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Et ce que je dis de la boule A, qui est poussée par des forces égales dans deux milieux différents, se doit entendre tout de même de toute autre sorte de proportion qui soit entre ces deux forces; savoir est, que la diversité du milieu ne change point la direction à laquelle les forces qu'elle a la déterminent au premier moment, mais peut seulement changer sa vitesse.

Par exemple, que la boule A soit poussée en même temps par deux forces, dont l'une la pousse du double plus fort vers C que l'autre ne fait vers B. Que doit-il arriver si elle est dans l'air? Il arrivera que ces deux forces, ayant un grand effet sur elle, la pousseront en un moment jusques en D: mais si elle étoit dans l'eau, alors ces deux forces n'ayant pas un si grand effet sur elle, mais ne laissant pas de l'avoir de tous côtés proportionné à leur force, parceque l'eau s'ouvre également de tous côtés, ne la pousseront que jusques en E; mais elle ne changera point pour cela de direction, laquelle elle prend dès le premier mo

ment.

Et ainsi ayant égard aux premières suppositions que fait M. Descartes, lorsqu'il se sert de l'exemple d'une balle pour expliquer la réflexion et la réfraction dans le chapitre second de sa Dioptrique, c'està-dire supposant que ni la pesanteur ou la légèreté de la balle, ni sa grosseur, ni sa figure, ni

aucune telle cause étrangère ne change son cours, ce qu'il dit ensuite est véritable, c'est à savoir qu'il ne faut considérer que la détermination que prend la balle au moment qu'elle est au point B, sans se mettre en peine de ce qui peut arriver de changement en sa vitesse dans le milieu qu'elle parcourt par après; pour ce que c'est seulement au point B qu'elle est contrainte de changer de direction, à cause du changement qui arrive en ce point dans la proportion qui est entre les deux forces qui composent tout son mouvement; et la direction qu'elle a une fois prise au point B, elle la garde par après, et la suit plus ou moins vite, selon le plus ou moins de résistance du milieu.

RÉPONSE DE M. DE FERMAT

A M. CLERSELIER.

(Lettre 54 du tome III.)

Du 12 mai 1662.

MONSIEUR,

Vos deux lettres des sixième et treizième de mai m'ont été rendues en même temps; elles me font

plus d'honneur que je n'en devois raisonnablement attendre; et bien loin que vos mots latins m'aient choqué, je suis persuadé que, dans la supposition de votre sentiment sur le sujet de la démonstration de M. Descartes, il n'y en a point de plus véritables en aucun endroit de vos lettres; car si cette démonstration est dans les règles des démonstrations certaines et infaillibles, il n'est rien de plus vrai, sinon que ceux qui n'en sont pas convaincus ne l'entendent point. La qualité essentielle d'une démonstration est de forcer à croire; de sorte que ceux qui ne sentent pas cette force ne sentent pas la démonstration même, c'est-à-dire qu'ils ne l'entendent pas. Je n'attribue donc, monsieur, qu'à un excès de courtoisie et de civilité cet adoucissement que MM. de votre assemblée vous ont inspiré, et je vous en rends très humbles grâces. Pour la question principale, il me semble que j'ai dit souvent, et à M. de la Chambre et à vous, que je ne prétends ni n'ai jamais prétendu être de la confidence secrète de la nature; elle a des voies obscures et cachées que je n'ai jamais entrepris de pénétrer: je lui avois seulement offert un petit secours de géométrie au sujet de la réfraction si elle en eût eu besoin; mais puisque vous m'assurez, monsieur, qu'elle peut faire ses affaires sans cela, et qu'elle se contente de la marche que M. Descartes lui a prescrite, je vous abandonne de bon cœur

ma prétendue conquête de physique, et il me suffit que vous me laissiez en possession de mon problème de géométrie tout pur, et in abstracto; par le moyen duquel on peut trouver la route d'un mobile qui passe par deux milieux différents, et qui cherche d'achever son mouvement le plus tôt qu'il pourra. Et je ne sais pas même si la merveille ne sera point plus grande, en supposant que j'aie mal deviné le raisonnement de la nature; car peuton s'imaginer rien de plus surprenant que ce qui m'est arrivé? J'écrivis, il y a plus de dix ans, à M. de La Chambre, que je croyois que la réfraction se devoit réduire à ce problème de géométrie, et j'étois pour lors tout-à-fait persuadé que l'analyse de ce problème me donneroit une proportion différente de celle de M. Descartes; et néanmoins en tentant le problème, qui est assez difficile, dix ans après, j'ai trouvé justement la même proportion que M. Descartes. Si j'ai dit un mensonge, n'ai-je pas quelque raison de prétendre que c'est un de ces mensonges fameux desquels il est dit dans le Tasse, comme je vous ai déjà écrit,

Quando sara il vero

Si bello, che si possa à ti preporre.

En voilà de reste; je croise les armes: permettez-moi seulement, s'il vous plaît, d'assurer ici M. Chanut, et M. l'abbé d'Issoire, son

fils, de mon obéissance très humble; je n'ai pas l'honneur d'être connu du père, mais pourquoi serois-je le seul de toute l'Europe qui n'aurois pas une entière vénération pour lui. Je suis, etc.

LETTRE DE M. CLERSELIER,

QUI FUT LUE DANS L'ASSEMBLÉE DE M. DE MONTmor, le 13 JUILLET 1658, sous le nom de m. descaRTES, ET COMME si c'eut été LUI QUI L'EUT AUTREFOIS ÉCRITE A QUELQU'UN DE SES AMIS, SERVANT de réponse aux difficultés qUE M. DE ROBERVAL Y AVOIT PROPOSÉES EN SON ABSENCE, TOUCHANT LE MOUVEMENT

DANS LE PLEIN.

(Lettre 97 du tome III.).

MONSIEUR,

J'ai déjà tâché autant que j'ai pu de résoudre ou plutôt de prévenir les difficultés que vous me faites, touchant l'impossibilité du mouvement des parties de la matière dans le plein, ayant éclairci, ce me semble, assez nettement, en divers endroits de mes Principes, selon que mon sujet m'y a porté, toutes les choses qui pouvoient y faire coucevoir de la répugnance ou de la difficulté: mais pourceque je vois que, quelque soin que j'aie pris, je n'ai

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