géométrie tout entière sort des définitions avec le secours des axiomes.

Qu'est-ce que la géométrie? C'est une science qui a pour objet la mesure de l'étendue. Chaque proposition géométrique n'est autre chose que l'expression d'une propriété de l'étendue; la géométrie suppose donc d'abord la conception de l'étendue. Mais ce n'est point seulement telle ou telle étendue que le géomètre considère, c'est toutes les étendues réelles et possibles qu'il est donné à l'intelligence de con- Après avoir examiné les principes d'une science, cevoir dans l'espace; le géomètre doit donc admettre il est naturel de passer aux méthodes avec lesquelles non-seulement l'étendue, mais encore l'espace; il l'intelligence humaine tire cette science des principes doit admettre non-seulement un espace déterminé qui la renferment. Il existe diverses méthodes suivies qui renferme un corps donné, mais encore un espace par les géomètres, soit pour la solution des proinfini qui contienne tous les corps réels et possibles.blèmes, soit pour la démonstration des théorèmes, Otez la conception de l'étendue, toute la géométrie et l'examen des définitions et des axiomes doit être est renversée; ôtez la conception de l'espace, toute suivi de l'énumération et de la description de ces la géométrie n'est plus que la réunion des propriétés méthodes.

de certaines grandeurs renfermées dans des espaces Enfin, une fois les méthodes géométriques énumédéterminés, et non ce qu'elle est réellement, c'est-rées et décrites, il restera à reconnaître toutes les à-dire, l'ensemble des propriétés de toutes les gran- facultés et les lois de l'intelligence qui peuvent condeurs réelles et possibles; les conceptions d'étendue courir à la formation de la géométrie, tant celles qui et d'espace peuvent donc être regardées comme les peuvent être nécessaires pour l'établissement des prindonnées géométriques, données sans lesquelles la cipes que celles dont les méthodes ne sont, en quelque géométrie ne saurait exister, et l'examen de ces don-sorte, que les divers modes d'exercice. nées doit être la première partie de cette dissertation.

Ainsi :

Après l'examen de ces données, vient naturelle- 1o L'examen des conceptions d'étendue et d'espace, ment celui des principes sur lesquels repose la géomé- | données géométriques ;

90 L'examen des axiomes, principes sans lesquels | présenteront à la place qu'elles doivent occuper dans ne peut exister la géométrie ; cette dissertation.

5o L'examen des définitions, principes desquels se tire toute la géométrie ;

4° L'examen des méthodes que suivent les géomètres ;

5o L'examen des facultés et des lois de l'esprit qui peuvent concourir à la formation de la géométrie.

Tels sont, à ce qu'il me semble, tous les objets que peut et doit embrasser une dissertation sur la métaphysique de la géométrie.

DONNÉES GÉOMÉTRIQUES OU CONCEPTIONS DE L'étendue et
DE L'ESPACE.

Les conceptions de l'étendue et de l'espace peuvent être examinées, comme toutes les connaissances humaines, ou dans le sujet qui les possède, ou relativement à leur objet.

Si on les envisage sous le premier point de vue, on peut se demander Quels sont leurs caractères Je n'entreprendrai point de passer tous ces objets actuels, et quelle est leur origine? Si on les envisage en revue; ni mon temps, ni mes forces, ni les bornes sous le deuxième point de vue, on recherche si leurs de cette thèse ne me le permettent je laisserai en-objets ont une existence réelle, si nous passons légitièrement de côté la quatrième et la cinquième partie, et je ne résoudrai point toutes les questions que peuvent offrir les trois premières.

On a souvent agité et l'on agite encore cette question: Quelle est la part de l'expérience dans les connaissances humaines? Suivant les uns, toutes nos connaissances dérivent de l'expérience sensible; toutes nos connaissances ont été primitivement des notions individuelles sensibles, et elles ne sont autre chose que les résultats de l'abstraction et de la généralisation opérant sur ces notions; suivant les autres, il n'est point, il est vrai, de connaissances que l'esprit puisse acquérir indépendamment de toute expérience; mais il y a des connaissances que l'expérience seule ne saurait engendrer.

A laquelle de ces deux philosophies la géométrie est-elle favorable? Les données et les principes de la géométrie peuvent-ils être dérivés de l'expérience seule, ou, s'ils ne sont pas empiriques, l'intelligence humaine pourrait-elle cependant les posséder sans le secours de l'expérience? Enfin, quelle est la part de l'expérience dans la géométrie? Telle est la question que mon intention est surtout de résoudre.

timement de la connaissance à l'existence, si nous avons raison de croire aux choses auxquelles nous croyons. Ainsi, quels sont les caractères actuels des conceptions d'étendue et d'espace?

Quels ont été leurs caractères primitifs ? Avons-nous raison de croire à l'étendue et à l'espace auxquels nous croyons?

Telles sont les trois questions que présente l'examen des conceptions de l'étendue et de l'espace.

Je laisserai de côté la troisième pour rechercher les caractères actuels, et surtout les caractères primitifs, d'abord de la conception d'étendue, ensuite de la conception d'espace.

Je rechercherai les caractères actuels de chaque conception avant de rechercher leurs caractères primitifs; il me semble plus prudent de constater l'actuel avant de rechercher le primitif, que de rechercher le primitif avant d'avoir constaté l'actuel. En effet, qu'on veuille d'abord rechercher le primitif, on sera forcé de faire une hypothèse, et lorsque, partant de cette hypothèse, on essayera de reproduire l'actuel, on sera forcé d'en faire une seconde pour confirmer la première, de sorte que l'actuel et le primitif pourront être à la Il est une autre question célèbre que l'examen des fois hypothétiques. Qu'on commence au contraire par axiomes me fournira l'occasion de rencontrer, mais rechercher l'actuel, on n'aura point d'hypothèse à à laquelle je m'arrêterai peu, c'est celle de l'identité faire, on aura des faits à observer; lorsqu'on aura de nos connaissances. Les uns veulent que toutes les découvert tous les caractères dont sont marquées acpropositions soient identiques; les autres admettent tuellement les connaissances humaines, il sera plus des propositions non identiques; il n'y a point un ju- facile de découvrir ceux dont elles étaient marquées gement, suivant les premiers, qui ne soit soumis à la primitivement; et, dans le cas où le primitif ne pourra loi d'identité; il y a, suivant les seconds, des juge-être découvert, l'actuel du moins restera tout enments soumis à cette loi et des jugements qui ne lui sont tier. point soumis. Je pourrais discuter à fond cette question à l'occasion des axiomes géométriques, mais j'aime mieux n'en parler qu'en passant pour traiter dans toute son étendue la question que j'ai énoncée plus haut; savoir: Quelle est la part de l'expérience dans la géométrie?

J'indiquerai toutes les questions que peut offrir mon sujet et que je ne résoudrai pas, suivant qu'elles se

Conception de l'étendue.

Il n'est personne aujourd'hui qui ne croie à certaines qualités des objets externes ; savoir: l'étendue et la figure; ce n'est point une croyance nécessaire, mais une croyance naturelle, une croyance irrésistible, telle que la croyance à la stabilité des lois de la nature, etc.

l'étendue; quels ont été ses caractères primitifs? Peut-elle dériver logiquement de l'expérience sensible

ou non?

Tels sont les caractères actuels de la croyance à objets sont hors de moi. Pour que mes modifications me fissent concevoir des objets externes, il faudrait qu'à tout fait je dusse concevoir une cause; or, dans l'état où je suis par hypothèse, un fait pour moi n'appelle point sa cause; je ne sais pas ce que c'est qu'une cause; il se passe en moi certains faits, conscience les aperçoit, il n'y a rien de plus pour moi.

Avant de répondre à cette question, avant de rechercher comment peut naître en nous la conception d'une qualité des objets externes, il est une autre question à résoudre Comment atteignons-nous ces objets externes eux-mêmes? Comment sortons-nous de nous-mêmes? Entre nous et le monde extérieur est un intervalle immense; et, si l'on admet le monde extérieur, il faut l'avoir obtenu d'une manière rigou

reuse.

Avant de rechercher l'origine de la conception d'étendue, cherchons ce qui nous fait sortir de nousmêmes, et, pour mieux le découvrir, concevons un instant séparées notre intelligence et notre sensibilité, et nous serons ainsi à même de reconnaître jusqu'où va la puissance de chacune d'elles.

Je me suppose donc encore non sorti de moi-même dépourvu de toute faculté et de toute loi intellectuelle, sans autre faculté que la sensibilité, c'est-à-dire la capacité interne de sentir.

Autour de moi sont placés des corps dont j'ignore l'existence; je suis muni d'organes sensibles qui me sont aussi inconnus; dans cet état, que pourrai-je connaitre ? Quelle chose existera pour moi? Sortirai-je de moi-même ?

ma

Ainsi, pourvu seulement de la sensibilité et de la conscience, je n'atteindrai point le Non-Mot; pour cela il faudrait l'intervention d'une loi nécessaire de l'intelligence, la loi de causalité. Je suppose la loi de causalité réunie à la sensibilité et à la conscience, et je vais atteindre le NON-MOI.

La sensibilité éprouve une modification, ma conscience me l'atteste ; je crois que cette modification a une cause, car je suis soumis à la loi de causalité ; je suis certain que je ne suis pas cette cause, conscience me l'atteste; donc cette cause est hors de moi.

ma

La loi de causalité m'a donc révélé le NON-MOI ; cette loi me force de concevoir des causes externes à mes modifications internes, que je n'ai pas causées moimême. Quelles sont ces causes? Quelle est leur nature? Quelles sont leurs propriétés? Leurs propriétés peuvent-elles m'être révélées par la loi de causalité ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord déterminer ce que signifie ce mot propriétés. On a rangé en deux En présence de tous les corps, à l'aide de tous les classes toutes les propriétés des objets externes; on a organes sensibles, de la vue et du tact, comme de distingué certaines propriétés à l'existence desquelles l'ouïe, de l'odorat et du goût, ma sensibilité éprou-nous croyons, mais qui nous sont entièrement inconvera mille et mille modifications qui non-seulement nues, telles sont l'odeur, la saveur, la chaleur et ne me feront pas sortir de moi-même, mais qui me seront même inconnues; je ne pourrai point connaître les modifications de ma sensibilité, puisque je ne connaîtrai point ma sensibilité elle-même, dépourvu, comme je suppose que je le suis, de toute faculté de connaître, et par conséquent de la conscience.

Il n'existera donc rien pour moi, réduit à la sensibilité. A la sensibilité je joins la conscience; que connaitrai-je alors?

Aussitôt que la conscience sera réunie à la sensibilité, toutes mes modifications internes, qui tout à l'heure m'étaient cachées, m'apparaîtront marquées chacune de leurs caractères divers, les unes douces et agréables, les autres fortes et pénibles. En un mot, doué non-seulement de la sensibilité, mais encore de la conscience, je saurai tout ce qui se passera en moi. De ce que je saurai tout ce qui se passera en moi, serai-je forcé de concevoir quelque chose hors de moi? Percevant ces modifications internes, sortirai-je de moi-même? Je ne le crois pas; je ne crois pas que mes modifications toutes seules puissent m'apprendre qu'elles ont été produites par certains objets et que ces

certaines autres que non-seulement nous croyons exister, mais encore que nous connaissons : telles sont l'étendue, la figure, etc.; les unes ont été appelées qualités premières, et les autres qualités secondes. Si, dans la question qui a été posée plus haut, il s'agit des qualités secondes, la loi de causalité me les révélera; s'il s'agit, au contraire, des qualités premières, la loi de causalité ne me les révélera pas.

Aussitôt que ma sensibilité éprouve quelques modifications et que la loi de causalité me force de leur concevoir des causes externes, les caractères divers dont elles sont marquées me forcent d'attribuer aux causes que je leur conçois des propriétés diverses qui correspondent à ces caractères; ainsi je conçois hors de moi des causes odorantes, savoureuses, chaudes, etc., qui fassent naître en moi les modifications diverses que nous avons appelées sensations d'odeur, de saveur, de chaleur; mais toutes ces causes odorantes, savoureuses, chaudes, sont-elles matérielles ou immatérielles? sont-ce des esprits ou des corps? Je ne puis le savoir; il n'est aucune sensation qui me force de concevoir une cause étendue et figurée; ce qui pourra paraître évident à

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