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grande raison de penser que le soleil et les étoiles fixes n'ont point d'autre forme que celle du premier élément tout pur; les cieux, celle du second, et la terre avec les planètes et les comètes, celle du troisième. Et pour les corps mêlés, nous n'en apercevons en aucun autre lieu que sur la superficie de la terre; et si nous considérons que tout l'espace qui les contient, à savoir, tout celui qui est depuis les nues les plus hautes jusques aux fosses les plus profondes, est extrêmement petit à comparaison de toute la terre et des immenses étendues du ciel, nous pourrons facilement nous imaginer que ces corps mêlés ne sont tous ensemble que comme une petite écorce qui s'est engendrée au-dessus de la terre, par l'agitation et le mélange de la matière du ciel qui l'environne; de sorte qu'il ne peut y avoir de corps mêlés ailleurs que sur les superficies de ces grands corps; mais il semble que là il faille de nécessité qu'il y en ait: car les éléments étant chacun de nature fort contraire, il ne se peut faire que deux d'entre eux s'entretouchent, sans qu'ils agissent contre les superficies l'un de l'autre, et donnent ainsi à la matière qui y est les diverses formes de ces corps mêlés.

16. C'est assez pour ce coup vous entretenir du gros de mon système : je reviens à vos difficultés qui doivent, ce me semble, être maintenant levées. Je demeure d'accord avec vous que chaque partie

de la matière du premier élément, la plus petite qui soit, considérée dans l'état qu'elle est au moment qu'on la considère, est figurée, et aussi solide qu'elle puisse être; mais vous ne devez pas confondre la notion de solide avec celle de dur. Car, par exemple, le soleil est très solide, et néanmoins il est le corps le moins dur, et le plus liquide qui soit, puisqu'il est composé de la matière la plus subtile, la plus fluide et la plus pénétrante que nous puissions imaginer; et dont chaque partie prise à part, et considérée toute seule, ne doit pas non plus être appelée dure, à cause qu'elle n'a point de grosseur ni de figure déterminée, mais qu'elle se peut diviser à tous moments en plusieurs diverses façons; ce qui est le propre des corps liquides et non pas des corps durs. J'accorde aussi que chaque petite partie du premier élément ne se pourroit mouvoir, au moins d'un mouvement direct, si toutes celles qui la touchent immédiatement étoient dans le repos, et ne lui pouvoient faire passage. Mais il ne faut pas simplement considérer chaque partie dans l'état présent où elle est, il faut aussi que vous considériez celles entre lesquelles elle est, dans l'état présent où elles sont; et pourceque toutes ensemble elles composent un corps parfaitement liquide, toutes sont dans le mouvement, toutes disposées à céder leur place, et toutes sans aucune figure déterminée; de sorte

que si chaque petite partie a quelque figure dans le moment auquel vous la-considérez, comme de vrai elle en a une, elle n'est point pour cela obligée de la garder dans le moment suivant, si la détermination où son mouvement la porte l'oblige à changer sa figure pour s'accommoder à celle des lieux où elle doit entrer. Car, si vous vous en souvenez, je vous ai dit que chaque partie de la matière du premier élément étoit si petite, et d'ailleurs se mouvoit si vite, que la seule impétuosité de son mouvement étoit suffisante pour faire qu'elle se divisât, rompît, brisât, ou s'écachât en toutes façons et en tous sens par la rencontre des autres corps. Il n'est donc pas besoin d'aller jusques au bout du monde pour trouver le cercle qui se doit faire, afin que la moindre partie de la matière du premier élément se meuve; car sans être obligée d'imprimer aucun mouvement dans pas une autre, elle se peut mouvoir à son aise dans la place même que ses voisines sont disposées à lui céder en se remuant; et pour rendre la chose plus intelligible par un exemple sensible, quand vous faites mouvoir un bâton en ligne droite, il est certain que lorsque sa première partie A se remue et qu'elle a avancé d'un pouce, sa seconde partie B en même temps a aussi avancé d'un pouce, et a justement rempli sa place, laquelle a été occupée par celle marquée C, et ainsi

de suite jusques au bout du bâton; et l'espace délaissé par la dernière du bâton a été aussi en même temps rempli par autant d'air que la première avoit chassé vers là quand le bâton a commencé à se mouvoir; non qu'il soit nécessaire que le bâton ait donné aucun mouvement à l'air, mais seulement il a pu déterminer celui que l'air avoit déjà à faire pour qu'il s'allât ranger à la place que l'extrémité du bâton délaissoit. De sorte que si vous avez bien compris la nature que j'attribue à la matière subtile; et comment se font les mouvements circulaires, qui ne doivent point nécessairement être ni des ovales ni de vrais cercles, mais qui ne sont appelés circulaires qu'à cause que leur mouvement finit où il avoit commencé, quelque irrégularité qui se trouve dans le milieu; et aussi que toutes les inégalités qui peuvent être dans la grosseur et dans la figure des parties peuvent être récompensées par d'autres inégalités qui se trouvent en leur vitesse, et par la facilité que les parties de la matière subtile, ou du premier élément, qui se trouvent mêlées partout, ont à se diviser et à accommoder leur figure à celle de l'espace qu'elles doivent remplir, je m'assure qu'il ne vous restera plus aucune difficulté touchant le mouvement des parties de la matière dans le plein. J'aurois poussé la chose plus avant, si j'eusse eu affaire à quelque personne moins

docile que vous, et plus résolue à contredire; mais j'aime mieux vous laisser cela à méditer un peu, pour y accoutumer votre esprit,, et pour délasser le mien, à qui il ne reste plus de force ni d'haleine que pour vous dire que je suis, etc.

A M. DE LA FORGE,

MÉDECIN A SAUMUR.

OBSERVATIONS DE M. CLERSELIER,

TOUCHANT L'action de L'AME SUR LE CORPS.

(Lettre 125 du tome III.)

A Paris, le 4 décembre 1660.

MONSIEUR,

Je ne savois pas encore que vous fussiez un si bon maître d'escrime; car je vois que vous ne vous contentez pas d'esquiver ou de parer aux coups de civilité qu'une juste connoissance que j'ai de votre mérite m'avoit fait vous porter; vous les repoussez contre moi si vivement, que vous me mettez tout hors de garde, et m'ôtez le moyen de m'en défen

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