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on ne peut pas dire que ceux qui sont divers, et qui ne sont en aucune façon compris dans la notion l'un de l'autre, conviennent à un seul et même sujet : car c'est de même que si l'on disoit qu'un seul et même sujet a deux natures diverses; ce qui enferme une manifeste contradiction, au moins lorsqu'il est question, comme ici, d'un sujet simple, et non pas d'un sujet composé. Mais il y a ici trois choses à remarquer, lesquelles si cet écrivain eût bien entendues, jamais il ne seroit tombé en des erreurs si manifestes.

La première est qu'il est de la nature du mode que bien que nous puissions concevoir aisément la substance sans lui, nous ne pouvons pas toutefois réciproquement concevoir clairement le mode sans concevoir en même temps la substance dont il dépend et dont il est le mode, comme j'ai expliqué en l'article soixante-unième de la première partie de mes Principes; et en cela tous les philosophes conviennent. Or il est manifeste que notre auteur n'a pas pris garde à cette règle, par ce qu'il dit en l'article cinquième; car il avoue lui-même en ce lieu-là que nous pouvons douter de l'existence du corps, lors même que nous ne doutons point de l'existence de l'esprit : d'où il suit que l'esprit peut être conçu sans le corps, et partant que ce n'en est pas un mode.

La seconde chose que je désire que l'on remar

que ici, est la différence qu'il y a entre les êtres simples et les êtres composés; car cet être-là est composé, dans lequel se rencontrent deux ou plusieurs attributs, chacun desquels peut être conçu distinctement sans l'autre; car de cela même que l'un est ainsi conçu distinctement sans l'autre, on connoît qu'il n'en est pas le mode, mais qu'il est une chose ou l'attribut d'une chose qui peut subsister sans lui. L'être simple au contraire est celui dans lequel on ne remarque point de semblables attributs : d'où il paroît que ce sujet-là est simple, dans lequel nous ne remarquons que la seule étendue, et quelques autres modes qui en sont des suites et des dépendances, comme aussi celui dans lequel nous ne reconnoissons que la seule pensée, et dont tous les modes ne sont que des diverses façons de penser; mais que celui-là est composé, dans lequel nous considérons l'étendue jointe avec la pensée, c'est à savoir l'homme, qui est composé de corps et d'âme, lequel notre auteur semble ici avoir pris seulement pour le corps, dont l'esprit est un mode.

Enfin il faut remarquer ici que dans les sujets qui sont composés de plusieurs substances, souvent il y en a une qui est la principale, et qui est tellement considérée que tout ce que nous lui ajoutons de la part des autres n'est à son égard autre chose qu'un mode, ou une façon de la con

sidérer. Ainsi un homme habillé peut être considéré comme un certain tout composé de cet homme et de ses habits; mais être habillé, au regard de cet homme, est seulement un mode ou une façon d'être sous laquelle nous le considérons, quoique ses habits soient des substances. C'est ainsi que notre auteur a pu dans l'homme, qui est composé de corps et d'âme, considérer le corps comme la principale partie, au respect de laquelle être animé, ou être capable de penser, n'est rien autre chose qu'un mode; mais il est ridicule d'insérer de là que l'âme même, ou ce principe par lequel le corps est dit être capable de penser, n'est pas une substance différente du corps.

Il tâche après cela de confirmer ce qu'il a dit par ce syllogisme: Tout ce que nous pouvons concevoir peut aussi être. Or est-il que nous pouvons concevoir que l'esprit humain soit, ou une substance, ou un mode de la substance corporelle; car il n'y a en cela aucune contradiction: donc l'esprit humain peut être l'une ou l'autre de ces deux choses. Sur quoi il faut remarquer que cette règle, à savoir, Que tout ce que nous pouvons concevoir peut aussi être, quoiqu'elle soit de moi, et véritable toutes et quantes fois qu'il s'agit d'une conception claire et distincte, laquelle enferme la possibilité de la chose qui est conçue, à cause que Dieu est capable de faire tout ce que nous sommes capables de con

cevoir clairement comme possible; cette règle, dis-je, ne doit pas être témérairement usurpée, pourcequ'il peut aisément arriver que quelqu'un croira entendre et apercevoir clairement quelque chose, laquelle néanmoins, à cause de quelques préjugés dont il est prévenu et comme aveuglé, il n'entendra et n'apercevra point du tout. Et c'est ce qui est arrivé à cet auteur, lorsqu'il a prétendu qu'il n'y avoit point de contradiction qu'une seule et même chose eût l'une ou l'autre de deux natures entièrement diverses, c'est à savoir, qu'elle fût ou une substance ou un mode. A la vérité s'il eût seulement dit qu'il ne voyoit point de raison pourquoi l'esprit humain dût plutôt être estimé une substance incorporelle qu'un mode de la substance corporelle, son ignorance auroit pu être excusée. Si d'ailleurs il avoit dit qu'il n'est pas possible à la raison humaine de trouver jamais aucune preuve par laquelle on puisse démontrer que l'esprit humain soit l'un plutôt que l'autre, certes son arrogance seroit blâmable, mais du moins il n'y auroit point de contradiction en ses paroles. Mais en disant, comme il fait, qu'il ne répugne point à la nature des choses qu'une même chose soit une substance ou un mode, il dit des choses qui se contredisent, et fait paroître en cela l'absurdité de son esprit.

Dans le troisième article, il

expose le jugement

l'es

qu'il fait de moi; car c'est moi qui ai écrit que prit humain peut être clairement et distinctement conçu comme une substance différente de la substance corporelle: et quoique cet auteur n'allègue point d'autres raisons que celles que j'ai fait voir en l'article précédent enfermer tant de contradictions, il ne laisse pas de prononcer hardiment que je me trompe. Mais je ne veux pas m'arrêter à cela, ni m'amuser à examiner ces mots d'actuellement ou par nécessité, lesquels contiennent quelque ambiguïté, car ils ne sont pas de grande importance.

Je ne veux pas non plus examiner les choses qui, dans l'article quatrième, concernent la sainte Écriture, de peur qu'il ne semble que je me veuille attribuer le droit de juger de la religion d'autrui. Mais je dirai seulement qu'il y a trois genres de questions qu'il faut ici bien distinguer. Car, il y a des choses qui ne sont crues que par la foi, comme sont celles qui regardent le mystère de l'incarnation, de la trinité, et semblables. Il y en a d'autres qui, bien qu'elles appartiennent à la foi, peuvent néanmoins être recherchées par la raison naturelle, entre lesquelles les théologiens ont coutume de mettre l'existence de Dieu et la distinction de l'âme humaine d'avec le corps; enfin il en a d'autres qui n'appartiennent en aucune façon à la foi, mais qui sont seulement soumises à la re

y

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